La liberté de reunion pacifique

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La liberté de réunion pacifique est explicitement garantie par tous les premiers instruments des droits de l’homme, y compris Article 20 de la DUDH, Article 21 du PIDCP, Article 15 de la CADH, Article II de la CADHP, Article II de la CEDH, et Article 24 de la Charte arabe des droits de l’homme. En plus, Article 24 de la Declaration des droits de l’homme d’ASEAN reconnaît aussi la liberté de réunion pacifique. Cependant, la Déclaration d’ASEAN permet des restrictions supplémentaires au-delà de ce qui est permissible sous les standards internationaux; les standards mondiaux sont par conséquent recommandés d’être utilisés aux pays pertinents.

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Il est parfois difficile de distinguer la liberté de réunion pacifique de la liberté d’expression. Les auteurs de communications auprès du Comité des droits de l’homme afférentes à des manifestations invoquent souvent aussi bien la liberté d’expression que celle de réunion, et le Comité des droits de l’homme est prêt à mettre en œuvre ces deux droits.40Voir, par exemple, Kivenmaa c. Finlande, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 9 juin 1994, Doc. des Nations Unies CCPR/C/50/D/412/1990 (uniquement disponible en anglais) et Galina Youbko c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 24 avril 2014, Doc. des Nations Unies CCPR/C/110/D/1903/2009.

La ComIDH a déclaré que les manifestations constituaient une « forme d’expression qui implique l’exercice des droits correspondants tels que le droit de réunion et de manifestation des citoyens et le droit à la libre circulation des opinions et de l’information ».41ComIDH, Report on the Criminalization of the Work of Human Rights Defenders, OEA/Ser.L/V/II, Doc.49/15, 31 décembre 2015, point 119. (uniquement disponible en anglais).

La CEDH reconnaît également qu’il n’existe pas de distinction nette entre ces deux droits42Women on Waves et autres c. Portugal, CEDH, arrêt du 3 février 2009, point 28.et que la protection de la liberté d’expression est en fait l’un des objectifs de la liberté de réunion.43Parti de la liberté et de la démocratie (OZDEP) c. Turquie, CEDH, arrêt du 8 décembre 1999.Elle estime que la garantie de la liberté de réunion pacifique constitue une lex specialis, qui doit être interprétée à la lumière de la liberté d’expression, laquelle est, quant à elle, une lex generalis :

La Cour note que (…) l’article 10 de la Convention s’analyse en une lex generalis par rapport à l’article 11 du même texte, qui constitue, quant à lui, une lex specialis (…). D’autre part, malgré son rôle autonome et la spécificité de sa sphère d’application, l’article 11 de la Convention doit (…) s’envisager aussi à la lumière de l’article 10 de la Convention. La protection des opinions personnelles, assurée par l’article 10 de la Convention, figure parmi les objectifs de la liberté de réunion pacifique telle que la consacre l’article 11 du même texte.44Yaroslav Belousov c. Russie, CEDH, arrêt du 4 octobre 2016, points 166 à 167 (références omises) (uniquement disponible en anglais); voir également Ezelin c. France, CEDH, arrêt du 26 avril 1991, points 35 à 37.

En pratique, la CEDH tend à analyser certaines formes de manifestation comme des exercices de la liberté d’expression, plutôt que de la liberté de réunion pacifique. Il s’agit notamment des manifestations de la part d’une seule personne,45Voir, par exemple, Novikova et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 26 avril 2016. (uniquement disponible en anglais)de l’établissement d’un camp de protestataires,46Voir également G et E c. Norvège, ComEDH, décision du 3 octobre 1983 et Frumkin c. Russie, CEDH, arrêt du 5 janvier 2016, point 107.le fait de crier des slogans lors d’une cérémonie,47Açık et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 13 janvier 2009, point 36. (uniquement disponible en anglais). les déclarations faites pendant une manifestation,48Primov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 12 juin 2015 (uniquement disponible en anglais) ; Stankov and the United Macedonian Organization Ilinden c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 2 octobre 2001.les grèves de la faim,49Atilla c. Turquie, CEDH, décision du 11 mai 2010. (uniquement disponible en anglais).les actes de protestation symboliques (comme le fait de suspendre des habits représentant le « linge sale de la nation »,50Tatár et Fáber c. Hongrie, CEDH, arrêt du 12 juin 2012, point 29. (uniquement disponible en anglais).le fait de déverser de la peinture sur une sculpture51Murat Vural c. Turquie, CEDH, arrêt du 21 octobre 2014, points 40 à 56. (uniquement disponible en anglais).ou de brûler des drapeaux et des photos),52Parti populaire chrétien-démocrate c. Moldavie (n° 2), CEDH, arrêt du 2 février 2010, point 27. (uniquement disponible en anglais). le fait de déployer des signes ou des symboles politiques, 53Vajnai c. Hongrie, CEDH, arrêt du 8 juillet 2008, points 27 à 29 ;Fratanoló c. Hongrie, CEDH, arrêt du 3 novembre 2011, point 13 ; (uniquement disponible en anglais)les occupations de bâtiments publics54Voir Taranenko c. Russie, CEDH, arrêt du 15 mai 2014, points 68 à 69. (uniquement disponible en anglais)le fait d’appeler les gens à participer à une réunion par le biais des réseaux sociaux,55Elmira Dmitriyeva c. Russie, CEDH, arrêt du 30 avril 2019 (uniquement disponible en anglais).et les actions directes visant à bloquer les activités que les manifestants désapprouvent.56Voir, par exemple, Steel et autres c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 23 septembre 1998, point 92 ; Hashman et Harrup c. Royaume-Uni,CEDH, Grande Chambre, arrêt du 25 novembre 1999, point 28 ; Drieman et autres c. Norvège,CEDH, décision du 4 mai 2000. (uniquement disponible en anglais) . Toutefois, la CEDH a également examiné l’installation d’une banderole sur un mur lors d’une manifestation,57Akarsubaşı et Alçiçek c. Turquie, CEDH, arrêt du 23 janvier 2018, points 31 à 33. les déclarations publiques à la presse à proximité des bâtiments judiciaires au mépris d’une interdiction législative,58Öğrü c. Turquie, CEDH, arrêt du 17 octobre 2017, points 6 à 8, et 13.et une série d’actions de protestation liées à une seule campagne – y compris une conférence de presse, un défilé et un sit-in59Aydin c. Turquie, CEDH, arrêt du 26 mai 2020, point 50. – au regard de l’article 11.

Le droit à la liberté de réunion pacifique n’est pas un droit absolu, et il peut faire l’objet de restrictions. Les principaux traités internationaux qui consacrent ce droit prévoient un test strict similaire pour ce qui est des restrictions y afférentes (voir l’article 21 du PIDCP, l’article 11 de la CADHP, l’article 15 de la CADH et l’article 11, point 2, de la ConvEDH). Dans le cadre de ce test, les restrictions à la liberté de réunion pacifique ne sont autorisées que dans les cas suivants : (1) si elles sont imposées conformément à la loi ; (2) si elles visent un but légitime, et (3) si elles sont nécessaires dans une société démocratique, ce qui signifie que toute restriction doit passer avec succès un test strict en termes de nécessité et de proportionnalité.

En général, toute mesure adoptée par les autorités susceptible d’avoir une incidence négative sur l’exercice de la liberté de réunion constitue une restriction qui doit passer avec succès le test en trois volets. La CEDH a souvent déclaré ce qui suit :

[U]ne ingérence dans l’exercice de la liberté de réunion pacifique liberté ne doit pas forcément consister en une interdiction totale, légale ou de facto, mais peut consister en diverses autres mesures adoptées par les autorités. Le terme « restrictions » de l’article 11, point 2, doit être interprété comme englobant aussi bien les mesures prises avant ou durant la réunion que celles, telles que les mesures punitives, adoptées par la suite.60Voir, par exemple, Gafgaz Mammadov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 15 octobre 2015, point 50 ; Gülcü c. Turquie, CEDH, arrêt du 19 janvier 2016, point 91. (uniquement disponible en anglais)

Ainsi, les actions telles que le fait d’empêcher un individu de se rendre jusqu’à la réunion, la dispersion de cette dernière et l’arrestation des participants ou l’imposition de sanctions du fait d’avoir participé à la réunion constituent toutes des restrictions.61Gafgaz Mammadov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 15 octobre 2015, point 50. (uniquement disponible en anglais).La CEDH a précisé que les sanctions imposées pour d’autres infractions, telles que la désobéissance vis-à-vis de la police, constituent encore des restrictions si la sanction est en réalité directement liée à l’exercice du droit de la liberté de réunion pacifique.62Gafgaz Mammadov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 15 octobre 2015, point 50. (uniquement disponible en anglais).

Compte tenu de la nature fondamentale de ce droit, la CEDH a été réticente à rejeter les plaintes au titre de l’article 11 au motif que les demandeurs n’ont pas subi de « désavantage important », par exemple en imposant des amendes de montant limité pour la participation à des manifestations pacifiques.63Öğrü v. Turkey, CEDH, arrêt du 17 octobre 2017, points 14 à 18.

L’Observation générale no 37 explique que “[l]es États ont ainsi l’obligation négative (au titre de l’article 21) de s’abstenir de toute intervention injustifiée dans le déroulement des réunions pacifiques. Ils sont tenus, par exemple, de ne pas interdire, restreindre, bloquer, disperser ou perturber les réunions pacifiques sans raison impérieuse et de ne pas sanctionner les participants ou les organisateurs sans motif valable. »64Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 23.

Les mécanismes internationaux ont établi clairement que le premier volet du test signifie, premièrement, que la restriction à la liberté de réunion devait se fonder sur un instrument approprié de droit interne, et deuxièmement, que ledit instrument devait satisfaire au principe de légalité, à savoir qu’il doit s’agir d’un instrument accessible au public et suffisamment clair et précis pour éviter les ingérences arbitraires.

Comme l’énonce l’Observation générale no 37,

Dans la deuxième phrase de l’article 21, il est dit que l’exercice du droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi. Cela pose le principe de l’exigence de légalité, qui s’apparente à l’obligation, prévue dans d’autres articles du Pacte, que les restrictions soient « fixées par la loi ». Les restrictions doivent donc être imposées par la loi ou par des décisions administratives basées sur la loi. Les lois en question doivent être libellées avec suffisamment de précision pour permettre aux citoyens d’adapter leur comportement, et ne peuvent pas conférer aux personnes chargées de leur application un pouvoir illimité ou très étendu.65Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 39.

Types d’instrument considérés comme relevant de la « loi »

La CIDH a considéré que, dans le contexte des restrictions légitimes aux droits, le terme de « loi » faisait référence à

une règle générale liée au bien-être de la collectivité, adoptée par des organes législatifs démocratiquement élus établis par la Constitution, et formulée dans le respect des procédures prévues par les constitutions des États parties à de tels effets.66CIDH, Le vocable "Lois" dans l’article 30 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, Avis consultatif OC-6/86, 9 mai 1986, point 38. (uniquement disponible en anglais)

Ainsi, les restrictions à la liberté de réunion pacifique ne sauraient être imposées par le biais de décrets gouvernementaux ou de décisions administratives,67ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 165. (uniquement disponible en anglais)sauf si le pouvoir de dicter le décret ou la décision en question repose lui-même sur une loi satisfaisant aux exigences énoncées ci-dessus. La CIDH souligne que toute délégation de ce type doit être autorisée par la Constitution, que l’organe exécutif doit respecter les limites de ses pouvoirs délégués, et qu’elle doit faire l’objet de contrôles effectifs.68CIDH, Le vocable "Lois" dans l’article 30 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, Avis consultatif OC-6/86, 9 mai 1986, point 36. (uniquement disponible en anglais)

La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a également fait valoir que les limitations aux droits consacrés par la CADHP « doivent prendre la forme d’une “loi d’application générale” ».69Tanganyika Law Society et The Legal and Human Rights Centre c. La République Unie de Tanzanie, Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, arrêt du 14 juin 2014, point 107.1.

Néanmoins, la CEDH adopte une approche quelque peu différente à ce propos ; elle interprète le terme « loi » dans son sens « substantifs » et pas nécessairement dans son sens formel. Elle autorise l’imposition de restrictions par le biais d’actes règlementaires d’un rang inférieur (y compris les mesures règlementaires adoptées par des organismes réglementaires professionnels en vertu des pouvoirs qui leur sont délégués), voire de la jurisprudence orale.70Voir Gülcü c. Turquie, CEDH, arrêt du 19 janvier 2016, point 104, et références qui y sont citées. (uniquement disponible en anglais) Néanmoins, à l’instar de la CIDH, la CEDH souligne que si des pouvoirs sont accordés à des organes exécutifs pour restreindre le droit de réunion, « la loi doit préciser suffisamment clairement la portée de ce pouvoir discrétionnaire et les modalités d’exercice y afférentes ».71Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 411. (uniquement disponible en anglais)La CEDH a donc conclu à une violation de l’article 11 parce que l’exécutif disposait d’un pouvoir d’appréciation étendu pour ce qui est de décider quel comportement pouvait être qualifié « d’événement public » soumis à une condition de notification formelle, et des mesures répressives de nature administrative en cas de non respect des procédures de notification.72Navalnyy c. Russie, CEDH, arrêt du 15 novembre 2018, points 117-118.

Exigence de prévisibilité et d’accessibilité

Toute loi qui règlemente le droit à la liberté de réunion doit être accessible au public et suffisamment claire et précise pour éviter les ingérences arbitraires et permettre à ceux qui exercent le droit de comprendre leurs obligations. Le Comité des droits de l’homme a déclaré ce qui suit :

[…] pour être considérée comme une « loi » une norme doit être libellée avec suffisamment de précision pour permettre à un individu d’adapter son comportement en fonction de la règle et elle doit être accessible pour le public. La loi ne peut pas conférer aux personnes chargées de son application un pouvoir illimité de décider de la restriction de la liberté d’expression. Les lois doivent énoncer des règles suffisamment précises pour permettre aux personnes chargées de leur application d’établir quelles formes d’expression sont légitimement restreintes et quelles formes d’expression le sont indûment.73Comité des droits de l’homme, Observation générale 34 : Article 19(Libertés d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 25. (uniquement disponible en anglais)

De même, la CEDH fait valoir que les lois doivent être accessibles et leur application prévisible :

[L]expression « prévue par la loi » contenue à l’article 11 de la Convention n’implique pas uniquement que la mesure contestée se fonde dans le droit interne, mais fait également référence à la qualité de la loi en question. La loi doit être accessible pour les personnes concernées, et elle doit être énoncée avec suffisamment de précision pour leur permettre (en s’entourant au besoin de conseils éclairés) de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences qui peuvent découler d’un acte déterminé.74Voir, par exemple, Kudrevicius et autres c. Lithuanie, CEDH, arrêt du 15 octobre 2015 ;Shmushkovych c. Ukraine, CEDH, arrêt du 14 novembre 2013, point 37 ; (uniquement disponible en anglais) Rekvényi c. Hongrie, CEDH, arrêt du 20 mai 1999, point 34.

La CIDH,75Fontevecchia et D’Amico c. Argentine, CIDH, arrêt du 29 novembre 2011, point 90. (uniquement disponible en anglais). le rapport de la CIDH sur la protestation et les droits de l’homme,76Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 34 (uniquement disponible en anglais) et les Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique de la ComADHP77ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 85 ;  ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 20, point5. ont un point de vue similaire.

Les restrictions à la liberté de réunion doivent poursuivre un but légitime. Le PIDCP ne considère comme buts légitimes que les buts suivants : « dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui ».78Dans le cadre de la Com ADHP, des restrictions peuvent être appliquées dans l’intérêt de la "sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes"; dans celui de la CADH, on évoque « la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publics, ou à la sauvegarde des droits ou libertés d’autrui" et enfin, dans le cadre de la ConvEDH, il est question de "la sécurité nationale, de la sûreté publique, de la défense de l’ordre et de la prévention du crime, de la protection de la santé ou de la morale, ou de la protection des droits et libertés d’autrui."

Les traités régionaux reconnaissent des buts similaires, avec certaines différences quant à la formulation. Selon le Comité des droits de l’homme, c’est à l’État de préciser le but poursuivi :

Le Comité souligne que, si l’État partie impose une restriction, c’est à lui de prouver qu’elle est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés dans les dispositions dudit article.79Vladimir Sekerko c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 28 octobre 2013, Doc. Nations Unies CCPR/C/109/D/1851/2008, point 9.4.

Dans son Observation générale n° 37, le Comité des droits de l’homme précisait la signification de l’expression « objectifs légitimes spécifiques ». L’ordre public a trait à« la somme des règles qui assurent le bon fonctionnement de la société ou l’ensemble des principes fondamentaux sur lesquels repose la société, dont le respect des droits de l’homme, y compris du droit de réunion pacifique » 80Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 42. alors que la sécurité nationale concerne « la capacité de l’État de protéger l’existence de la nation, son intégrité territoriale ou son indépendance politique contre une menace crédible ou contre l’usage de la force ».Le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements précisait notamment que « l’intérêt national, politique ou gouvernemental et la sécurité publique ou l’ordre public ne sont pas synonymes ».82Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 49. (uniquement disponible en anglais)

En ce qui concerne la « défense de l’ordre », la CEDH a declaré que le terme doit s’entendre au sens étroit.83Navalnyy c. Russie, CEDH, arrêt du 15 novembre 2018. La CEDH a par conséquent rejeté l’argument selon lequel les mesures litigieuses prises en raison des rassemblements non intentionnels qui n’ont causé aucune perturbation aient « poursuivi un but légitime de prévenir des troubles ou la criminalité et de protéger les droits et libertés d’autrui ».84Navalnyy c. Russie, CEDH, arrêt du 15 novembre 2018, points 123-126.

S’agissant de la moralité publique, le Comité note que son contenu peut varier considérablement selon les sociétés. Néanmoins, il précise que le concept de moralité « ne devrait pas l’être dans le but de défendre une conception de la morale procédant exclusivement d’une tradition sociale, philosophique et religieuse unique » et que « [l]es restrictions fondées sur ce motif ne peuvent pas … être imposées, par exemple, pour empêcher l’expression de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. »85Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 46.De même, la CEDH a fait valoir à maintes reprises que la démocratie ne signifiait pas simplement que les points de vue de la majorité (ou de la collectivité) devaient l’emporter. Un juste traitement des minorités doit être assuré et il faut éviter, en général, tout abus de positions dominantes.86Voir Young, James et Webster c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 13 août 1981, point 63. La CEDH a également rejeté les restrictions aux manifestations LGBTQ sur la base de la protection des mœurs.87Bayev et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 20 juin 2017Par ailleurs, les intérêts économiques en tant que tels ne font pas partie des intérêts énumérés.88Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/32/36, 10 août 2016, point 33.

Le besoin de précision

Une tendance mondiale croissante a été observée au niveau des États, qui abusent des intérêts légitimes énumérés pour restreindre les droits de l’homme, par exemple en fondant leurs mesures restrictives sur de larges interprétations des intérêts légitimes ou sur une terminologie vaguement liée à ces derniers. Concernant la sécurité nationale, le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression mettait spécifiquement en garde vis-à-vis de

(…) l’utilisation d’une notion imprécise (…) pour justifier des restrictions invasives à l’exercice des droits de l’homme (…). Cette notion, définie de manière schématique, est donc propice aux manipulations de l’État pour justifier des actions qui ciblent les groupes vulnérables (…).89Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/40, 17 avril 2013, point 60.

Les motifs avancés doivent être précis ; ils ne peuvent pas être formulés in abstracto ou évoquer des risques imprécis et généraux et imprécis,90Alexeïev c. Fédération de Russie, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 25 octobre 2013, Doc. des Nations Unies CCPR/C/109/D/1873/2009, point 9.6 : L’État avait invoqué que le thème du piquet en question provoquerait une réaction négative susceptible d’entraîner des troubles à l’ordre public. Le Comité a fait observer « qu’un risque imprécis et général de contre-manifestation violente ou la simple possibilité que les autorités ne soient pas en mesure de prévenir ou de neutraliser cette violence ne constitue pas un motif suffisant pour interdire une manifestation." Voir également M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée,Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 20 juillet 2005, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, point 7.3.mais doivent, au contraire, être individualisés,91Comité des droits de l’homme, Observation générale 34 : Article 19 (Libertés d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 33. (uniquement disponible en anglais)s’appliquer au cas par cas92Schumilin c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/105/D/1784/2008, adoption de vues du 23 juillet 2012, point 9.4 (le Comité avait considéré que la restriction en cause violait le PIDCP car l’État partie n’avait pas expliqué « comment dans ce cas précis les actes de l’auteur avaient concrètement porté atteinte aux droits ou à la réputation d’autrui, ou constitué une menace pour la sécurité nationale, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques »).ou se fonder sur une justification particulière.93Kim c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/64/D/574/1994, adoption de vues du 4 janvier 1999, point 12.5.

En droit international, les restrictions à la liberté de réunion doivent être « nécessaires dans une société démocratique » pour atteindre le but qu’elles poursuivent.

Le Comité des droits de l’homme a expliqué que pour qu’il en soit ainsi, un test de nécessité et de proportionnalité devait être passé avec succès :

Les restrictions doivent donc être nécessaires et proportionnées dans une société fondée sur la démocratie, l’état de droit, le pluralisme politique et les droits de l’homme, et ne sauraient être seulement raisonnables ou opportunes.94Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 40.

La nécessité signifie que la restriction ne doit pas être seulement appropriée, mais doit également répondre à un besoin impérieux susceptible de l’emporter sur l’importance de la liberté de réunion. La CIDH a jugé ce qui suit :

[I]l ne suffit pas, par exemple, d’établir qu’une loi remplit un but utile ou souhaitable ; pour être compatibles avec la Convention, les restrictions doivent être justifiées par des buts collectifs qui, au vu de leur importance, l’emportent clairement sur la nécessité sociale de pouvoir jouir pleinement du droit (…).95Ricardo Canese C. Paraguay, CIDH, arrêt du 31 août 2004, point 96. (uniquement disponible en anglais).

De même, le rapport de l’ICDH sur la protestation et les droits de l’homme déclare que :

l’adjectif « nécessaire » ne signifie pas « utile », « raisonnable » ou « opportun ». Pour que la restriction soit légitime, il doit être clairement établi qu’il existe un besoin social certain et impérieux d’appliquer la restriction, ce qui signifie que cet objectif légitime et impérieux ne peut raisonnablement être atteint par des moyens moins restrictifs des droits de l’homme concernés.96Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 39. (uniquement disponible en anglais)

De même, la CEDH exige de démontrer que la restriction répond à un « besoin social impérieux », ce qui doit être établi de façon convaincante par les autorités :

Une ingérence sera considérée « nécessaire dans une société démocratique » pour un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux » et notamment, si elle est proportionnée par rapport au but légitime poursuivi et si les raisons invoquées par les autorités nationales pour la justifier sont « pertinentes et suffisantes ».97Kasparov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 3 octobre 2013, point 86. (uniquement disponible en anglais)

La proportionnalité signifie que l’ingérence dans la liberté de réunion ne doit pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi. Aussi, si l’État dispose de différents moyens d’atteindre ledit objectif, il doit choisir la mesure la moins intrusive. C’est ainsi, par exemple, que dans le cadre d’une affaire où les autorités avaient rejeté, purement et simplement, une demande d’autorisation d’une manifestation, le Comité des droits de l’homme a considéré ce qui suit :

 [L’État partie n’a pas] montré que le rejet de la demande d’organiser une manifestation constituait une entrave proportionnée au droit de réunion pacifique − en d’autres termes, qu’elle constituait le moyen le moins intrusif susceptible d’aboutir au résultat recherché par l’État partie et qu’elle était proportionnée aux intérêts que l’État partie cherchait à protéger.98Vasily Poliakov c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 17 juillet 2014, Doc. des Nations Unies CCPR/C/111/D/2030/2011, point 8.3.

Le rapport de la CIDH sur la protestation et les droits de l’homme déclare ce qui suit.:

Pour déterminer la stricte proportionnalité de la mesure restrictive, il est nécessaire de déterminer si le sacrifice de la liberté d’expression qu’elle implique est exagéré ou excessif par rapport aux avantages obtenus par cette mesure … Afin d’établir la proportionnalité d’une restriction lorsque la liberté d’expression est limitée dans le but de préserver d’autres droits, il faut examiner les circonstances de l’affaire, par exemple : (i) le degré d’atteinte au droit concurrent (grave, intermédiaire, modéré) ; (ii) l’importance de la satisfaction du droit concurrent ; et (iii) le fait que la satisfaction du droit concurrent justifie la restriction à la liberté d’expression. Le principe de proportionnalité devrait également prendre en considération le sous-principe de l’adaptation étroite. En d’autres termes, pour que la protestation soit limitée par un instrument ou un moyen qui réponde de manière appropriée ou adéquate à l’objectif poursuivi, cette mesure doit être effectivement de nature à atteindre les objectifs légitimes et impérieux recherchés.99Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), paras. 42-43. Uniquement disponible en anglais.

La CEDH a souligé que « les restrictions à la liberté de réunion fondées sur le contenu … doivent être soumises au contrôle le plus strict de la Cour. »100Navalnyy c. Russie, CEDH, arrêt du 15 novembre 2018, point 117-118.

Le test en trois volets (voir la section 4.4, consacrée aux rassemblements) ne s’applique pas uniquement aux restrictions imposées à une réunion avant ou pendant la tenue de l’évènement, mais aussi à celles (telles que les sanctions) infligées par la suite.

Dans l’affaire Praded c. Bélarus, par exemple, l’auteur de la communication s’était vu imposer une amende administrative concernant un acte de protestation non autorisé à l’ambassade iranienne. Le Comité des droits de l’homme avait considéré que la proportionnalité de ladite amende devait être établie :

[S]i assurer la sécurité de l’ambassade d’un État étranger peut être considéré comme un but légitime pour restreindre le droit de réunion pacifique, l’État partie doit démontrer en quoi l’arrestation de l’auteur et sa condamnation à une amende administrative étaient nécessaires et proportionnées à ce but.101Praded c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 29 novembre 2014, Doc. des Nations Unies CCPR/C/112/D/2029/2011, point 7.8.

Le point de départ est le fait que l’imposition de toute sanction (même mineure) constitue une restriction du droit et nécessite ainsi une justification claire. Selon une jurisprudence constante de la CEDH, même les sanctions se situant vers le bas de l’échelle des peines disciplinaires ne devraient être imposées aux participants à un rassemblement qui n’a pas été interdit, sauf si le défendeur a commis, personnellement, un « acte répréhensible » :

[L]a liberté de participer à une réunion pacifique revêt une telle importance qu’une personne ne peut faire l’objet d’une quelconque sanction – même une sanction se situant vers le bas de l’échelle des peines disciplinaires – pour avoir participé à une manifestation non prohibée, dans la mesure où l’intéressé ne commet par lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible.102Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 149 ; voir également Ezelin c. France, CEDH, arrêt du 26 avril 1991, point 53 ;Galstyan c. Arménie, CEDH, arrêt du 15 novembre 2007, point 115. (uniquement disponible en anglais)

Parmi les actes que la CEDH a considéré comme répréhensibles figurent le fait de lancer des pierres à la police,103Gülcü c. Turquie, CEDH, arrêt du 19 janvier 2016, point 116. (uniquement disponible en anglais). l’incitation à la violence inter-ethnique104Osmani et autres c. ex-République yougoslave de Macédoine, CEDH, décision du 11 octobre 2001.et les dommages matériels.105Taranenko c. Russie, CEDH, arrêt du 15 mai 2014, point 92. (uniquement disponible en anglais)Le fait de ne pas désavouer un rassemblement à l’occasion duquel des tiers se sont adonnés à de tels comportements ne constitue pas un acte répréhensible.106Ezelin c. France, CEDH, arrêt du 26 avril 1991, point 53.La CEDH a récemment jugé que le blocage des autoroutes importantes au mépris des ordres policiers pouvait également être considéré comme un acte répréhensible. 107Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 174. Le Rapporteur spécial des Nations Unies a expriméses regrets face à cette dernière décision.108Rapporteur spécial des Nations Unies et Human Rights Centre de l’Université de Gand, Third Party Intervention before the European Court of Human Rights in Mahammad Majidli v. Azerbaijan (no. 3) and three other applications, novembre 2015, point 15. (uniquement disponible en anglais).

S’il existe des motifs pour infliger une sanction, la CEDH vérifie si la nature (pénale ou administrative) et la sévérité desdites sanctions sont justifiées :

La nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité de l’ingérence par rapport au but qu’elle poursuit.109Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 146 (références omises).

La CEDH a donc jugé disproportionnée l’imposition d’une longue peine de prison lorsque le requérant a été condamné pour avoir « frappé un policier, une fois à la tête et une fois au corps, sans mettre en danger la vie ou la santé de ce dernier », lors une réunion publique autorisée.110Barabanov c. Russie, CEDH, arrêt du 30 janvier 2018, paras. 71-78. (uniquement disponible en anglais)

La Cour a prévenu que même dans le cas où elles ne seraient pas infligées en pratique, ou si elles sont annulées par la cour par la suite,111Organisation macédonienne unie Ilinden et Ivanov c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 20 octobre 2005. (uniquement disponible en anglais)les amendes d’un montant élevé « sont propices à la création d’un “ effet paralysant ” sur le recours légitime aux manifestations ».112Novikova et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 26 avril 2016, point 211. (uniquement disponible en anglais)

La CEDH a en outre souligné que les organisateurs d’une assemblée ne peuvent être tenus responsables des actions d’autrui s’ils n’y ont pas pris part, soit explicitement par une participation active et directe, soit implicitement.113Mesut Yıldız and Others v. Turkey, CEDH, arrêt du 18 juillet 2017, point 34.Le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association a également déclaré que « les organisateurs ne doivent pas être tenus responsables des actes illégaux d’autrui ».114A/HRC/44/50, 13 mai 2020, point 16. (uniquement disponible en anglais) Et l’Observation générale no 37 stipule que « Dans des circonstances    exceptionnelles, des organisateurs peuvent être tenus responsables de dommages ou de blessures dont ils ne sont pas directement responsables, mais cela doit se limiter aux cas dans lesquels il est établi que les organisateurs auraient pu raisonnablement prévoir les dommages ou les blessures et les éviter ».115Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 65.

Il existe une préoccupation grandissante concernant la pénalisation des personnes qui exercent leur droit de réunion ; cette préoccupation est exprimée, entre autres, par le Rapporteur spécial des Nations Unies.116Rapporteur spécial des Nations Unies et Human Rights Centre de l’Université de Gand, Third Party Intervention before the European Court of Human Rights in Mahammad Majidli v. Azerbaijan (no. 3) and three other applications, novembre 2015, points14 à 16. (uniquement disponible en anglais).La « pénalisation » a trait aux mesures administratives ou pénales adoptées pour sanctionner les participants ou les organisateurs de rassemblements.117Rapporteur spécial des Nations Unies et Human Rights Centre de l’Université de Gand, Third Party Intervention before the European Court of Human Rights in Mahammad Majidli v. Azerbaijan (no. 3) and three other applications, novembre 2015, point 14 ; (uniquement disponible en anglais) voir également ComIDH, Report on the Criminalization of the Work of Human Rights Defenders, OEA/Ser.L/V/II, Doc.49/15, 31 décembre 2015, point 12. (uniquement disponible en anglais)

Plusieurs tribunaux et mécanismes internationaux ont établi clairement que l’imposition de sanctions pénales ou administratives aux organisateurs de rassemblements pacifiques ou à leurs participants appelait une vigilance particulière. En principe, il ne devrait pas exister de menaces de sanction en cas de participation à un rassemblement. Cela est d’autant plus vrai pour l’imposition de peines d’emprisonnement.

La position de la CEDH sur la question est la suivante :

Lorsque les sanctions infligées sont de nature pénale, elles appellent une justification particulière. Une manifestation pacifique ne doit pas, en principe, faire l’objet d’une menace de sanction pénale, notamment d’une privation de liberté. Ainsi, la Cour doit examiner avec un soin particulier les affaires où les sanctions infligées par les autorités nationales pour des comportements non violents impliquent une peine d’emprisonnement.118Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 146 (références omises) ; voir également Akgöl et Göl c. Turquie, CEDH, arrêt du 17 mai 2011, point 43 ; Pekaslan et autres c. Turquie,CEDH, arrêt du 20 mars 2012, point 81 ; (uniquement disponible en anglais); Yılmaz Yıldız et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 14 octobre 2014, point 46. (uniquement disponible en anglais).

La CEDH a noté que dans le cadre de certains systèmes juridiques, le droit administratif est utilisé pour sanctionner des infractions de nature pénale. Lorsque les sanctions infligées sont punitives et de nature dissuasive, et notamment dans les cas où les personnes sont privées de leur liberté, même pendant une courte durée, la Cour classe ces mesures comme « relevant du droit pénal », même si elles sont considérées comme des sanctions administratives par le droit national.119Voir, par exemple, Kasparov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 3 octobre 2013, points 41 à 45. (uniquement disponible en anglais).

La ComIDH a publié un rapport exhaustif concernant la « Pénalisation du travail des défenseurs des droits de l’homme » (« Criminalization of the Work of Human Rights Defenders »), dans lequel elle exprime son inquiétude au sujet du recours excessif au droit pénal dans plusieurs contextes, comme en réponse à des actes de protestation. En particulier, dans le rapport, on fait état de

préoccupations concernant l’existence de dispositions qui traitent comme des délits pénaux les simples actes de participation à une protestation, les barrages routiers (à tout moment et quel qu’en soit le type), des perturbations qui, en réalité, en tant que telles, n’affectent pas de façon négative des droits protégés par la loi tels que le droit à la vie, le droit à la sécurité ou le droit à la liberté des personnes.120ComIDH, Report on the Criminalization of the Work of Human Rights Defenders,OEA/Ser.L/V/II, Doc.49/15, 31 décembre 2015, point 127. (uniquement disponible en anglais) Voir également ComIDH, Annual Report of the Office of the Special Rapporteur for Freedom of Expression 2008, OEA/Ser.L/V/II.134 Doc.5, Doc.5 rev. 1, 25 février 2009, chapitre IV, point 70. (uniquement disponible en anglais).

Le rapport de la CIDH sur la protestation et les droits de l’homme indique que « le recours au droit pénal pour les actes des participants à une manifestation … ne peut être effectué qu’à titre très exceptionnel et doit faire l’objet d’un examen approfondi »..”121Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 185. (uniquement disponible en anglais)

Les activités de surveillance et les limitations des communications en ligne, lorsqu’elles sont entreprises en relation avec des réunions pacifiques, constituent des restrictions aux réunions pacifiques qui doivent se conformer au test en trois volet décrit ci-dessus.

Le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association des Nations Unies a déclaré que « [l]e recours à des techniques de surveillance aux fins de la surveillance indiscriminée et non ciblée des personnes qui exercent leurs droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association devrait être interdit, tant dans les espaces physiques que dans l’espace numérique ». Le Rapporteur spécial a déclaré que « la [s]urveillance des personnes qui exercent leurs droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ne peut être menée que de manière ciblée » :

Pour être autorisées, les activités de surveillance ciblées doivent reposer sur des décisions adoptées en toute transparence, être limitées dans le temps, respecter les normes internationales établies en matière de légalité, d’objectif légitime, de nécessité et de proportionnalité, et être soumises à un contrôle indépendant permanent comprenant de solides mécanismes d’autorisation préalable, de contrôle opérationnel et d’examen.122Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/41/41, 17 mai 2019, paras. 57, 77.

L’Observation générale no 37 explique par ailleurs que :

Toute collecte d’informations, qu’elle soit effectuée par une entité publique ou privée, y compris au moyen de la surveillance ou en interceptant des communications, ainsi que la manière dont les données sont recueillies, partagées, conservées et consultées, doivent être strictement conformes aux normes internationales applicables, y compris aux normes relatives au respect de la vie privée, et ne doivent jamais servir à intimider ou harceler les personnes qui participent ou souhaitent participer à des rassemblements. Ces pratiques devraient être réglementées au moyen d’un cadre législatif national approprié et accessible au public compatible avec les normes internationales et soumis au contrôle des tribunaux.123Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 61.

Le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association a déclaré que « [l]a pratique consistant à bloquer les communications, empêchant l’organisation d’un rassemblement et sa promotion en ligne, ne satisfait que rarement aux normes en matière de droits de l’homme »,124Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Doc. des Nations Unies A/73/279, 7 août 2017, point 100. et que « [d]e manière générale, le blocage complet de sites Web est une mesure extrême et disproportionnée qui … compromet l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association. »125Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/41/41, 17 mai 2019, paras. 42, 52. Le Rapporteur spécial estime en particulier « qu’interdire à un individu ou à une association de publier un contenu en ligne “uniquement au motif qu’il peut être critique à l’égard du gouvernement ou du système politique et social épousé par le gouvernement” est incompatible avec les droits à la liberté de réunion pacifique, d’association et d’expression. »126Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/41/41, 17 mai 2019, paras. 42, 52.

Le Rapporteur spécial considère également que « le les coupures de réseau constituent une violation flagrante du droit international et ne peuvent en aucun cas être justifiées ».127Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/41/41, 17 mai 2019, paras. 42, 52.

Le Rapporteur spécial a également noté qu’à l’ère du numérique, « [l’]obligation de protéger impose aux États de prendre des mesures pour éviter que les activités d’acteurs non étatiques, notamment les entreprises, puissent porter atteinte de manière injustifiée à l’exercice des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ».128Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/41/41, 17 mai 2019, point 14.

L’Observation générale no 37 souligne également que :

Les États parties ne doivent pas, par exemple, bloquer ou entraver les échanges sur Internet qui sont en rapport avec des réunions pacifiques. Il en va de même pour les interférences géociblées ou utilisant une technologie spécifique dans les connexions ou l’accès aux contenus. Les États devraient veiller à ce que les activités des fournisseurs de services Internet et des intermédiaires n’entraînent pas de restrictions injustifiées des réunions ou d’atteintes injustifiées à la vie privée des personnes participant aux réunions. Toute restriction imposée aux systèmes de diffusion de l’information doit respecter les critères établis pour les restrictions de la liberté d’expression.129Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 34.

Le rapport de la CIDH sur la protestation et les droits de l’homme adopte un point de vue similaire :

Les restrictions d’accès à Internet avant ou après des réunions pacifiques, y compris les déconnexions totales ou partielles, le ralentissement du service Internet et le blocage temporaire ou permanent de différents sites et applications, constituent des restrictions illégales aux droits d’association et de réunion.130Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 298. (uniquement en anglais)

En général, les manifestations dans des lieux publics ne causent pas de perturbations pour les tiers. En droit international, il existe un principe bien établi selon lequel un certain degré de tolérance vis-à-vis de ce type de perturbations est requis de la part du public et des autorités.

La CEDH a souligné à maintes reprises ce qui suit :

Toute manifestation dans un lieu public est susceptible d’entraîner des perturbations de la vie quotidienne, notamment de la circulation routière (…), il est important que les pouvoirs publics fassent preuve d’une certaine tolérance pour les rassemblements pacifiques, afin que la liberté de réunion consacrée à l’article 11 de la Convention ne soit pas dépourvue de tout contenu.131Tuskia et autres c. Géorgie, CEDH, arrêt du 11 janvier 2019, point 73 (uniquement disponible en anglais) ; Annenkov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 25 juillet 2017, point 126 ( uniquement disponible en anglais) ; Disk et Kesk c. Turquie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, point 29 (uniquement disponible en anglais) ; voir également, entre autres, Achouguian c. Arménie, CEDH, arrêt du 17 juillet 2008, point 90 (uniquement disponible en anglais) ; Barraco c. France, CEDH, arrêt du 5 mars 2009, point 43 ; Gün et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 18 juin 2013, point 74 ; Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 155.

De même, la ComIDH a déclaré ce qui suit :

Les protestations sont indispensables à la consolidation démocratique et constituent donc une utilisation de l’espace public aussi légitime que les autres. Ainsi, elles ne sauraient être réprimées comme un moyen de garantir d’autres utilisations plus ordinaires de ces espaces, telles que l’activité commerciale ou la circulation des personnes et des véhicules.132Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 72; voir également IACHR, Report on the Criminalization of the Work of Human Rights Defenders,OEA/Ser.L/V/II, Doc.49/15, 31 décembre 2015, paras.126-127. (uniquement disponible en anglais)

De la même manière, le Rapporteur spécial des Nations Unies estime qu’il « ne faut pas privilégier automatiquement la circulation à la liberté de réunion pacifique ».133Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 41.L’Observation générale no 37 explique clairement que « les rassemblements constituent une utilisation légitime de l’espace public et d’autres types de lieux, et s’ils peuvent, par leur nature, perturber dans une certaine mesure la vie ordinaire, les perturbations causées doivent être tolérées, à moins qu’elles ne représentent une charge disproportionnée, auquel cas les autorités doivent être en mesure de justifier toute restriction de façon détaillé. »134Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 47. Les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique du BIDDH/OSCE et les Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique affirment, à leur tour, que les réunions constituent une utilisation de l’espace public aussi légitime qu’une activité commerciale ou la circulation des véhicules automobiles et des piétons.135BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 3.2 et notes explicatives, point 20 ; ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 84 ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 62, point 17.

L’exigence de tolérance vis-à-vis des perturbations signifie, par exemple, que les autorités devraient faire preuve d’une retenue considérable avant de provoquer la dispersion d’un rassemblement, y compris lorsque ce dernier a lieu sur la voie publique ou sur une route.

Le Comité des droits de l’homme rappelle que le droit de réunion pacifique est un droit de l’homme fondamental, qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et est indispensable dans une société démocratique136Comité des droits de l’homme, Denis Turchenyak et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 10 septembre 2013, Doc. des Nations Unies CCPR/C/108/D/1948/2010, point 7.4 ; réitéré dans Praded c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 29 novembre 2014, Doc. des Nations Unies CCPR/C/112/D/2029/2011, point 7.4. Comme le Comité l’explique dans l’Observation Générale no 37, « [ l]e fait qu’une réunion provoque ou puisse provoquer une réaction hostile du public contre les participants ne justifie pas, en règle générale, que cette réunion fasse l’objet d’une restriction ; on doit autoriser la poursuite de la réunion, et protéger les participants ».137Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 52.

L’affaire Alexeïev c. Fédération de Russie a été introduite devant le Comité des droits de l’homme par un activiste qui s’était vu refuser l’autorisation d’organiser un piquet devant l’ambassade iranienne à Moscou, pour exprimer son inquiétude face aux exécutions d’homosexuels et de mineurs en Iran. Les autorités locales justifiaient leur refus en évoquant le risque d’une « réaction négative de la société » qui « risquait de conduire à des troubles de grande ampleur à l’ordre public ». Le Comité des droits de l’homme a estimé qu’il y avait eu violation du droit de réunion, et a souligné l’obligation de protéger les participants au rassemblement en question :

Le Comité fait observer que la liberté de réunion protège les manifestations défendant des idées qui peuvent être considérées comme dérangeantes ou choquantes par d’autres personnes et qu’en pareil cas, les États parties sont tenus de protéger contre toute violence ceux qui participent à de telles manifestations conformément à leurs droits. Il fait également observer qu’un risque imprécis et général de contre manifestation violente ou la simple possibilité que les autorités ne soient pas en mesure de prévenir ou de neutraliser cette violence ne constitue pas un motif suffisant pour interdire une manifestation (…) l’État partie avait pour obligation de protéger l’auteur dans l’exercice de ses droits au titre du Pacte, et de ne pas contribuer à abolir ceux ci. En conséquence, le Comité conclut que la restriction imposée aux droits de l’auteur n’était pas nécessaire, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sûreté publique, et qu’il y a eu violation de l’article 21 du Pacte.138Alexeïev c. Fédération de Russie, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 25 octobre 2013, Doc. Nations Unies CCPR/C/109/D/1873/2009, point 9.6.

La CEDH a adopté une approche très similaire. Dans l’affaire Barankevich c. Russie, par exemple, les requérants s’étaient vus refuser l’autorisation de célébrer un service chrétien évangélique en public, au motif que la plupart des résidents étaient d’une confession autre et qu’en conséquence, le service pourrait causer du mécontentement et des troubles de l’ordre public. La CEDH a estimé qu’une telle restriction constituait une violation ; les autorités auraient dû prendre des mesures raisonnables et appropriées afin de permettre le déroulement pacifique du rassemblement :

Il serait incompatible avec les valeurs sous-jacentes de la Convention que l’exercice des droits consacrés par cette dernière par un groupe minoritaire se trouve subordonné à son acceptation par la majorité. Si tel était le cas, les droits d’un groupe minoritaire à la liberté de culte, à la liberté d’expression et de réunion deviendraient purement théoriques, et ils ne seraient nullement pratiques et effectifs, contrairement aux exigences de la Convention (…).
La Cour souligne à ce propos que la liberté de réunion garantie par l’article 11 de la Convention protège les manifestations susceptibles de heurter ou mécontenter des éléments hostiles aux idées ou revendications qu’elles veulent promouvoir. Les participants doivent pourtant pouvoir la tenir sans avoir à redouter des brutalités que leur infligeraient leurs adversaires. Il incombe ainsi aux États contractants adopter des mesures raisonnables et appropriées afin d’assurer le déroulement pacifique des manifestations licites.139Barankevich c. Russie, CEDH, arrêt du 26 juillet 2007, points 31 et 32 (uniquement disponible en anglais) (références omises) ; voir également Plattform "Ärzte für das Leben" c. Autriche, CEDH, arrêt du 21 juin 1988, point 32.

La CEDH a par ailleurs déclaré que les attitudes négatives des tiers ne constituaient pas une raison de déplacer un rassemblement hors du centre-ville :

[L}es attitudes négatives des tiers vis-à-vis des points de vue exprimés lors d’un rassemblement public ne justifient ni le refus d’autoriser ledit rassemblement ni la décision de l’interdire dans le centre-ville pour ne permettre sa tenue qu’en périphérie.140Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 425. (uniquement disponible en anglais)

Dans ce cas, la société se caractériserait par l’impossibilité de prendre connaissance de différents points de vue sur toute question allant à l’encontre de la sensibilité de l’opinion majoritaire.141Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 2 octobre 2001, para 107.

Le droit de réunion pacifique offre, pour reprendre les termes utilisés par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, des « possibilités inestimables » d’exprimer des opinions politiques, de s’adonner à des activités littéraires et d’autres occupations culturelles, économiques et sociales et de pratiquer sa religion.142Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Résolution 15/21 sur le droit de réunion pacifique et d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/15/21, 6 octobre 2010.

Les tribunaux et les mécanismes internationaux soulignent qu’il existe un risque particulier de restrictions illégitimes lorsque le droit de réunion est utilisé pour exprimer des points de vue critiques sur les autorités ou d’autres intérêts puissants. Les restrictions dans ces domaines doivent être surveillées de près.

Le Comité des droits de l’homme a déclaré dans L’Observation générale no 37:

Étant donné que les réunions pacifiques ont souvent pour fonction d’être un lieu d’expression, et que le discours politique jouit d’une protection spéciale en tant que forme d’expression, des efforts redoublés devraient être faits pour permettre la tenue des réunions exprimant un message politique, et celles-ci devraient bénéficier d’une protection renforcée.143Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 32.

La ComIDH et la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont, quant à elles,

affirmé de façon constante la nécessité que le test afférent aux limitations soit appliqué de manière plus stricte lorsqu’il est question d’expressions concernant l’État, les affaires d’intérêt public, les fonctionnaires publics dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ou les candidats à une charge publique, ou encore des particuliers qui participent volontairement à des affaires publiques, ainsi qu’à des discours et à des débats politiques.144ComIDH, Report on the Criminalization of the Work of Human Rights Defenders, OEA/Ser.L/V/II, Doc.49/15, 31 décembre 2015, point 95. (uniquement disponible en anglais)

De même, la CEDH a souligné, dans l’affaire Sergey Kuznetsov c. Russie, que les restrictions imposées aux rassemblements concernant les « discours politiques ou des questions sérieuses d’intérêt général » portaient atteinte à la démocratie et requéraient des motifs solides :

[L]es mesures entravant la liberté de réunion et d’expression en dehors des cas d’incitation à la violence ou de rejet des principes démocratiques – aussi choquants et inacceptables que peuvent sembler certains points de vue ou termes utilisés aux yeux des autorités – desservent la démocratie, voire, souvent, la mettent en péril. Dans une société démocratique fondée sur l’État de droit, les idées qui contestent l’ordre établi doivent se voir offrir une possibilité convenable de s’exprimer à travers l’exercice du droit de réunion, ainsi que par d’autres moyens légaux (…).

[L]a Cour note que le piquet avait pour objet d’attirer l’attention publique sur le prétendu dysfonctionnement du système judiciaire dans la région de Sverdlovsk. Cette question sérieuse relevait, indéniablement, du débat politique concernant une affaire d’intérêt public et général. La Cour réitère, à ce propos, son approche constante consistant à exiger des motifs très solides pour justifier les restrictions imposées au débat politique ou les questions sérieuses d’intérêt général, telles que la corruption du système judiciaire (…).145Sergey Kuznetsov c. Russie, CEDH, arrêt du 23 octobre 2008, points 45 à 47. (uniquement disponible en anglais).

Dans l’affaire Hyde Park et autres c. Moldavie (n° 5 et 6), la CEDH a encore souligné la nécessité de faire preuve de tolérance à l’égard des critiques visant les personnages publics, même si celles-ci sont exprimées en des termes durs :

Les requérants cherchaient à protester contre le prétendu harcèlement pratiqué par le Ministère de l’intérieur. (…) Même si leurs signes et leurs chants visaient à insulter le Ministre, il s’agissait-là, clairement, d’un personnage public d’une certaine importance en Moldavie. Dans une société démocratique, il convient de faire preuve d’une plus grande tolérance vis-à-vis de ceux qui expriment des opinions critiques à l’égard de tels personnages, et cela même si lesdites opinions sont exprimées de façon non explicite ou sans retenue.146Hyde Park et autres c. Moldavie (n° 5 et 6), CEDH, arrêt du 14 septembre 2010, point 43. (uniquement disponible en anglais)

Le choix du lieu du rassemblement par les organisateurs fait partie intégrante du droit à la liberté de réunion pacifique. Souvent, le lieu du rassemblement est une part importante de son message ; une protestation demandant des comptes au sujet d’une explosion de gaz, par exemple, peut se tenir sur le site de l’explosion et à la même heure que celle-ci. De même, les espaces publics situés autour des bâtiments emblématiques constituent un emplacement logique pour faire passer un message concernant les institutions qu’ils hébergent.

Le Comité des droits de l’homme,147Voir, par exemple, Denis Turchenyak et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 10 septembre 2013, Doc. des Nations Unies CCPR/C/108/D/1948/2010, point 7.4 ; Pavel Kozlov et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 7 mai 2015, Doc. des Nations Unies CCPR/C/113/D/1949/2010, point 7.4 ; et Leonid Sudalenko c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 28 décembre 2015, Doc. des Nations Unies CCPR/C/115/D/2016/2010, point 8.4.le Rapporteur spécial des Nations Unies,148Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 60. (uniquement disponible en anglais). la CEDH,149Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 405. (uniquement disponible en anglais) le BIDDH/OSCE dans ses lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique150BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 3.5 et notes explicatives, point 45 et les lignes directrices sur la liberté d’association et réunion en Afrique de la ComADHP151ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 90 ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 62, point 17.et le Rapport sur la protestation et les droits de l’homme de la CIDH152Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), points 73, 75-76. (uniquement disponible en anglais)soulignent tous que les organisateurs ont le droit de manifester dans « un lieu qui soit à portée de vue et d’ouïe du public cible », et que les États sont tenus de faciliter le rassemblement dans ce lieu.

La CEDH a également déclaré, de manière plus générale, ce qui suit :

Pour la Cour, le droit à la liberté de réunion inclut le droit de choisir le moment, le lieu et les modalités du rassemblement, dans les limites prévues à l’article 11, point 2.153Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, point 21.  (uniquement disponible en anglais)

Vue que la liberté de réunion englobe aussi bien les rassemblements statiques que ceux en mouvement, le lieu choisi peut être soit un lieu unique, soit une série de lieux au fil du parcours.

Le lieu privilégié par les organisateurs ne sera pas toujours préféré par ou adapté aux yeux des autorités ou du public. Or, le principe général selon lequel il convient de faire preuve de tolérance par rapport aux perturbations causées inévitablement par les rassemblements signifie que le choix du lieu doit, en principe, être respecté. Selon la CEDH, les autorités doivent :

[envisager] des moyens de minimiser les perturbations de la vie quotidienne, par exemple en organisant une déviation temporaire de la circulation sur des routes alternatives, ou en adoptant des mesures similaires, tout en composant avec l’intérêt légitime des organisateurs à se réunir à portée de vue et d’ouïe du public cible.154Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 423 (références omises) (uniquement disponible en anglais) Voir également Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, point 21. (uniquement disponible en anglais)

Si un rassemblement simultané a été prévu au même endroit, ceci n’est pas une raison pour interdire le lieu, sauf s’il existe des « signes clairs et objectifs que les deux évènements ne pourront être gérés de manière appropriée dans le cadre d’une intervention policière ».155Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 422. (uniquement disponible en anglais). Voir également Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, point 21. (uniquement disponible en anglais) De même, le fait qu’un rassemblement puisse gêner ou provoquer des tiers contraint les autorités à trouver des moyens d’autoriser la tenue du rassemblement sans perturbation, plutôt que de le déplacer dans un lieu moins en vue.156Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 422. (uniquement disponible en anglais) Voir également Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, point 21. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie [cliquer ici pour un exposé complet], la CEDH a établi clairement qu’un effort particulier devait être consenti pour faciliter le rassemblement si le lieu choisi revêt une importance cruciale pour ses organisateurs, par exemple du fait qu’il soit associé à un évènement historique.157Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 2 octobre 2001, point 109.Cet effort additionnel peut, par exemple, consister à déployer des forces de police pour faciliter le rassemblement.

Dans l’affaire Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, les requérants plaidaient pour les intérêts de la minorité macédonienne en Bulgarie. Ils souhaitaient organiser des évènements commémoratifs sur les tombes de personnages historiques qu’ils considéraient comme des martyrs macédoniens. Les mêmes personnages étaient toutefois honorés également en tant que héros nationaux bulgares. Craignant des troubles, les autorités avaient décidé d’interdire la tenue des évènements prévus par les requérants au même endroit et à la même heure que les cérémonies officielles. La CEDH a rejeté l’argument invoqué par le gouvernement bulgare selon lequel les requérants auraient dû choisir d’autres sites ou d’autres dates pour leurs rassemblements :

[L]es lieux et dates des cérémonies revêtaient manifestement une importance cruciale pour les requérants, ainsi que pour les participants à la cérémonie officielle. Malgré la marge d’appréciation dont bénéficie le gouvernement en la matière, la Cour n’est pas convaincue qu’il était impossible de garantir que les deux célébrations se déroulent de manière pacifique, soit en même temps, soit l’une à la suite de l’autre.158Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 2 octobre 2001, point 109.

La CEDH a rendu une décision comparable dans l’affaire Öllinger c. Autriche. Le requérant, un député autrichien, avait informé la police de son intention d’organiser un rassemblement silencieux en présence d’environ six personnes au cimetière municipal de Salzbourg, pour rendre hommage aux Juifs de Salzbourg tués par les S.S. durant la Seconde Guerre mondiale. La réunion devait se tenir le jour de la Toussaint, une fête religieuse à l’occasion de laquelle la population a l’habitude de se rendre au cimetière pour se recueillir sur la tombe des défunts. Elle aurait ainsi coïncidé avec un hommage annuel controversé aux soldats S.S tués pendant la guerre, organisé par une association d’anciens membres des S.S. La police avait interdit la réunion, invoquant qu’elle pourrait provoquer des perturbations qui heurteraient les sentiments religieux des personnes venant se recueillir au cimetière.

La CEDH a estimé qu’une telle interdiction était disproportionnée et que les autorités auraient dû, à la place, déployé des forces de police pour garantir la tenue des deux rassemblements sans incident :

Tout d’abord, la réunion n’était nullement dirigée contre les croyances des personnes venues au cimetière ou contre la manifestation de ces croyances. De plus, le requérant n’attendait qu’un petit nombre de participants, qui envisageaient d’exprimer leur opinion par des moyens pacifiques et silencieux – ils devaient porter des messages commémoratifs – et avaient expressément écarté le recours aux chants et aux banderoles. En conséquence, la réunion prévue n’aurait pas en soi heurté les sentiments des visiteurs du cimetière.

Dans ces circonstances, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du Gouvernement selon lequel la solution qui consistait à autoriser la tenue des deux rassemblements et à prendre des mesures préventives, telles qu’une présence policière pour tenir les deux groupes à distance l’un de l’autre, n’était pas viable et ne permettait pas de préserver le droit du requérant à la liberté de réunion tout en offrant une protection suffisante aux droits des personnes venues se recueillir au cimetière.159Öllinger c. Autriche, CEDH, arrêt du 29 juin 2006, points 47 et 48.

Les rassemblements ne peuvent pas être restreints à des lieux pré-déterminés

Le droit des organisateurs de choisir le lieu implique que la limitation des rassemblements à certains lieux pré-déterminés par la loi n’est pas autorisée. Ce principe a été confirmé par le Comité des droits de l’homme.

Le Comité note que le fait de limiter les piquets à certains lieux pré-déterminés (…) ne semble pas satisfaire aux conditions de nécessité et de proportionnalité énoncées à l’article 19 du Pacte.160Pavel Levinov c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 14 juillet 2016, Doc. des Nations Unies CCPR/C/117/D/2082/2011, point 8.3.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies a, lui aussi, souligné que le fait de restreindre les manifestations à des zones particulières « empêche les organisateurs et les participants de choisir les lieux qu’ils estiment les plus appropriés pour exprimer leurs aspirations et doléances ».161Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Mission à Kazakhstan, Doc. des Nations Unies A/HRC/29/25/Add.2, point 53. (uniquement disponible en anglais).Le rapport de la CIDH sur la protestation et les droits de l’homme note également que « le fait d’imposer de manière informelle ou formelle aux organisateurs l’attente de négocier avec les autorités l’heure et le lieu du rassemblement est tout aussi inapproprié. »162Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 74.

Tout refus ou toute modification doit passer avec succès le test en trois volets

Comme dans le cas de la liberté de réunion pacifique, le droit de choisir le lieu du rassemblement n’est pas un droit absolu. Néanmoins, les limitations imposées à ce dernier doivent passer avec succès le test en trois volets concernant les restrictions légitimes à la liberté de réunion en vertu du droit international. Le rapport de la CIDH sur la protestation et les droits de l’homme stipule que « les restrictions quant au moment, au lieu ou à la manière de protester doivent être exceptionnelles, définies au cas par cas et justifiées sur la base de la protection des personnes. Toute ingérence de l’État dans le moment et le lieu d’une manifestation doit répondre aux critères de nécessité et de proportionnalité dans une société démocratique ».163Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 71.(uniquement disponible en anglais)

Le Comité des droits de l’homme a affirmé, à maintes reprises, ce qui suit :

Les organisateurs d’une réunion ont, en règle générale, le droit de choisir un lieu qui soit à portée de vue et d’ouïe du public ciblé, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions a) imposées conformément à la loi et b) qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui.164Voir, par exemple, Denis Turchenyak et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 10 septembre 2013, Doc. des Nations Unies CCPR/C/108/D/1948/2010, point 7.4 ; Pavel Kozlov et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 7 mai 2015, Doc. des Nations Unies CCPR/C/113/D/1949/2010, point 7.4 ; et Leonid Sudalenko c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 28 décembre 2015, Doc. des Nations Unies CCPR/C/115/D/2016/2010, point 8.4.

De même, dans l’affaire Lashmankin et autres c. Russie, la CEDH a statué comme suit :

Le droit à la liberté de réunion inclut le droit de choisir le moment, le lieu et les modalités du rassemblement, dans les limites prévues à l’article 11, point 2 (…). En conséquence, dans les cas où le moment et le lieu du rassemblement sont essentiels pour les participants, un ordre imposant la modification dudit moment ou dudit lieu constitue une entrave à la liberté de réunion.(…)

Cette entrave constitue une violation de l’article 11, sauf si elle est « prescrite par la loi », si elle vise un ou plusieurs des buts légitimes au sens du point 2 et si elle est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le but ou les buts en question.165Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, points 405 à 409 (références omises). (uniquement disponible en anglais) Voir également Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, point 21. (uniquement disponible en anglais)

Premièrement, cela signifie que tout pouvoir dont disposent les autorités pour interdire le lieu de rassemblement privilégié par les organisateurs devrait être prescrit par la loi, de sorte à restreindre de manière effective le pouvoir discrétionnaire des autorités. La CEDH a considéré qu’une loi russe autorisant les autorités à formuler des propositions « bien motivées » pour modifier le lieu d’un rassemblement était trop vague. La Cour a souligné qu’il était très difficile, voire impossible, d’établir qu’une décision n’était pas bien motivée.166Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, points 416 à 430. (uniquement disponible en anglais) Voir également Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, point 21. (uniquement disponible en anglais)

Deuxièmement, tout refus du lieu de rassemblement choisi devrait viser un but légitime, comme la préservation de l’ordre public ou de la sécurité. Il pourrait en être ainsi si le nombre de participants prévus par les organisateurs dépasse nettement la capacité du lieu envisagé167Primov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 12 juin 2014, points 130 à 131. (uniquement disponible en anglais)ou s’il existe des préoccupations objectives concernant la sécurité.168Disk and Kesk c. Turquie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, points 29 à 32. (uniquement disponible en anglais)

Troisièmement, le refus doit être véritablement nécessaire et proportionné, ce qui signifie que les difficultés posées par le lieu envisagé ne peuvent être atténuées et qu’elles sont suffisamment graves pour justifier le refus. Les autorités doivent « attacher suffisamment d’importance à la liberté de réunion » et éviter de trop composer avec « la protection d’autres intérêts, tels que les droits et les libertés des personnes qui ne participent pas au rassemblement, ou encore la volonté d’éviter des perturbations, même mineures, de la vie quotidienne ».169Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 427. (uniquement disponible en anglais) Voir également Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, point 21. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Chebotareva c. Fédération de Russie [cliquer ici pour un exposé complet], le Comité des droits de l’homme a conclu à une violation du droit à la liberté de réunion car les autorités souhaitaient rediriger un piquet vers un autre lieu (que l’organisateur estimait inadapté) dans des circonstances où cela ne s’avérait pas clairement nécessaire.170Chebotareva c. Fédération de Russie, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 26 mars 2012, Doc. des Nations Unies CCPR/C/104/D/1866/2009, point 9.3. (uniquement disponible en anglais).

L’affaire Chebotareva c. Fédération de Russie avait été introduite par une ressortissante russe qui avait tenté, à deux reprises, d’organiser un petit piquet pour rendre hommage à un journaliste assassiné. La première fois, elle avait été informée par les autorités locales que ces dernières envisageaient elles-mêmes d’organiser un évènement à la même heure et au même endroit, et lui avaient proposé un autre lieu à la place. Selon Mme Chebotareva, le lieu ainsi proposé était inadapté car il se situait en dehors du centre-ville, et l’évènement prétendument envisagé par les autorités n’a jamais eu lieu. La deuxième fois, les autorités avaient interdit le lieu choisi par l’organisatrice, invoquant un manque de sécurité en raison de la forte circulation automobile et piétonne. Le Comité a estimé que les raisons fournies par les autorités n’étaient pas adéquates et qu’en conséquence, il y avait eu violation de l’article 21 du PIDCP :

[L’]État partie n’a pas démontré pourquoi il était nécessaire d’empêcher les deux manifestations en question pour protéger la sécurité nationale, la sûreté publique et l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. De plus, l’État partie n’a jamais réfuté l’allégation de l’auteur qui a affirmé qu’aucune manifestation n’avait eu lieu sur la place Gorki le 7 octobre 2007 et que la Journée de l’enseignant invoquée par la mairie n’était qu’un prétexte pour rejeter sa demande. Dans ces circonstances, le Comité conclut que l’État partie a violé le droit que tient l’auteur de l’article 21 du Pacte.171Chebotareva c. Fédération de Russie, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 26 mars 2012, Doc. des Nations Unies CCPR/C/104/D/1866/2009, point 9.3. (uniquement disponible en anglais)

De même, dans l’affaire Sáska c. Hongrie [cliquer ici pour un exposé complet], la CEDH a fait valoir que les autorités hongroises avaient violé le droit à la liberté de réunion en demandant à l’organisateur de restreindre une manifestation à une zone déterminée de la place qu’il souhaitait utiliser, et ce sans fournir quelque motif sérieux que ce soit expliquant les raisons pour lesquelles le reste de la place n’était pas disponible.172Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 de novembre 2012, points 22 et 23.

Dans l’affaire Sáska c. Hongrie, le requérant avait souhaité organiser une manifestation sur la grande place située devant le Parlement hongrois. La police lui avait demandé de restreindre le rassemblement a une partie retirée de la place, plutôt qu’à l’ensemble de cette dernière. Sáska avait refusé, de sorte que la police avait interdit la manifestation. La CEDH n’avait pas été convaincue par l’argument invoqué par le gouvernement hongrois selon lequel la place devait demeurer dégagée afin de s’assurer que les députés puissent vaquer à leurs occupations sans entrave. En conséquence, l’interdiction s’est avérée injustifiée :

La Cour prend bonne note de l’affirmation avancée par le requérant selon laquelle une autre manifestation prévue exactement au même endroit le 15 octobre 2008 n’avait pas été interdite par les autorités. De l’avis de la Cour, il s’agit là d’un élément important, car à ladite date (…) cinq commissions parlementaires tenaient session (…) [O]r, à la date de l’évènement envisagé par le requérant, aucune activité parlementaire n’était en cours (…). En conséquence, la Cour ne peut que conclure que l’interdiction de la manifestation ne répondait pas à un besoin social impérieux, même face à l’intransigeance dont le requérant avait fait preuve en refusant de tenir compte de la proposition conciliante de la police (voir point 8 ci-dessus). Ainsi, la mesure n’était pas nécessaire dans une société démocratique.173Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 de novembre 2012, points 22 et 23. (uniquement disponible en anglais)

Un autre lieu approprié doit être proposé si celui choisi est véritablement inadapté

Le Comité des droits de l’homme a affirmé, à maintes reprises, que lorsque les autorités restreignaient la liberté de réunion pacifique, elles devaient être guidées par l’objectif de faciliter l’exercice dudit droit :

(…) lorsqu’il impose des restrictions dans le but de concilier le droit de réunion d’un particulier avec l’intérêt général (…), un État partie devrait chercher à faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés.174Voir, par exemple, Vladimir Kirsanov c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 5 juin 2014, Doc. des Nations Unies CCPR/C/110/D/1864/2009, point 9.7.

Dans le droit fil de cette approche, la CEDH a jugé, dans l’affaire Primov et autres c. Russie [cliquer ici pour un exposé complet] que s’il existait des raisons impérieuses pour qu’un acte de protestation n’ait pas lieu dans le lieu choisi par son organisateur à de tels effets, « il appartient aux autorités de réfléchir aux solutions alternatives envisageables et de proposer un autre lieu aux organisateurs ».175Primov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 12 juin 2014, points 130 à 131. Dans le même esprit, voir Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 60. (uniquement disponible en anglais) Une telle proposition devrait être formulée en temps et en heure, et non pas « à la dernière minute, lorsqu’il [est] quasiment impossible pour les organisateurs de modifier la forme, la portée et le calendrier de l’évènement ».176Primov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 12 juin 2014, point 147. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Primov et autres c. Russie, les autorités locales avaient interdit une manifestation pour plusieurs motifs, notamment le fait que les organisateurs attendaient 5 000 participants et que le parc où ils souhaitaient tenir le rassemblement ne pouvait accueillir que 500 personnes. La CEDH avait reconnu que le risque de surcharge constituait une raison légitime pour restreindre l’utilisation d’un lieu donné pour un rassemblement. Toutefois, face à une telle situation, l’interdiction pure et simple de l’évènement constitue une réaction disproportionnée :

 [M]ême si un parc est, à priori, un « espace public » adapté à la tenue d’un rassemblement de masse, sa taille est un motif pertinent, car le risque de surcharge lors d’un évènement public constitue un danger considérable. Il n’est pas inhabituel que les autorités publiques de différents pays imposent des restrictions affectant le lieu, la date, le moment, la forme ou les modalités d’organisation d’un rassemblement public prévu (…). Aussi, la Cour reconnaît que de telles restrictions visent, en principe, un objectif légitime. (…) Cela étant dit, la Cour ne considère pas que la taille du parc constituait un motif suffisant pour interdire totalement la manifestation. (…) La Cour considère qu’en l’espèce, il appartenait aux autorités de réfléchir aux solutions alternatives envisageables et de proposer un autre lieu aux organisateurs.177Primov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 12 juin 2014, points 130 à 131. (uniquement disponible en anglais)

Malgré son interdiction, la manifestation avait eu lieu. Les manifestants entendaient pénétrer dans les locaux de l’administration d’arrondissement ; les autorités avaient bloqué leur passage et proposé alors un lieu alternatif dans le village, à savoir le garage municipal. De l’avis de la CEDH, une proposition de modification du lieu doit intervenir en temps et en heure :

Ladite proposition a été formulée à la dernière minute, lorsqu’il était quasiment impossible pour les organisateurs de modifier la forme, la portée et le calendrier de l’évènement. En conséquence, la Cour considère que la proposition alternative formulée par l’administration était inappropriée.178Primov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 12 juin 2014, point 147. (uniquement disponible en anglais)

Le lieu alternatif proposé par les autorités ne doit pas nuire à l’efficacité de l’acte de protestation. Le Rapporteur spécial des Nations Unies a mis en garde contre « la pratique en vertu de laquelle les autorités autorisent la tenue d’une manifestation, mais uniquement à la périphérie de la ville ou sur une place particulière, où elle aura moins d’écho ».179Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 40.La CEDH partage ce point de vue :

[L] e lieu ou le moment proposé par les autorités en tant qu’alternative du lieu choisi par les organisateurs devrait être tel que le message que ces derniers souhaitent faire passer puisse toujours être communiqué (…). La Cour estime que la pratique en vertu de laquelle les autorités autorisent la tenue d’un rassemblement, mais uniquement dans un lieu qui ne se trouve pas à portée de vue et d’ouïe du public ciblé et dans lequel il aura moins d’écho est incompatible avec les exigences énoncées à l’article 11 de la Convention.180Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 426. (uniquement disponible en anglais) Voir également Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, point 21. (uniquement disponible en anglais)

Toute restriction portant sur le lieu d’un rassemblement devrait pouvoir être contestée immédiatement

Si les autorités appliquent des restrictions au lieu d’un rassemblement, l’organisateur a le droit d’introduire  une procédure d’appel accélérée. Selon le rapport de la ComIDH sur la protestation et les droits de l’homme,

Si les autorités décident qu’il est nécessaire de modifier les circonstances de temps et de lieu, un recours adéquat et efficace doit être prévu pour pouvoir contester cette décision, qui doit être jugée par une autorité autre que celle qui a pris la décision. Étant donné que le délai peut être court, des mesures provisoires peuvent être prises à cet effet.181Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 80. (uniquement disponible en anglais)

En principe, les rues peuvent être utilisées pour la tenue d’actes de protestation, même si ces derniers perturbent la circulation

Le principe général selon lequel les autorités devraient faire preuve de tolérance vis-à-vis des perturbations causées par un rassemblement revêt une importance toute particulière lorsque ce dernier a lieu sur une route ou sur toute autre voie publique.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies et la ComIDH ont expressément reconnu que « dans une société démocratique, l’espace urbain n’est pas seulement un lieu de circulation, mais aussi un lieu de participation ».182Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 11 ; ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 136. (uniquement disponible en anglais)L’Observation générale no 37 déclare que « les réunions pacifiques peuvent en principe être organisées en tout lieu accessible au public ou auquel le public devrait avoir accès, comme les places publiques et la voie publique. »183Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 55.Dans le même sens, les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique du BIDDH/OSCE affirment que « (…) la protestation publique et la liberté de réunion devraient, en règle générale, être considérées comme relevant d’une utilisation de l’espace public aussi légitime que l’usage plus habituel qui en est fait habituellement (activités commerciales, circulation des piétons et des véhicules ».184BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 20.

Ainsi, aucune de ces utilisations concurrentes de l’espace public ne l’emporte automatiquement sur les autres. En effet, il appartient aux autorités publiques, pour reprendre les termes de la CEDH, de « trouver un juste équilibre entre les droits de ceux souhaitant exercer leur liberté de réunion et ceux des autres dont la liberté de circulation pourrait … [s’en trouver] temporairement entravée de ce fait ».185Körtvélyessy c. Hongrie, CEDH, arrêt du 5 avril 2016, point 29  (uniquement disponible en anglais) et Patyi et autres c. Hongrie, CEDH, arrêt du 7 octobre 2008, point 42. (uniquement disponible en anglais).

Les autorités sont tenues de gérer la circulation autour des rassemblements

Les États ont l’obligation positive de faciliter la tenue des réunions pacifiques. La ComIDH a indiqué que

les institutions étatiques compétentes ont l’obligation de mettre en place des plans opérationnels et des procédures visant à faciliter l’exercice du droit de réunion (…) [y compris] le réacheminement de la circulation piétonne et automobile dans une zone déterminée.186ComIDH, Report on Citizen Security and Human Rights, OEA/Ser.L/V/II, Doc 57, 31 décembre 2009, point 193. (uniquement disponible en anglais)

De même, la CEDH a reconnu l’existence d’une obligation, à la charge des autorités, d’adopter

les mesures nécessaires pour minimiser toute perturbation de la circulation, ou d’autres mesures de sécurité, telles que l’envoi de secours d’urgence sur les lieux des réunions ou des manifestations, afin de garantir le bon déroulement des événements de ce type.187Novikova et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 26 avril 2016, point 171. (uniquement disponible en anglais) Voir également Oya Ataman c. Turquie, CEDH, arrêt du 5 décembre 2006, point 39.

Dans l’affaire Körtvélyessy c. Hongrie, les autorités hongroises avaient interdit une manifestation craignant que celle-ci gênerait sérieusement à la circulation dans la zone. La CEDH a fait valoir qu’il s’agissait-là d’une violation du droit de réunion, n’étant pas convaincue que des mesures de facilitation appropriées « n’auraient pas pu contribuer à autoriser la tenue de la manifestation sans perturbation grave de la circulation ».188Körtvélyessy c. Hongrie, CEDH, arrêt du 5 avril 2016, points 28 à 29 (uniquement disponible en anglais)

Si les autorités manquent à leur obligation de tenter de gérer la circulation de façon proactive lors d’un rassemblement, les perturbations qui en résultent pourraient ne pas justifier aisément une entrave de ce dernier.

Critères afférents aux restrictions imposées aux rassemblements qui affectent sérieusement la circulation

Si la menace de perturbation de la circulation (ou la perturbation effective) causée par le rassemblement est particulièrement grave et ne peut être évitée en adoptant des mesures pour la gérer, l’imposition de restrictions peut se justifier dans certains cas, sous réserve que ces dernières passent avec succès le test en trois volets, y compris l’exigence de proportionnalité. Le Rapporteur spécial a toutefois souligné que parce que« les manifestations pacifiques sont un usage légitime de l’espace public et qu’un certain degré de perturbation de la vie courante, notamment de la circulation, doit être toléré … bloquer la circulation ne devrait jamais faire l’objet de sanctions pénales ».189Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Doc. des Nations Unies A/74/349, 11 septembre 2019, point 46.

La jurisprudence de la CEDH et d’autres sources laissent penser que les facteurs suivants sont pertinents pour déterminer si une restriction dans l’intérêt de la liberté de circulation est justifiée : (1) l’impact réel du rassemblement ; (2) sa durée ; (3) si les autorités ont été averties au préalable de la tenue du rassemblement ; (4) si la perturbation est intentionnelle et grave (par exemple, car le rassemblement se fait sous la forme du blocage d’une autoroute). L’Observation générale no 37 déclare donc : « Un rassemblement qui demeure pacifique mais entraîne d’importantes perturbations, comme une paralysie étendue de la circulation, ne peut être dispersé, en règle générale, que si les perturbations sont « graves et de longue durée ». »190Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 85.

L’absence d’impact réel avait incité la CEDH à conclure à l’existence d’une violation du droit de réunion dans le cadre de l’affaire Körtvélyessy c. Hongrie [cliquer ici pour un exposé complet].191Körtvélyessy c. Hongrie, CEDH, arrêt du 5 avril 2016, points 28 à 29 (références omises) ; voir également Patyi et autres c. Hongrie, CEDH, arrêt du 7 octobre 2008, point 42.La Cour n’avait pas été convaincue qu’un rassemblement prévu dans une voie sans issue, bien que contenant des commerces et d’autres installations, aurait causé un degré de perturbation de la circulation suffisant pour justifier l’interdiction qu’il s’était vu imposer.

Dans l’affaire Körtvélyessy c. Hongrie, le requérant avait notifié à la police son intention d’organiser une manifestation de moins de 200 personnes devant le pénitentiaire de Budapest, lequel se trouve dans une voie sans issue. Le département de police de Budapest avait interdit la manifestation car il craignait que l’accès aux commerces, à une décharge et à l’entrée des fournisseurs de la prison soit empêché. La CEDH a estimé que trop de poids avait été accordé aux considérations afférentes à la circulation, lesquelles, par ailleurs, n’étaient pas convaincantes :

La Cour note que (…) le fondement utilisé pour interdire le rassemblement tenait, exclusivement, à des questions relatives à la circulation (…). Sur ce point, la Cour réitère qu’une manifestation dans un lieu public peut causer un certain degré de gêne dans la vie quotidienne (…).

[L]a Cour n’est pas convaincue par l’explication fournie par le gouvernement quant au fait que la rue Venyige, une voie de cinq ou huit mètres de large, avec une vaste voie de service adjacente, n’aurait pas pu accueillir la manifestation sans perturbation grave de la circulation. En effet, de tels arguments ne semblent pas tenir compte du fait que la rue est une voie sans issue, de sorte que la circulation dans cette dernière présente une importance limitée (…).

En conséquence, la Cour conclut que les autorités, en interdisant la manifestation et en se fondant pour cela uniquement sur des considérations tenant à la circulation, n’ont pas trouvé un juste équilibre entre les droits de ceux souhaitant exercer la liberté de réunion et ceux des autres dont la liberté de circulation aurait pu s’en trouver, le cas échéant, temporairement entravée.192Körtvélyessy c. Hongrie, CEDH, arrêt du 5 avril 2016, points 28 à 29 (références omises) ; voir également Patyi et autres c. Hongrie, CEDH, arrêt du 7 octobre 2008, point 42.

Le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements souligne que lorsqu’un rassemblement bloque l’accès à des services essentiels tel que l’entrée des urgences d’un hôpital, une dispersion peut être justifiée.193Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements,Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 62.  (uniquement disponible en anglais) 62.

Deuxièmement, la durée de la perturbation de la circulation constitue, elle aussi, un critère important. La CEDH a fait grief aux autorités nationales, à maintes reprises, d’avoir agi trop rapidement pour mettre fin à des rassemblements qui menaçaient de perturber la circulation.194Oya Ataman c. Turquie, CEDH, arrêt du 5 décembre 2006, point 41 ;  Balçik et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 29 novembre 2007, point 51 ;  (uniquement disponible en anglais) Tahirova c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 3 octobre 2013, point 73. (uniquement disponible en anglais) En général, les manifestants devraient se voir offrir la possibilité effective de faire état de leurs points de vue, sous réserve qu’il n’existe pas un danger imminent pour l’ordre public.

Troisièmement, la CEDH souligne que la notification préalable de l’organisation d’un rassemblement permet aux autorités de remplir plus aisément leur obligation de gérer la circulation. Dans l’affaire Oya Ataman c. Turquie, la Cour avait considérée disproportionnée la dispersion très rapide de la manifestation, mais avait reconnu toutefois que le respect d’un

préavis aurait permis aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour réduire les perturbations de circulation que la manifestation pouvait causer à une heure de pointe. 195Oya Ataman c. Turquie, CEDH, arrêt du 5 décembre 2006, point 39.  (uniquement disponible en anglais)

Cela signifie que si les autorités sont prévenues à l’avance de la tenue d’un rassemblement, le seuil d’entrave de ce dernier en raison de la perturbation de la circulation est plus élevé.

L’affaire portée devant la Cour de justice de l’Union européenne, Eugen Schmidberger, Internationale Transporte und Planzüge/Autriche [cliquer ici pour un exposé complet] est un exemple intéressant de l’application de principe. Le différend trouvait son origine dans un rassemblement qui avait provoqué le blocage d’une autoroute importante pendant près de 30 heures. Les organisateurs avaient prévenu les autorités autrichiennes de leur intention d’organiser le barrage routier un mois à l’avance. Les autorités avaient autorisé la tenue du rassemblement et avaient adopté plusieurs mesures préventives pour limiter la perturbation de la circulation sur l’autoroute. Une société de transports qui, malgré tout, avait été victime de certains retards, avait demandé à être indemnisée, invoquant que le rassemblement aurait dû être interdit pour sauvegarder la libre circulation des marchandises. La Cour de justice s’était rangé à l’avis des autorités autrichiennes et avait jugé que celles-ci avaient estimé, à juste titre, qu’elles devaient autoriser la manifestation.196Affaire C-112/00, Eugen Schmidberger, Internationale Transporte und Planzüge/Republik Österreich, CJUE, arrêt du 12 juin 2003. (uniquement disponible en anglais)

L’affaire Eugen Schmidberger, Internationale Transporte und Planzüge/Republik Österreich dont la CJUE avait été saisie portait sur le blocage de l’autoroute du Brenner, une voie majeure empruntée par les poids lourds qui transitent entre l’Allemagne et l’Italie, lequel avait duré près de 30 heures. Le blocage avait été organisé par une organisation de défense de l’environnement en vue d’attirer l’attention sur les coûts sanitaires et environnementaux entraînés par l’augmentation du passage de poids lourds sur l’autoroute. Ladite organisation avait informé les autorités autrichiennes de ses intentions un mois à l’avance. Schmidberger, une société de transports allemande qui avait subi des pertes à cause du blocage de l’autoroute, avait poursuivi en justice le gouvernement autrichien. Elle estimait qu’en s’abstenant d’interdire la manifestation et de garder l’autoroute ouverte, l’Autriche avait violé le droit à la libre circulation des marchandises consacré par le droit de l’Union européenne. La Cour de justice avait conclu, néanmoins, que les autorités autrichiennes avaient trouvé un juste équilibre entre les intérêts en jeu :

[L]es autorités nationales compétentes ont pu estimer qu’une interdiction pure et simple de celui-ci aurait constitué une interférence inacceptable dans les droits fondamentaux des manifestants de se réunir et d’exprimer paisiblement leur opinion en public.
Quant à l’imposition de conditions plus strictes en ce qui concerne tant le lieu — par exemple sur le bord de l’autoroute du Brenner — que la durée — limitée à quelques heures seulement — du rassemblement en question, elle aurait pu être perçue comme constituant une restriction excessive de nature à priver l’action d’une partie substantielle de sa portée. Si les autorités nationales compétentes doivent chercher à limiter autant que possible les effets qu’une manifestation sur la voie publique ne manque pas d’avoir sur la liberté de circulation, il n’en demeure pas moins qu’il leur appartient de mettre cet intérêt en balance avec celui des manifestants, qui visent à attirer l’attention de l’opinion publique sur les objectifs de leur action.

S’il est vrai qu’une action de ce type entraîne normalement certains inconvénients pour les personnes qui n’y participent pas, en particulier en ce qui concerne la liberté de circulation, ceux-ci peuvent en principe être admis dès lors que le but poursuivi est essentiellement la manifestation publique et dans les formes légales d’une opinion.197Affaire C-112/00, Eugen Schmidberger, Internationale Transporte und Planzüge/Republik Österreich, CJUE, arrêt du 12 juin 2003, points 89 à 91.

Un différend quelque peu comparable avait opposé l’Uruguay et l’Argentine, en Amérique du Sud. L’autorisation par l’Uruguay de la construction d’une usine de pâte à papier sur les bords du fleuve qui sépare les deux pays avait causé de vives inquiétudes du côté argentin sur une éventuelle pollution. Début 2005, des manifestants avaient commencé, de façon intermittente, à bloquer les ponts sur le fleuve. Les autorités argentines n’étaient pas intervenues, de sorte que le principal poste frontalier avait été fermé pendant des mois. En juillet 2006, l’Uruguay avait assigné l’Argentine en justice dans le cadre du système de règlement de différends prévu par le bloc commercial du Mercosur. Le tribunal arbitral saisi de l’affaire avait souligné l’importance des droits de liberté d’expression et de réunion pacifique, mais avait estimé que l’Argentine avait accordé à ces derniers une priorité déraisonnable par rapport à la libre circulation des biens et des services, en autorisant les blocages à se poursuivre pendant trois mois durant une période de pointe pour le commerce et le tourisme.198Sentence arbitrale du Tribunal arbitral ad hoc Mercosur (Uruguay c. Argentine), 6 septembre 2006, points 178 et 179. (uniquement disponible en anglais).

La CEDH a clairement établi que l’important est que les autorités aient une connaissance préalable effective du rassemblement, de sorte qu’elles puissent adopter des mesures de gestion de la circulation, et non pas que les organisateurs dudit rassemblement se soient pliés à une exigence de notification préalable officielle. Dans l’affaire Balçik et autres c. Turquie, la police avait reçu des rapports des services de renseignements indiquant que des manifestants entendaient se rassembler dans le centre-ville d’Istanbul pour bloquer une ligne de tramway. La Cour avait critiqué « l’impatience » dont les autorités avaient fait preuve pour disperser la manifestation, au bout de 30 minutes, afin de restaurer l’ordre public. Elle avait indiqué, à ce propos, ce qui suit :

(…) bien qu’aucune notification n’ait été donnée, les autorités avaient une connaissance préalable (…) de la tenue de cette manifestation à ladite date et auraient pu, de ce fait, adopter des mesures préventives.199Balçik et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 29 novembre 2007, point 51. (uniquement disponible en anglais)

Quatrièmement, la CEDH semble exiger moins de tolérance de la part des autorités dans les cas d’obstruction intentionnelle et grave de la circulation que pour les rassemblements se tenant sur la voie publique où la perturbation de la circulation constitue un effet indésirable, ou pour les blocages de plus faible importance. Dans l’affaire Kudrevičius et autres c. Lituanie [cliquer ici pour un exposé complet], la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme avait statué comme suit :

[l]orsque des manifestants perturbent intentionnellement la vie quotidienne et les activités licites d’autrui, ces perturbations, lorsque leur ampleur dépasse celle qu’implique l’exercice normal de la liberté de réunion pacifique, peuvent être considérées comme des « actes répréhensibles » au sens de la jurisprudence de la Cour.200Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 173. Voir également Barraco c. France, CEDH, arrêt du 5 mars 2009, points 46 à 47.

L’affaire portait sur le blocage de trois autoroutes principales lituaniennes pendant environ 48 heures, et cela sans notification préalable des autorités. Des arrêts antérieurs de la CEDH suggèrent que les blocages routiers de plus faible envergure ne justifient pas un degré de tolérance réduit de la part des autorités. Dans l’affaire Balçik et autres c. Turquie, la Cour avait ainsi reproché aux autorités turques leur manque de tolérance vis-à-vis d’un blocage temporaire d’une seule ligne de tramway.201Balçik et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 29 novembre 2007, points 51 à 52. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Kudrevičius et autres c. Lituanie, les requérants faisaient partie d’un groupe d’agriculteurs qui rencontraient des difficultés en raison des faibles prix du lait, des céréales et de la viande. Ils s’étaient vus accorder l’autorisation de manifester dans plusieurs lieux. Les négociations avec le gouvernement ayant stagné, les requérants, avec d’autres agriculteurs, avaient placé des tracteurs sur les trois autoroutes principales lituaniennes. Ils n’avaient pas informé les autorités de cette action au préalable, et avaient ignoré les injonctions policières leur demandant de quitter les lieux. Les barrages avaient causé des perturbations importantes pendant deux jours. Les requérants avaient été condamnés par des tribunaux nationaux à 60 jours d’emprisonnement pour « émeutes », avec un sursis d’un an. Ils s’étaient vus également interdire de quitter leur domicile pendant une durée de plus de sept jours sans l’autorisation préalable des autorités.

S’agissant du niveau de protection applicable, la CEDH a statué comme suit :

Le refus délibéré des organisateurs de se conformer à ces règles et leur décision de structurer tout ou partie d’une manifestation de façon à provoquer des perturbations de la vie quotidienne et d’autres activités à un degré excédant le niveau de désagrément inévitable dans les circonstances constituent un comportement qui ne saurait bénéficier de la même protection privilégiée offerte par la Convention qu’un discours ou débat politique sur des questions d’intérêt général ou que la manifestation pacifique d’opinions sur de telles questions.202Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 156.

Dans le même temps, la Cour a souligné que les autorités devaient toutefois réagir face à de tels blocages routiers de façon proportionnée :

L’absence d’autorisation préalable et l’« illégalité » consécutive de l’action ne donne pas carte blanche aux autorités, lesquelles demeurent limitées par l’exigence de proportionnalité découlant de l’article 11. Il convient donc d’établir les raisons pour lesquelles la manifestation n’avait pas été autorisée dans un premier temps, l’intérêt général en jeu, et les risques que comportait le rassemblement. La méthode utilisée par la police pour décourager les manifestants, pour les contenir dans un endroit particulier ou pour disperser la manifestation constitue également un élément important pour apprécier la proportionnalité de l’ingérence.203Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 151. Voir également Primov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 12 juin 2014, point 119. (uniquement disponible en anglais).

In fine, la Cour a conclu qu’il n’y avait pas eu de violation des droits des requérants. Elle a noté que les agriculteurs avaient pu, en effet, tenir des rassemblements pacifiques dans les lieux sollicités par leurs soins au préalable, et que lorsqu’ils s’étaient déplacés jusqu’aux autoroutes la police n’avait pas dispersé les rassemblements par la force. Les sanctions infligées par la suite, bien que de nature pénale, n’étaient pas excessives.204Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, points 176 à 183.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies a exprimé son inquiétude face à la disposition de la Cour à autoriser le recours au droit pénal dans un tel contexte.205Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et Human Rights Centre de l’université de Gand, Third Party Intervention before the European Court of Human Rights in Mahammad Majidli v. Azerbaijan (no. 3) and three other applications, novembre 2015, points14 et 15. (uniquement disponible en anglais).

Le Rapporteur spécial des Nations Unies a affirmé, à plusieurs reprises, que les restrictions générales quant aux lieux, appliquées aux rassemblements étaient intrinsèquement disproportionnées et ne devraient donc pas être imposées.206Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 39 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies,Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association sur sa mission de suivi au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et de l’Irlande du Nord, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39/Add.1, 17 juin 2013, point 62 ; (uniquement disponible en anglais)  ; AGNU, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/68/299, 7 août 2013, point 25 ;  (uniquement disponible en anglais)  ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Mission à Oman, Doc. des Nations Unies A/HRC/29/25/Add.1, 27 avril 2015, point 29   (uniquement disponible en anglais) ; Rapporteur spécial des Nations Unies, amicus curiaebrief before the Supreme Court of the Nation of Mexico in constitutionality challenges 96/2014 and 97/2014 regarding the Mexico City Mobility Law, 20 août 2015, point 40  (uniquement disponible en anglais et espanol)  ; Rapporteur spécial des Nations Unies, amicus curiae brief before the High Court of Kenya at Nairobi, Constitutional and Human Rights Division, in petition no. 544 of 2015, 11 avril 2016, point 32 (uniquement disponible en anglais) .Il s’agit notamment des espaces situés à l’extérieur de bâtiments emblématiques :

(…) Les espaces situés à proximité de bâtiments emblématiques comme les palais présidentiels, les parlements ou les monuments commémoratifs devraient également être considérés comme des espaces publics et les réunions pacifiques devraient être autorisées en ces lieux. À cet égard, l’imposition de restrictions concernant le moment ou le lieu de la réunion ou la manière dont elle se déroule, exige que le strict critère de nécessité et de proportionnalité mentionné plus haut soit appliqué.207Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 66 (uniquement disponible en anglais).

Cette position a été confirmée par des organismes régionaux208BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, points 43 et 102 ; ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 83-84 ;  ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 20, point 25.et par la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, qui souligne que les rassemblements devraient avoir lieu « à portée de vue et d’ouïe du public cible ».209Voir, par exemple, Denis Turchenyak et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 10 septembre 2013, Doc. des Nations Unies CCPR/C/108/D/1948/2010, point 7.4 ; Pavel Kozlov et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 7 mai 2015, Doc. des Nations Unies CCPR/C/113/D/1949/2010, point 7.4 ; et Leonid Sudalenko c. Bélarus,  Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 28 décembre 2015, Doc. des Nations Unies CCPR/C/115/D/2016/2010, point 8.4.Dans son Observation générale no 37, le Comité déclare :

Il convient de façon générale d’éviter de désigner des zones où les rassemblements sont interdits tels que les abords d’un tribunal, du parlement, d’un site historique ou d’autres bâtiments officiels, notamment parce qu’il s’agit d’espaces publics. Toute restriction à la tenue d’une réunion dans et autour de tels lieux doit être justifiée précisément et bien délimitée.210Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 56.

La CEDH a jugé, à maintes reprises, qu’il y avait eu violation de la liberté de réunion lorsque les autorités nationales interdisent ou dispersent par la force des rassemblements organisés à l’extérieur de certains bâtiments publics, notamment des parlements,211Nurettin Aldemir et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 18 décembre 2007Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012 (uniquement disponible en anglais). des bâtiments administratifs,212Partie populaire démocrate-chrétien c. Moldavie, CEDH, arrêt du 14 février 2006 ; Özbent et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 9 juin 2015.les tribunaux213Sergey Kuznetsov c. Russie, CEDH, arrêt du 23 octobre 2008 ; Malofeyeva c. Russie, CEDH, arrêt du 13 mai 2013  (uniquement disponible en anglais) ; Kakabadze et autres c. Géorgie, CEDH, arrêt du 2 octobre 2012 (uniquement disponible en anglais).et la résidence du premier ministre.214Patyi et autres c. Hongrie, CEDH, arrêt du 7 octobre 2008 (uniquement disponible en anglais).

Dans l’affaire Lashmankin et autres c. Russie, les requérants dénonçaient une loi qui interdisait la tenue d’évènements publics « à proximité immédiate » de plusieurs types de bâtiments, tels que des tribunaux, des institutions pénitentiaires, les résidences du président, des usines de fabrication de produits dangereux, des lignes ferroviaires et des gazoducs ou oléoducs. La CEDH avait statué comme suit :

[U]ne interdiction générale des manifestations ne peut se justifier que s’il existe un réel danger que celles-ci provoquent des troubles qui ne peuvent être évités par la prise d’autres mesures moins restrictives. À ce propos, les autorités doivent tenir compte de l’effet de l’interdiction des manifestations qui ne constituent pas, en tant que telles, un danger pour l’ordre public. Uniquement dans le cas où les considérations de sécurité justifiant l’interdiction l’emportent clairement sur le préjudice dû à l’interdiction desdites manifestations, et où il n’est pas possible d’éviter de tels effets indésirables dus à cette dernière, en réduisant sa portée en termes d’application territoriale et de durée, l’interdiction en cause peut être considérée comme nécessaire au sens de l’article 11, point 2, de la Convention.215Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 434. (uniquement disponible en anglais)

Dans les circonstances de l’espèce, la Cour a conclu que la loi en question violait le droit à la liberté de réunion car elle ne « diminuait pas un risque précis pour la sécurité publique ou un risque précis de troubles en constituant une atteinte minimale au droit de réunion ».216Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 437. (uniquement disponible en anglais)C’est ainsi, par exemple, que la loi interdisait toute manifestation à proximité d’un tribunal, et non pas uniquement celles organisées dans le but de perturber l’administration de la justice.217Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 440. (uniquement disponible en anglais)

La portée des restrictions affectant les rassemblements à l’intérieur des bâtiments publics peut être plus large. Dans l’affaire Taranenko c. Russie [cliquer ici pour un exposé complet] la CEDH a jugé que la liberté d’expression « ne nécessite pas la création automatique de droits d’entrée dans des propriétés privées, ni même nécessairement dans tous les lieux relevant du domaine public, tels que, par exemple, les bureaux du gouvernement et les ministères »218Taranenko c. Russie, CEDH, arrêt du 15 mai 2014, point 78. (uniquement disponible en anglais)ou les universités.219Tuskia et autres c. Géorgie, CEDH, arrêt du 11 octobre 2018, point 75. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Taranenko c. Russie, la requérante avait été arrêtée avec un groupe d’environ 40 personnes qui avait occupé l’espace d’accueil du bâtiment de l’administration présidentielle, à Moscou, en brandissant des pancartes et en distribuant des tracts appelant à la démission du président. Elle soutenait qu’elle n’était pas membre du Partie national bolchevik, qui avait organisé la manifestation, mais qu’elle s’était rendue sur les lieux pour recueillir des informations pour sa thèse de sociologie. Après avoir passé près d’une année en détention provisoire, Mlle. Taranenko avait été reconnue coupable d’avoir participé à l’organisation de trouble à l’ordre public et condamnée à une peine d’emprisonnement de trois ans avec sursis et mise à l’épreuve. Le tribunal avait estimé que le fait qu’elle ait ou non rejoint le rassemblement pour effectuer des recherches était dépourvu de toute pertinence, car elle avait participé directement à la violation de la procédure d’admission dans le bâtiment, à l’occasion de laquelle les manifestants avaient repoussé un garde de sécurité et détruit du mobilier (qu’ils avaient remboursé par la suite). La CEDH a fait valoir ce qui suit :

[L]a requérante et d’autres participants à la manifestation souhaitaient attirer l’attention de leurs concitoyens et des fonctionnaires publics sur leur désaccord avec les politiques du président et leur demande de démission de ce dernier. Il s’agissait-là d’un sujet d’intérêt public (…). Cela étant dit, la Cour rappelle que, nonobstant l’importance reconnue de la liberté d’expression, l’article 10 ne confère aucune liberté d’assemblée pour l’exercice d’un tel droit. En particulier, ladite disposition ne nécessite pas la création automatique de droits d’entrée dans les propriétés privées, ni même nécessairement dans tous les lieux relevant du domaine public, tels que, par exemple, les bureaux du gouvernement et les ministères.220Taranenko c. Russie, CEDH, arrêt du 15 mai 2014, points 77 et 78. (uniquement disponible en anglais)

Et la Cour poursuivait sur l’appréciation de la proportionnalité de la sanction infligée, en la comparant à des sanctions imposées dans le cadre d’autres affaires dont elle avait eu à connaître. Elle a conclu que la peine en question était clairement disproportionnée :

[L]a conduite des manifestants, bien qu’ayant impliqué un certain degré de perturbation et ayant causé certains dégâts, n’a pas été violente (…) bien qu’une sanction pour les actes de la requérante aurait pu se trouver justifiée par des exigences d’ordre public, la longue durée de la détention provisoire dans l’attente du procès et celle de la condamnation prononcée avec sursis lui ayant été infligée n’étaient pas proportionnelles au but légitime poursuivi. La Cour estime que la sévérité inhabituelle de la sanction imposée en l’espèce doit avoir eu pour effet de dissuader la requérante et d’autres personnes de participer à l’avenir à tout acte de protestation.221Taranenko c. Russie, CEDH, arrêt du 15 mai 2014, points 93 et 95. (uniquement disponible en anglais)

Les rassemblements qui ont lieu sur une propriété privée bénéficient de la protection du droit à la liberté de réunion,222BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 22 ; Cissé c. France, CEDH, arrêt du 9 avril 2002, points 39 à 40. ce qui signifie que toute restriction qui leur est imposée par les autorités doit se conformer aux exigences du test en trois volets.

Le droit international n’impose pas aux propriétaires de propriétés privées d’y autoriser la tenue de rassemblements. Néanmoins, dans l’affaire Appleby et autres c. Royaume-Uni [cliquer ici pour un exposé complet],223Appleby et autres c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 6 mai 2003.la CEDH a jugé que si la privatisation d’un espace public atteignait le stade où la protestation effective ne s’avère plus possible, l’État pouvait être contraint d’intervenir et de garantir l’accès aux espaces privés.

Si les propriétaires fonciers privés ont d’une manière générale le droit de décider qui peut accéder à leur propriété, les droits relatifs aux réunions peuvent nécessiter l’adoption de mesures positives de protection, même dans le cadre de relations entre individus.224Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 84. (uniquement disponible en anglais)

L’affaire Appleby et autres c. Royaume-Uni avait été introduite par trois personnes physiques et un groupe de défense de l’environnement qui avaient souhaité recueillir des signatures pour une pétition à l’entrée du centre commercial des Galeries, construit par un promoteur immobilier public dans le nouveau centre-ville, et vendu par la suite à une société privée. Le directeur du centre commercial avait refusé l’autorisation d’installer un stand dans ce dernier ou dans ses parkings, invoquant la politique de neutralité du propriétaire. Les requérants avaient ainsi installé des stands sur les voies piétonnes publiques et dans l’ancien centre-ville.

Devant la CEDH, ils avaient soutenu que l’État était directement responsable de l’ingérence survenue dans leur liberté d’expression et de réunion puisque c’était bien l’État qui avait fait construire les Galeries sur un terrain public et approuvé leur cession à un propriétaire privé. La Cour n’avait pas partagé ce point de vue, estimant qu’un tel état de fait ne rendait pas l’État directement responsable des actes du directeur du centre commercial.225Appleby et autres c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 6 mai 2003, point 41. Les requérants avaient soutenu également que l’État était indirectement responsable, car il avait l’obligation positive de garantir l’exercice de leurs droits dans les Galeries car l’accès au centre-ville était essentiel pour communiquer de façon effective avec la population.

La Cour a choisi d’analyser cet argument à la lumière de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté d’expression), mais a indiqué que des considérations très proches valaient pour l’article 11 du même texte (liberté de réunion pacifique).226Appleby et autres c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 6 mai 2003, point 52. Elle a rejeté l’idée qu’il y ait un droit automatique de pénétrer dans des propriétés privées aux fins de l’exercice de la liberté d’expression, tout en reconnaissant, dans le même temps, la possibilité d’imposer à l’État l’obligation positive de garantir l’accès aux propriétés si l’exercice effectif de la liberté d’expression s’avérait autrement impossible :

Cette disposition [article 10], malgré l’importance reconnue à la liberté d’expression, ne donne pas la liberté de choisir un forum en vue d’exercer ce droit. Certes, l’évolution démographique, sociale, économique et technologique modifie les moyens de déplacement et de communication dont disposent les individus, mais la Cour n’est pas convaincue que cette évolution exige automatiquement la création d’un droit de pénétrer dans des propriétés privées ni même nécessairement dans l’ensemble des biens appartenant au domaine public (par exemple les administrations et les ministères). Toutefois, lorsque l’interdiction d’accéder à la propriété a pour effet d’empêcher tout exercice effectif de la liberté d’expression ou lorsque l’on peut considérer que la substance même de ce droit s’en trouve anéantie, la Cour n’exclut pas que l’État puisse avoir l’obligation positive de protéger la jouissance des droits prévus par la Convention en réglementant le droit de propriété. Une ville appartenant à une entreprise, dans laquelle la municipalité tout entière est contrôlée par un organisme privé, en serait un exemple. 227Appleby et autres c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 6 mai 2003, point 47.

Dans la présente affaire, néanmoins, la Cour a estimé qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments établissant que les requérants avaient été effectivement empêchés de communiquer leur point de vue à leurs concitoyens. En effet, ils avaient tout de même obtenu une autorisation individuelle de la part des commerces se trouvant dans l’enceinte des Galeries et de distribuer des tracts sur les voies publiques ou dans l’ancien centre-ville.

De même, dans son Observation générale no 37, le Comité explique que :

Si les rassemblements dans des espaces privés relèvent du droit de réunion pacifique, les intérêts d’autres personnes ayant des droits sur la propriété doivent être dûment pris en compte. La mesure dans laquelle des restrictions peuvent être imposées à un tel rassemblement dépend de considérations telles que le fait que l’espace soit ou non habituellement accessible au public, la nature et l’ampleur des perturbations que le rassemblement pourrait causer aux intérêts d’autres personnes ayant des droits sur la propriété, le fait que les détenteurs de droits approuvent ou non cette utilisation, le fait que le rassemblement ait pour objet de contester la propriété de l’espace en question et le fait que les participants disposent ou non d’autres moyens raisonnables de réaliser l’objectif de la réunion, conformément au principe de la portée de vue et d’ouïe. L’accès à la propriété privée ne peut pas être refusé pour des motifs discriminatoires.228Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 57.

La liberté de réunion comprend le droit de choisir la manière d’organiser le rassemblement. Selon la Cour européenne des droits de l’homme :

Pour la Cour, le droit à la liberté de réunion inclut le droit de choisir le moment, le lieu et les modalités du rassemblement, dans les limites prévues à l’article 11, point 2.229Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, point 21. (uniquement disponible en anglais)

De plus, dans l’affaire Women on Waves et autres c. Portugal [cliquer ici pour un exposé complet], la Cour européenne a souligné l’importance que la forme de l’activité pouvait revêtir pour ceux qui souhaitent manifester :

[D]ans certaines situations le mode de diffusion des informations et idées que l’on entend communiquer revêt une importance telle que des restrictions … peuvent affecter de manière essentielle la substance des idées et informations en cause. Tel est notamment le cas lorsque les intéressés entendent mener des activités symboliques de contestation à une législation qu’ils considèrent injuste ou attentatoire aux droits et libertés fondamentaux.230Women on Waves et autres c. Portugal, CEDH, arrêt du 3 février 2009, point 39.

L’affaire Women on Waves et autres c. Portugal trouvait son origine dans une décision de refuser l’entrée au navire Borndiep dans les eaux territoriales portugaises. Les associations requérantes avaient affrété ce navire pour l’utiliser dans le cadre d’une campagne pour la dépénalisation de l’avortement et avaient prévu d’organiser à bord des réunions sur la santé et les droits en matière de sexualité et de reproduction. Les autorités portugaises avaient dépêché un navire de guerre pour s’assurer que le navire Borndiep ne pénètre pas dans le port.

Devant la CEDH, le Portugal avait soutenu que les requérants n’avaient pas été empêchés de s’exprimer, car ils auraient pu organiser leurs réunions sur la terre ferme. Néanmoins, la Cour européenne a estimé que le refus d’autoriser l’utilisation du navire susvisé restreignait les droits des requérants, car les modalités de diffusion de leurs idées étaient importantes pour eux :

En l’occurrence, ce n’était pas uniquement le contenu des idées défendues par les requérantes qui était en cause mais également le fait que les activités choisies afin de communiquer de telles idées – comme les séminaires et ateliers pratiques en matière de prévention des maladies sexuellement transmissibles, de planning familial et de dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse – auraient lieu à bord du navire en cause, ce qui revêtait une importance cruciale pour les requérantes et correspondait à une activité menée depuis un certain temps par la première requérante dans d’autres Etats européens. 231Women on Waves et autres c. Portugal, CEDH, arrêt du 3 février 2009, point 39.

La Court a reconnu la crainte des autorités portugaises que le navire transporte des médicaments susceptibles d’être utilisés pour pratiquer des avortements illégaux, mais a estimé qu’elles auraient pu atteindre leur objectif en appliquant des mesures moins restrictives, telles que la saisie des médicaments en cause, au lieu de refuser l’entrée du Borndiep et de déployer un navire de guerre contre ce navire civil.232Women on Waves et autres c. Portugal, CEDH, arrêt du 3 février 2009, points 41 à 44.

Dans certains cas de figure, les limitations affectant les modalités de déroulement des rassemblements (telles que le recours à des équipement d’amplification du son) peuvent se justifier. De facon générale, le Comité explique que :

En ce qui concerne les restrictions portant sur les modalités des rassemblements pacifiques, il convient de laisser les participants décider librement s’ils souhaitent diffuser leur message au moyen de pancartes ou de porte-voix, en s’accompagnant d’instruments de musique ou d’autres moyens techniques, tels que des équipements de projection. La tenue d’une réunion peut nécessiter d’ériger des structures temporaires, par exemple d’installer des enceintes, pour se faire entendre du public ou pour permettre d’une autre manière la réalisation de l’objectif de la réunion.233Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 58.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies,234Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 59. (uniquement disponible en anglais)le BIDDH/OSCE, dans les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique235BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, points 99-100.et les lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique de la ComADHP,236ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 83-84, 90-91, 93 ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 60, point 19. soulignent que de telles restrictions doivent satisfaire aux critères de nécessité et de proportionnalité. Toutefois, la CEDH a reconnu qu’un ordre de modification du lieu et/ou de l’heure du rassemblement, lorsque ce lieu est considéré comme crucial pour les participants, peut constituer une entrave à la liberté de réunion.237Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, para 405; Organisation unie macédonienne Ilinden et Ivanov c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 20 octobre 2005, point 105.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies a exprimé son inquiétude concernant les lois qui interdisent le port d’un masque lors d’un rassemblement et a souligné qu’il pouvait exister des raisons légitimes de se couvrir le visage lors d’une manifestation, notamment la peur des représailles, la protection contre une surveillance excessive et pour réduire les effets du gaz lacrymogène.238Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Observation sur les communications transmises aux gouvernements et les réponses reçues, Rapport du rapporteur spécial sur les droits aux libertés de réunion pacifique et d’association, UN Doc. A/HRC/41/41/Add.1, 24 juin 2019, point 47 (uniquement disponible en anglais) ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Troisième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/26/29, 14 avril 2014, points 32 à 33. (uniquement disponible en anglais) .Le BIDDH/OSCE, dans ses lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique affirme que les masques portés à des fins d’expression (et non pour éviter d’être arrêté) devraient, en principe, être autorisés.239BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, points 99-100. Dans son Rapport sur la protestation et les droits de l’homme, la CIDH déclare que « les bandanas, masques, cagoules, casquettes, sacs à dos et autres types de vêtements et accessoires sont très courants lors des manifestations publiques. Ces articles ne peuvent être considérés comme des indicateurs suffisants d’une menace de violence, ni être utilisés comme motif de dispersion, d’arrestation ou de répression des manifestants ».240Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 88. (uniquement disponible en anglais)  De même, l’Observation générale no 37 déclare que :

Le port de tenues dissimulant le visage ou de déguisements, comme des capuches ou des masques, par les personnes participant à une réunion, ou le recours à d’autres méthodes pour participer anonymement à une réunion peuvent faire partie des moyens d’expression d’une réunion pacifique ou être le moyen pour les participants d’éviter des représailles ou de protéger leur vie privée, notamment face aux nouvelles technologies de surveillance. L’anonymat devrait être autorisé à moins que le comportement des participants constitue un motif raisonnable d’arrestation77, ou qu’il existe d’autres raisons également impérieuses, par exemple le fait que la tenue dissimulant le visage fasse partie d’un symbole exceptionnellement soumis à restriction pour les raisons mentionnées plus haut (voir par. 51). Le port de déguisements ne devrait pas, en lui-même, être considéré comme étant le signe d’une intention violente.241Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 60.

L’utilisation de symboles lors des rassemblements, qu’il s’agisse de vêtements ou de drapeaux, peut faire l’objet de restrictions « [d]ans des cas exceptionnels, lorsque les symboles arborés sont directement et principalement associés à l’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. » 242Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 51.Une telle utilisation de symboles a donné lieu à plusieurs affaires portées devant la CEDH. D’une manière générale, la Cour a jugé, dans de tels cas de figure, que :

(…) pour la détermination de la proportionnalité d’une mesure restrictive particulière, le lieu et le moment du déploiement du symbole ou d’autres moyens d’expression revêtant des significations multiples joue un rôle important. 243Fáber c. Hongrie, CEDH, arrêt du 24 juillet 2012, point 55. (uniquement disponible en anglais)

Dans les affaires Vajnai c. Hongrie et Fratanoló c. Hongrie, les requérants avaient été sanctionnés pour l’utilisation en public d’un « symbole totalitaire », après avoir porté une étoile rouge à cinq pointes lors de leur participation à un rassemblement. La Cour européenne était consciente de que pour certains, ledit symbole représentait les violations massives des droits de l’homme commises sous le régime communiste, mais pour d’autres, il représentait la lutte pour une société plus juste, ainsi que le symbole de certains partis politiques légaux actifs dans différents pays.244Vajnai c. Hongrie, CEDH, arrêt du 8 juillet 2008, point 52.Un « examen attentif du contexte » s’avérait nécessaire pour décider si une interdiction était autorisée.245Vajnai c. Hongrie, CEDH, arrêt du 8 juillet 2008, point 53.Dans la présente affaire, le contexte ne justifiait pas l’interdiction :

[P]our qu’une restriction imposée au port en public d’un symbole puisse se justifier, il aurait été nécessaire qu’il y ait un risque actuel et réel qu’un quelconque mouvement ou parti politique y rétablisse la dictature communiste. Pourtant, le gouvernement n’a pas établi l’existence d’une menace de ce type (…) l’interdiction en cause est trop générale eu égard aux multiples significations que revêt l’étoile rouge (…) et il n’existe aucun moyen satisfaisant d’opérer une distinction entre fonction de chacune desdites significations.246Fratanoló c. Hongrie, CEDH, arrêt du 3 novembre 2011, point 25, (uniquement disponible en anglais), résumant et confirmant l’arrêt rendu dans l’affaire Vajnai c. Hongrie, CEDH, arrêt du 8 juillet 2008.  Voir également Şolari c. Moldavie, CEDH, arrêt du 28 mars 2017, points 34 à 36.

De nombreuses juridictions prévoient une procédure que les organisateurs d’un rassemblement doivent respecter. La nature et la teneur de cette procédure diffèrent d’un pays à l’autre. Une distinction importante peut être opérée entre les exigences en matière d’autorisation (à savoir, celles visant à obtenir une autorisation préalable de la part des autorités pour la tenue du rassemblement) et les procédures de notification préalable (c’est-à-dire, des procédures visant à informer les autorités à l’avance du rassemblement envisagé, sans qu’il ne soit nécessaire d’obtenir leur autorisation).

La plupart des autorités internationales estiment qu’une demande d’autorisation préalable des rassemblements est illégitime.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies considère que les États devraient s’abstenir d’imposer des demandes d’autorisation,247Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai,Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 28 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 52. (uniquement disponible en anglais)celles-ci faisant d’un droit un privilège dont les autorités décident l’octroi et faisant peser sur les organisateurs ou les participants la charge de contester le refus, au lieu d’imposer aux autorités de justifier lesdites restrictions.248Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et Human Rights Centre de l’université de Gand, Third Party Intervention before the European Court of Human Rights in Mahammad Majidli v. Azerbaijan (no. 3) and three other applications, novembre 2015, points 9 et 10. (uniquement disponible en anglais).La ComIDH a clairement affirmé que les rassemblements ne devaient pas être soumis à une demande d’autorisation :

La ComIDH rappelle que l’exercice du droit de réunion dans le cadre de mouvements de protestation sociale ne doit pas être soumis à une autorisation de la part des autorités, ou à des exigences excessives qui rendent difficile l’organisation de ces manifestations.249ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 139 (uniquement disponible en anglais) ; voir également ComIDH, Annual Report of the Office of the Special Rapporteur for Freedom of Expression 2005, OEA/Ser.L/V/II.124 Doc. 7, 27 février 2006, chapitre V, point 95 (uniquement disponible en anglais) ; ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 65. (uniquement disponible en anglais)

Le BIDDH/OSCE dans ses lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique250BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 118.et les lignes directrices sur la liberté de réunion et d’association en Afrique de la ComADHP ont un point de vue identique,251ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 71;  ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 63, point 23. ainsi que l’Observation générale no 37 du Comité des droits de l’homme des Nations Unies.252Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 70.

La CEDH, quant à elle, contrairement à la plupart des autorités, accepte en principe que les demandes d’autorisation des rassemblements puissent être légitimes, mais uniquement dans la mesure où elles visent à permettre aux autorités d’honorer leur obligation de faciliter le rassemblement :

[L]e fait de soumettre la tenue d’une manifestation publique à une notification, voire à une procédure d’autorisation, ne porte pas atteinte en principe à l’essence du droit consacré par l’article 11 de la Convention, pour autant que le but de la procédure est de permettre aux autorités de prendre des mesures raisonnables et adaptées permettant de garantir le bon déroulement des événements de ce type. 253Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 147 (références omises) (uniquement disponible en anglais) ; voir également Rassemblement Jurassien et Unité Jurassienne c. Suisse, ComEDH, décision du 10 octobre 1979, point 3.

Aussi bien le Comité des droits de l’homme que la CEDH ont énoncé plusieurs paramètres importants que les procédures établies par les autorités doivent respecter, et ont souvent considéré que le refus d’autorisation, la dispersion d’un rassemblement non autorisé ou l’imposition de sanctions aux organisateurs ou aux participants étaient injustifiés, car l’ingérence en question ne visait pas un objectif légitime ou n’était pas nécessaire et proportionnée. Cette jurisprudence sera évoquée plus en détail dans la section consacrée aux conséquences du non respect de la procédure prescrite.

Il est largement admis dans le droit international que les autorités nationales soient autorisées (bien qu’elles ne soient pas obligées) à demander la notification préalable d’un rassemblement. Le Comité des droits de l’homme a, par exemple, fait valoir ce qui suit :

[L’]exigence de notifier à la police la tenue d’une manifestation prévue dans l’espace public six heures avant son commencement peut être compatible avec les limitations autorisées prévues à l’article 21 du Pacte.254Kivenmaa c. Finlande, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 9 juin 1994, Doc. des Nations Unies CCPR/C/50/D/412/1990, point 9.2. (uniquement disponible en anglais)

La CEDH a jugé que les procédures de notification étaient autorisées, « dès lors qu’elles ne constituent pas une entrave dissimulée à la liberté de réunion pacifique ».255Éva Molnár c. Hongrie, CEDH, arrêt du 7 octobre 2008, point 37. La CIDH a également noté que la notification préalable « ne doit pas constituer un mécanisme d’autorisation déguisé ».256Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 57. (uniquement disponible en anglais)

La raison d’être d’une procédure de notification est de permettre aux autorités publiques de faciliter et de sauvegarder l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique, de protéger l’ordre et la sûreté publics, ainsi que les droits et libertés des tiers, et d’honorer leur obligation de rediriger la circulation et de déployer des mesures de sécurité, si nécessaire.257Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, points 26 à 28.Pour reprendre les termes de la ComIDH :

L’exigence prévue dans certaines lois de notifier au préalable aux autorités la tenue d’un mouvement de protestation sociale dans un lieu public est compatible avec le droit de réunion, sous réserve que ladite exigence vise à informer les autorités et à leur permettre d’adopter des mesures pour faciliter l’exercice du droit sans perturber de manière significative les activités habituelles du reste de la communauté, ou à faire en sorte que l’État puisse prendre les mesures nécessaires pour protéger les participants à la manifestation.258ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 71-76 ; ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 137. (uniquement disponible en anglais). Dans la même veine, voir ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 60, point 5 ; BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 4.1 ; Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 147.

Toujours dans cette même logique, le Rapporteur spécial des Nations Unies, le BIDDH/OSCE, dans les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, l’Observation générale no 37, et les lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique et le rapport de la CIDH sur la protestation et les droits de l’homme préconisent que la notification ne soit exigée que lorsqu’un nombre conséquent de participants est attendu, ou uniquement pour certains types de rassemblements, tels que ceux à l’occasion desquels des troubles sont raisonnablement attendus par les organisateurs.259BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 115 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 28 (uniquement disponible en anglais) ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 62, point 9.

Les procédures de notification sont soumises à l’appréciation de leur proportionnalité. Les procédures de notification ne devraient pas être onéreuses ou bureaucratiques, et le délai de préavis exigé ne devrait pas être excessif.260BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 4.1 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, points 51 à 58 (uniquement disponible en anglais) ; ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 71-76 ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 62, point 12.Dans l’affaire Poliakov c. Bélarus, par exemple, le Comité des droits de l’homme a critiqué l’exigence faite aux organisateurs des rassemblements de présenter plusieurs engagements écrits des services administratifs locaux :

Le Comité relève que les restrictions imposées à la liberté de réunion de l’auteur étaient fondées sur des dispositions de droit interne et comprenaient la lourde exigence d’obtenir trois engagements écrits distincts de trois services administratifs, ce qui pouvait rendre illusoire le droit de l’auteur de manifester. L’État partie n’a cependant pas présenté d’arguments pour expliquer en quoi cette exigence était nécessaire dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui.261Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 72.

Dans l’affaire Lashmankin et autres c. Russie, la CEDH a critiqué l’exigence imposée par la législation russe de notifier bien à l’avance et dans un délai court (quinze jours au préalable et au plus tard dix jours avant la tenue de l’évènement public envisagé). Elle a estimé que « l’application automatique et inflexible » de cette exigence violait le droit à la liberté de réunion pacifique.262Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai,Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 91 ; AGNU, Report of the Special Representative of the Secretary-General on Human Rights Defenders to the General Assembly, Hina Jilani, A/61/312, 5 septembre 2006, point 97.

The UN Special Rapporteur on the rights to freedom of peaceful assembly and of association has emphasized that any “notice period should not be long and the procedure should be free of charge and widely accessible, without discrimination and without disproportionate risk.”263Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Doc. des Nations Unies A/74/349, 11 septembre 2019, point 40.

De multiples sources dans le droit international considèrent que les rassemblements spontanés tenus pour réagir rapidement à un évènement imprévu ne devraient pas être soumis à des procédures de notification préalable. Les Rapporteurs spéciaux des Nations Unies, 264BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 4.2. l’Observation générale no 37,265ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 75 ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 62, point 13.le BIDDH/OSCE, dans les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique,266BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 4.2.les lignes directives sur la liberté d’association et de réunion en Afrique de la ComADHP267ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 75 ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 62, point 13.et le rapport de la CIDH sur la protestation et les droits de l’homme268Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 61. (uniquement disponible en anglais)soulignent tous le fait que les rassemblements spontanés devraient être reconnus par la législation et exemptés de toute notification préalable.

Dans l’affaire Bukta et autres c. Hongrie [cliquer ici pour un exposé complet], la CEDH a considéré que les autorités nationales n’auraient pas dû disperser un rassemblement pacifique en réaction immédiate à un évènement politique en raison de l’absence de notification officielle :

Pour la Cour, dans des circonstances particulières où pourrait se justifier une réaction immédiate à un événement politique, laquelle prendrait la forme d’une manifestation pacifique, disperser celle-ci au seul motif que l’obligation de déclaration préalable n’a pas été respectée et sans que les participants se soient comportés d’une manière contraire à la loi constitue une restriction disproportionnée à la liberté de réunion pacifique.269Bukta et autres c. Hongrie, CEDH, arrêt du 17 juillet 2007, point 36.

Dans l’affaire Bukta et autres c. Hongrie, les requérants faisaient partie d’un groupe d’environ 150 personnes qui s’était rassemblé pour manifester devant un hôtel à Budapest, où le premier ministre roumain donnait une réception. La veille, le premier ministre hongrois avait annoncé qu’il assisterait à ladite réception. Les requérants étaient de l’avis que le premier ministre devait s’abstenir de participer à cet événement, car il célébrait la fête nationale roumaine qui commémore l’assemblée nationale réunie en 1918, au cours de laquelle fut prononcé le rattachement à la Roumanie de la Transylvanie. La Transylvanie était jusqu’alors sous contrôle hongrois.

La police était présente elle aussi lors de la manifestation. Après qu’un bruit fort retentit, la police avait estimé qu’il y avait un risque pour la sécurité de la réception et avait repoussé les manifestants dans un parc à proximité de l’hôtel où, quelque temps après, ils s’étaient dispersés.

Les requérants avaient sollicité la révision judiciaire de la décision de dispersion. Les tribunaux hongrois avaient considéré que la dispersion était justifiée et nécessaire, car le délai de trois jours imparti pour informer la police de l’intention d’organiser un rassemblement prévu par la législation hongroise n’avait pas été respecté.

La CEDH a statué comme suit :

[L]a dispersion de la réunion des requérants a été exclusivement motivée par le défaut de notification préalable. Les tribunaux ne se sont fondés que sur cette base pour déclarer licites les mesures prises par la police et ils n’ont pas pris en compte les autres aspects du dossier, notamment le caractère pacifique de la manifestation. (…)
[E]n l’espèce, le public n’a pas été avisé suffisamment à l’avance que le premier ministre avait l’intention de participer à la réception. Aussi les requérants n’ont-ils eu pour alternative que de renoncer complètement à leur droit de réunion pacifique ou d’exercer celui-ci au mépris des prescriptions légales.
Pour la Cour, dans des circonstances particulières où pourrait se justifier une réaction immédiate à un événement politique, laquelle prendrait la forme d’une manifestation pacifique, disperser celle-ci au seul motif que l’obligation de déclaration préalable n’a pas été respectée et sans que les participants se soient comportés d’une manière contraire à la loi constitue une restriction disproportionnée à la liberté de réunion pacifique.

À cet égard, la Cour constate que rien n’indique que les requérants aient présenté un danger pour l’ordre public, au-delà des perturbations mineures qu’engendre inévitablement toute réunion tenue sur la voie publique. (…)
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la dispersion de la réunion pacifique des requérants ne saurait passer pour nécessaire, dans une société démocratique, à la réalisation des buts poursuivis.270Bukta et autres c. Hongrie, CEDH, arrêt du 17 juillet 2007, points 34 à 38.

Néanmoins, la CEDH a attiré l’attention sur le fait que « le droit de manifester de manière spontanée ne peut primer l’obligation de notifier au préalable la tenue d’un rassemblement que dans des circonstances spéciales, notamment s’il est indispensable de réagir immédiatement à un événement par une manifestation ».271Éva Molnár c. Hongrie, CEDH, arrêt du 7 octobre 2008, point 38 ; voir également Mehtiyev et autres c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 6 avril 2017, point 46. (uniquement disponible en anglais).La Cour a ainsi considéré que le prononcé d’une décision de justice par un tribunal est constitutif d’une telle « circonstance spéciale ».272Khalilova et Ayyubzade c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 6 avril 2017, point 41. (uniquement disponible en anglais).Dans l’affaire Mehtiyev et autres c. Azerbaïdjan, la Cour a estimé que le décès d’un vétéran de guerre handicapé qui s’était immolé pour protester contre les injustices bureaucratiques était une « circonstance spéciale ». Néanmoins, le décès d’un soldat ne l’était pas, dans la mesure où du propre aveu des requérants, les décès dans l’armée constituaient un problème répandu depuis longtemps.273Mehtiyev et autres c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 6 avril 2017, points 46 à 47. (uniquement disponible en anglais)

Il convient de noter que même si un rassemblement n’est pas exempté de la procédure de notification, le fait de ne pas l’avoir notifié au préalable ne justifie pas, en tant que tel, la dispersion ou d’autres ingérences de la part des autorités.

Une fois la notification d’un rassemblement reçue, les autorités devraient en accuser réception sans tarder et fournir des motifs clairs si elles souhaitent y imposer des restrictions. Pour reprendre les termes de la CEDH :

[L]es autorités disposent d’un large pouvoir discrétionnaire pour choisir les moyens de communication avec les organisateurs (…) Néanmoins (…) la Cour estime que quelque soit la méthode de communication choisie, celle-ci devrait garantir que les organisateurs sont informés de la décision des autorités raisonnablement bien avant la date prévue de l’évènement, de façon à garantir l’exercice pratique et effectif du droit à la liberté de réunion, et non théorique ou illusoire. En effet, si les organisateurs ne sont pas informés en temps et en heure de l’autorisation par les autorités ou de la proposition de modifier le lieu, le moment ou les modalités de déroulement de l’évènement envisagé, ils pourraient ne pas disposer de suffisamment de temps pour annoncer aux participants l’heure et le lieu autorisés pour la manifestation, et pourraient même devoir y renoncer.274Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 457. (uniquement disponible en anglais)

Le BIDDH/OSCE, dans ses lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, préconise qu’en l’absence d’une réponse rapide de la part des autorités, les organisateurs soient autorisés à procéder au rassemblement, tel qu’annoncé.275BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 120.

Si le rassemblement est pacifique, le fait qu’il soit illégal en vertu de la législation nationale (par exemple, car la procédure de notification ou de demande d’autorisation n’a pas été respectée) ne justifie pas, en tant que tel, une ingérence dans le droit de réunion. Le Rapporteur spécial des Nations Unies a rappelé ce qui suit :

[L]orsque les organisateurs négligent de présenter une notification aux autorités, la réunion ne devrait pas être automatiquement dispersée (…) et les organisateurs ne devraient pas faire l’objet de sanctions pénales ou administratives assorties d’amendes ou de peines d’emprisonnement.276Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 29. (uniquement disponible en anglais)

De même, l’Observation générale no 37 explique :

Le défaut de notification préalable aux autorités d’un rassemblement à venir, lorsque cette notification est requise, ne rend pas illégale la participation à la réunion en question, et ne doit pas en soi servir de motif pour disperser la réunion ou arrêter les participants ou les organisateurs, ou pour infliger des sanctions injustifiées, par exemple accuser les participants ou les organisateurs d’infractions pénales. Si des sanctions administratives sont infligées aux organisateurs pour défaut de notification, les autorités doivent en expliquer les raisons97. L’absence de notification préalable n’exonère pas les autorités de l’obligation de faciliter la tenue de la réunion et de protéger les participants dans la mesure de leurs capacités.277Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 72.

Likewise, in its Report on Protest and Human Rights, the IACHR observed, “the organizers’ failure to give prior notification to the authorities should not lead to the break-up of the gathering or to the imposition of criminal or administrative penalties such as fines or deprivation of liberty against the organizers, leaders, or their associations.”278Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 60. (uniquement disponible en anglais)

La CEDH a statué comme suit :

Une situation illégale, telle que l’organisation d’une manifestation sans autorisation préalable, ne justifie pas nécessairement une ingérence dans l’exercice par une personne de son droit à la liberté d’expression. Si les règles régissant les réunions publiques, telles qu’un système de notification préalable, sont essentielles pour le bon déroulement des manifestations publiques, étant donné qu’elles permettent aux autorités de réduire au minimum les perturbations de la circulation et de prendre d’autres mesures de sécurité, leur mise en œuvre ne doit pas devenir une fin en soi (…). L’absence d’autorisation préalable et l’« illégalité » consécutive de l’action ne donne pas carte blanche aux autorités, lesquelles demeurent limitées par l’exigence de proportionnalité découlant de l’article 11.279Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, points 150 à 151 (références omises).

Par consequent, dans l’affaire Navalnyy c. Russie, la CEDH a conclu que la dispersion par les autorités d’une protestation pacifique, qui avait causé une« certaine gêne dans la vie quotidienne » mais qui « au vu des circonstances concrètes qui n’ont pas dépassé le niveau de perturbation mineure qu’entraîne l’exercice normal du droit à la liberté de réunion pacifique dans un lieu public », , a constitué une ingérence non justifiée au regard de l’article 11.280Navalnyy c. Russie, CEDH, arrêt du 15 novembre 2018, point 130-133. La CEDH a noté que les autorités ont agi « sans tenir dûment compte de la protection privilégiée qu’il convient, au regard de la Convention, d’accorder au discours ou au débat politiques sur des questions d’intérêt public ou à la manifestation pacifique d’opinions sur de telles questions. » Point 133.

Dans le même temps, la CEDH a également attiré l’attention sur le fait que le principe établi ci-dessus « ne saurait être étendu au point que l’absence de notification préalable ne puisse jamais constituer un fondement légitime à la décision de disperser un rassemblement ».281Éva Molnár c. Hongrie, CEDH, arrêt du 7 octobre 2008, point 37.

Il ressort de la jurisprudence internationale que les facteurs suivants déterminent si une ingérence dans un rassemblement qui n’a pas été annoncé à l’avance viole ou non la liberté de réunion : (1) s’il existe un risque pour l’ordre public ou un autre but légitime qui ne peut être géré ; (2) si les participants au rassemblement ont véritablement eu la possibilité de faire valoir leurs points de vue ; (3) si les autorités s’abstiennent de recourir à la force inutilement ou à l’imposition de sanctions disproportionnées.

Comme évoqué ici, il convient de faire preuve d’une tolérance particulière lorsque le rassemblement constitue une réaction spontanée et immédiate à un évènement récent.

Seul un véritable risque pour l’ordre public ou un autre but légitime peut justifier une ingérence

Une ingérence dans un rassemblement non notifié ne sera justifiée que s’il existe un véritable risque d’atteinte à un but légitime, tel que la protection de l’ordre public.
Selon la ComIDH, la menace doit être sérieuse et imminente, et non future ou générique :

[L]es manifestations publiques auxquelles les défenseurs des droits de l’homme ou d’autres personnes participent ne peuvent faire l’objet de restrictions que dans le but d’éviter la matérialisation d’une menace sérieuse et imminente, un danger futur et générique n’étant pas suffisant.282ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 130. (uniquement disponible en anglais)

Le Comité des droits de l’homme adopte la même approche. Dans l’affaire Praded c. Bélarus, par exemple, l’auteur de la communication avait été arrêté et s’était vu infliger une amende car il avait participé à une petite manifestation pacifique non autorisée de défense des droits des homosexuels devant l’ambassade iranienne, à Minsk. Le Comité a considéré que les mesures adoptées contre lui ne poursuivaient aucun but légitime :

[L]orsqu’il impose des restrictions au droit à la liberté de réunion pacifique, l’État partie doit chercher à faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés (…). [L]’État partie n’a pas cherché à expliquer pourquoi ces restrictions étaient nécessaires et si elles étaient proportionnées à l’un des buts légitimes énoncés au point 3 de l’article 19 et dans la seconde phrase de l’article 21 du Pacte. L’État partie n’a pas non plus expliqué comment, dans la pratique, en l’espèce, la participation de l’auteur à une manifestation pacifique à laquelle seules quelques personnes ont pris part aurait pu porter atteinte aux droits et libertés d’autrui ou menacer la protection de la sûreté publique, l’ordre public ou la santé ou la moralité publique. 283Praded c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 29 novembre 2014, Doc. des Nations Unies CCPR/C/112/D/2029/2011, points 7.8 – 7.9.

La CEDH a déclaré, concernant la réaction à un rassemblement non notifié, que « les mesures éventuelles devant être adoptées par la police devaient dépendre, avant tout, de la gravité du trouble causé ».284Navalnyy c. Russie, CEDH, arrêt du 2 février 2017, point 49. (uniquement disponible en anglais).L’ordre public ne devrait pas être invoqué comme raison de disperser un rassemblement, sauf si l’intervention des autorités est motivée par une véritable inquiétude :

[P]our se fonder sur le but consistant à « éviter les troubles », le gouvernement défendeur aurait dû démontrer que soit le défaut de notification par les participants de l’évènement public, soit leur participation à ce dernier était, en tant que tel(le), susceptible de donner lieu à des troubles (ou que cela avait été effectivement le cas), comme, par exemple, sous la forme d’un trouble à l’ordre public (…).285Novikova et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 26 avril 2016, point 136. (uniquement disponible en anglais)

Lorsque cela s’avère possible, la police devrait permettre la tenue du rassemblement et adopter des mesures moins intrusives, telles que la gestion de la circulation ou la déviation des manifestants. Dans l’affaire Gafgaz Mammadov c. Azerbaïdjan, laquelle portait sur une manifestation dispersée au motif qu’elle n’avait pas été autorisée, la CEDH a considéré que le droit avait été violé :

Il n’a pas été soutenu ou établi qu’il aurait été difficile pour la police de maîtriser ou de réorienter les manifestants, ou encore de contrôler la situation autrement, afin de préserver la sûreté publique et d’éviter tout trouble ou délit éventuel. Il n’a pas été davantage démontré (…) que la manifestation constituait un trouble à l’ordre public de taille. En conséquence, les autorités n’ont pas invoqué de motifs pertinents et suffisants pour justifier la dispersion de la manifestation. 286Gafgaz Mammadov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 15 octobre 2015, point 61. (uniquement disponible en anglais)

La jurisprudence de la CEDH indique clairement que les autorités nationales devraient s’abstenir d’adopter une approche trop formelle en cas de non-respect de la procédure relative à la tenue de rassemblements. La Cour a critiqué la dispersion rapide d’un rassemblement qui, bien qu’il n’ait pas été officiellement notifié aux autorités, avait été anticipé par la police à la suite de rapports des services de renseignements et aurait pu être facilité pour minimiser le trouble à l’ordre public.287Balçik et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 29 novembre 2007, points 51 à 53. (uniquement disponible en anglais)Dans le cadre d’une autre affaire, la Cour a jugé qu’un non-respect sans conséquence du délai de notification (un préavis de huit jours, au lieu des 10 jours exigés par la législation) ne justifiait pas l’imposition d’une amende.288Sergey Kuznetsov c. Russie, CEDH, arrêt du 23 octobre 2008, point 43. (uniquement disponible en anglais)Dans l’affaire Tahirova c. Azerbaïdjan, la Cour a considéré disproportionnée la dispersion par la force d’une manifestation pacifique sur le simple fondement qu’elle s’était poursuivie quelque peu au-delà de l’heure à laquelle elle devait se terminer.289Tahirova c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 3 octobre 2013, points 71 à 75. (uniquement disponible en anglais)

Les manifestants auraient dû avoir la possibilité de faire état de leurs points de vue avant la dispersion de la manifestation

La CEDH a souligné à maintes reprises que même lorsqu’il existe des motifs pour procéder à la dispersion d’un rassemblement, les autorités devaient faire preuve d’un degré de patience approprié et, dans la mesure du possible, donner aux manifestants une véritable possibilité de faire valoir leurs points de vue avant d’intervenir.290Oya Ataman c. Turquie, CEDH, arrêt du 5 décembre 2006, point 41 ; Balçik et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 29 novembre 2007, point 51  (uniquement disponible en anglais) ;  Aytaş et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 8 décembre 2009, point 31 ; Tahirova c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 3 octobre 2013, point 73. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Oya Ataman c. Turquie [cliquer ici pour un exposé complet], par exemple, le rassemblement n’avait duré qu’environ 30 minutes lorsque les autorités sont intervenues, invoquant que la manifestation était illégale et qu’elle allait perturber la circulation à une heure de forte affluence. La CEDH a indiqué qu’elle était « frappée, en particulier, par l’empressement des autorités à mettre fin à cette manifestation », dans la mesure où cette dernière ne « présentait un danger pour l’ordre public, mis à part d’éventuelles perturbations de la circulation ».291Oya Ataman c. Turquie, CEDH, arrêt du 5 décembre 2006, point 41. Voir également Balçik et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 29 novembre 2007, point 51. (uniquement disponible en anglais).

Dans l’affaire Oya Ataman c. Turquie, la requérante avait organisé une manifestation de 40 à 50 personnes sur une place centrale d’Istanbul, sous la forme d’un défilé suivi d’une déclaration à la presse, afin de protester contre le projet de création de prisons de haute sécurité de « type F ». La police avait rapidement sommé le groupe de se disperser, en raison du caractère irrégulier du rassemblement qui n’avait pas été notifié au préalable et des troubles qu’il pouvait causer à l’ordre public à une heure de forte affluence. Les manifestants ayant refusé de se disperser, la police avait utilisé contre eux du « spray au poivre » et interpellé 39 manifestants, dont la requérante. La CEDH a considéré que ces actions étaient disproportionnées :

[E]n l’espèce le respect de la condition de préavis aurait permis aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour réduire les perturbations de circulation que la manifestation pouvait causer à une heure de pointe (…).
Toutefois, aucun élément du dossier ne permet d’affirmer que le groupe de manifestants présentait un danger pour l’ordre public, mis à part d’éventuelles perturbations de la circulation. Il s’agissait, tout au plus, d’une cinquantaine de personnes qui souhaitaient attirer l’opinion publique sur une question d’actualité. La Cour observe que le rassemblement a commencé aux alentours de midi et s’est terminé avec l’arrestation du groupe dans la demi-heure qui a suivi. Elle est frappée, en particulier, par l’impatience des autorités de mettre fin à cette manifestation (…). Pour la Cour, en l’absence d’actes de violence de la part des manifestants, il est important que les pouvoirs publics fassent preuve d’une certaine tolérance pour les rassemblements pacifiques, afin que la liberté de réunion telle qu’elle est garantie par l’article 11 de la Convention ne soit pas dépourvue de tout contenu.
En conséquence, la Cour estime qu’en l’espèce l’intervention musclée de la police était disproportionnée (…).292Oya Ataman c. Turquie, CEDH, arrêt du 5 décembre 2006, points 39 à 42.

En revanche, dans l’affaire Éva Molnár c. Hongrie [cliquer ici pour exposé complet], le rassemblement avait duré plusieurs heures avant que les autorités ne procèdent à sa dispersion, malgré de graves perturbations de la circulation routière. Les autorités n’avaient pas été préalablement notifiée de la tenue de cet événement et avaient tenté, sans succès, de gérer la circulation. Dans la présente affaire, la CEDH a considéré que les autorités nationales avaient accordé « suffisamment de temps » aux manifestant pour se faire entendre.293Éva Molnár c. Hongrie, CEDH, arrêt du 7 octobre 2008, point 43.

La manifestation dont il était question dans l’affaire Éva Molnár c. Hongrie trouvait son origine dans les élections législatives qui s’étaient déroulées en Hongrie en avril 2002. Les observateurs internationaux avaient estimé que lesdites élections avaient été propres, mais certaines personnes étaient de l’avis qu’elles avaient été truquées. Au mois de juillet, quelques semaines avant la date prévue par la loi pour la destruction des bulletins de vote, plusieurs centaines de manifestants avaient bloqué avec leurs voitures le pont situé dans le centre-ville de Budapest, dans le but d’obtenir un recomptage des votes. La police ayant dispersé ce rassemblement, une autre manifestation avait débuté sur la place Kossuth, à laquelle la requérante s’était jointe. La circulation et les transports publics, notamment la circulation des tramways et des trolley-bus, avaient été sérieusement perturbés. Au départ, la police avait tenté de faciliter l’écoulement du trafic mais avait dû, finalement, barrer certaines rues dans le voisinage. Après quelques heures, la police avait dispersé la manifestation sans avoir recours à la force. La requérante n’avait pas été poursuivie au pénal, mais estimait que l’arrêt de la manifestation avait porté atteinte à son droit de réunion. La CEDH n’a pas partagé son point de vue :

[L]a requérante a eu suffisamment de temps pour montrer sa solidarité avec ses co-manifestants (…) l’ingérence finale dans l’exercice par l’intéressée de sa liberté de réunion ne semble pas avoir été excessive. [La Cour] estime que la police a fait preuve de la tolérance requise envers les manifestants, alors qu’elle n’avait pas été informée au préalable de l’événement (…), lequel, de l’avis de la Cour, a incontestablement perturbé la circulation routière et causé un trouble certain à l’ordre public. A cet égard, l’espèce diffère d’autres affaires où la dispersion est survenue relativement vite.294Éva Molnár c. Hongrie, CEDH, arrêt du 7 octobre 2008, point 43 (références omises).

Les autorités devraient s’abstenir de tout recours inutile à la force ou de l’imposition de sanctions

Les ingérences dans des rassemblements non notifiés devraient toujours se conformer aux exigences du test en trois volets, notamment les principes de nécessité et de proportionnalité. Selon la Cour européenne des droits de l’homme :

La méthode utilisée par la police pour décourager les manifestants, pour les contenir dans un endroit particulier ou pour disperser la manifestation constitue également un élément important pour apprécier la proportionnalité de l’ingérence. 295Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 151.

La Cour a condamné à maintes reprises le déploiement de moyens musclés (dont le recours au spray au poivre, au gaz lacrymogène ou aux matraques) pour disperser des rassemblements « illégaux » mais pacifiques, qui ne présentent que le risque éventuel de perturber la circulation.296Oya Ataman c. Turquie, CEDH, arrêt du 5 décembre 2006, points 41 à 43 ; Balçik et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 29 novembre 2007, points 51 à 53 ; (uniquement disponible en anglais) ;  Aytaş et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 8 décembre 2009, points 31 à 33.

Une question distincte de celle de la dispersion consiste à déterminer si les autorités sont en droit d’imposer des sanctions aux organisateurs ou aux participants après les faits. Le Rapporteur spécial des Nations Unies a rappelé ce qui suit :

[L]orsque les organisateurs négligent de présenter une notification aux autorités, la réunion ne devrait pas être automatiquement dispersée (…) et les organisateurs ne devraient pas faire l’objet de sanctions pénales ou administratives assorties d’amendes ou de peines d’emprisonnement.297Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 29. (uniquement disponible en anglais)

Dans un dossier d’amicus curiae concernant les sanctions pénales infligées aux organisateurs d’un rassemblement non notifié, le Rapporteur spécial des Nations Unies a souligné que l’exercice du droit à la liberté de réunion ne devait pas relever du droit pénal :

À défaut de la présence d’une autre conduite répréhensible, le fait de sanctionner la simple absence de notification d’un rassemblement pacifique signifie, de facto, que l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique fait l’objet d’une pénalisation (…). Le recours aux définitions des délits ou des peines, y compris les amendes administratives, qui sanctionne essentiellement l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique ou d’autres activités sinon protégées par le droit international relatif aux droits de l’homme, n’a pas sa place dans le droit d’une société démocratique.298Rapporteur spécial des Nations Unies, amicus curiae brief before the High Court of South Africa, Western Cape Division, in Case No. A431/15, 31 mars 2017, points 62 à 63. (uniquement disponible en anglais)

Le Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique de la ComADHP a également affirmé que « [e]n aucun cas, les organisateurs d’un rassemblement ne devraient être sanctionnés ou un rassemblement ne devrait être dispersé en raison d’un défaut de notification ».299ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 75, point 53.

La CEDH semble avoir adopté des positions contradictoires sur cette question. Elle a ainsi indiqué, à plusieurs reprises, que « [l]es États étant en droit d’exiger une autorisation, ils doivent pouvoir sanctionner ceux qui participent à une manifestation ne satisfaisant pas à cette condition ».300Ziliberberg c. Moldavie, CEDH, décision du 4 mai 2004, point 2. (uniquement disponible en anglais) Voir également Skiba c. Pologne, CEDH, décision du 7 juillet 2009 ; Rai et Evans c. Royaume-Uni, CEDH, décision du 17 novembre 2009 ; Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 149.Cette affirmation semble aller à l’encontre du principe fondamental bien établi selon lequel un participant à un rassemblement pacifique non interdit « ne saurait faire l’objet d’une sanction (…) sous réserve que la personne concernée n’ait commis d’acte répréhensible par la même occasion ».301Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 149 ; voir également Ezelin c. France, CEDH, arrêt du 26 avril 1991, point 53 ; Galstyan c. Arménie, CEDH, arrêt du 15 novembre 2007, point 115. (uniquement disponible en anglais)

L’arrêt de 2016 rendu dans l’affaire Novikova et autres c. Russie vient, dans une certaine mesure, remédier à ce paradoxe, du moins en ce qui concerne les rassemblements de petite taille. Dans la présente affaire, plusieurs requérants s’étaient vus infliger des amendes administratives pour avoir manifesté sans notifier au préalable leur rassemblement aux autorités publiques. Ils soutenaient qu’ils avaient mené des actes de protestation individuels, lesquels sont exemptés de la procédure de notification prévue par la législation russe ; le gouvernement contestait cet argument, mais reconnaissait que six personnes au maximum avaient participé aux différentes manifestations. Dans son arrêt, la CEDH a déclaré que des « circonstances aggravantes » devaient être présentes pour qu’une sanction puisse être imposée en cas de défaut de notification. La Cour a fait valoir qu’en vertu de la législation russe, « pour qu’une condamnation en l’absence de notification préalable puisse être prononcée, il n’était pas nécessaire de prouver l’existence d’un préjudice potentiel ou réel ».302Novikova et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 26 avril 2016, point 195. (uniquement disponible en anglais) Elle a ainsi estimé que la condamnation des requérants pour avoir simplement enfreint la loi (alors que leurs manifestations ne présentaient pas de risque crédible) n’était pas nécessaire pour atteindre quelque but légitime que ce soit :

[L]a Cour ne voit pas quel but légitime, au sens de l’article 10 de la Convention, les autorités entendaient satisfaire. Elle ne parvient pas à identifier des motifs suffisants constitutifs d’un « besoin social pressant » pour prononcer une condamnation pour cause de non-respect de la demande de notification (…). En effet, nulle considération impérieuse afférente à la sécurité publique, à la prévention des troubles ou à la protection des droits des tiers n’était présente en l’espèce. La seule considération pertinente était la nécessité de sanctionner un comportement illégal. Or, il ne s’agit pas là d’une considération suffisante dans ce contexte (…) en l’absence d’autres circonstances aggravantes.303Novikova et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 26 avril 2016, point 199. (uniquement disponible en anglais)

La Court a aussi prévenu que le montant élevé maximal des amendes applicables en vertu de la législation russe avait pour effet de créer « un effet dissuasif concernant le recours légitime à des actes de protestation ».304Novikova et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 26 avril 2016, point 211. (uniquement disponible en anglais)Auparavant, la Cour avait déjà insisté sur le fait que toute sanction infligée devait être proportionnée.305Voir, par exemple, Ziliberberg c. Moldavie, CEDH, décision du 4 mai 2004, point 2 (uniquement disponible en anglais) ; Hyde Park et autres c. Moldavie (n° 5 et 6), CEDH, arrêt du 14 septembre 2010, point 47. (uniquement disponible en anglais). Dans l’affaire Hyde Park et autres c. Moldavie (n° 5 et 6), par exemple, elle a considéré que des amendes d’un montant de 800 Leus moldaves (environ 63 USD à l’époque) pour sanctionner l’organisation d’une manifestation non autorisée étaient « disproportionnées et n’étaient donc pas nécessaires dans une société démocratique ».306Hyde Park et autres c. Moldavie (n° 5 et 6), CEDH, arrêt du 14 septembre 2010, point 47. (uniquement disponible en anglais)

Le Comité des droits de l’homme souligne, lui aussi, l’importance que les sanctions soient nécessaires et proportionnées. Dans l’affaire Praded c. Bélarus, où l’auteur de la communication avait été arrêté et s’était vu infliger une amende pour avoir participé à une petite manifestation pacifique non autorisée de défense des droits des homosexuels devant l’ambassade iranienne, à Minsk, le Comité a déclaré ce qui suit :

Le Comité relève que, si assurer la sécurité de l’ambassade d’un État étranger peut être considéré comme un but légitime pour restreindre le droit de réunion pacifique, l’État partie doit démontrer en quoi l’arrestation de l’auteur et sa condamnation à une amende administrative étaient nécessaires et proportionnées à ce but.307Praded c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 29 novembre 2014, Doc. des Nations Unies CCPR/C/112/D/2029/2011, point 7.9 ; voir également Androsenko c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 30 mars 2016, Doc. des Nations Unies CCPR/C/116/D/2092/2011, point 7.6.

Si les autorités décident d’imposer des restrictions à un rassemblement, elles doivent en informer rapidement les organisateurs et une procédure de recours accélérée doit être possible devant un organe indépendant et impartial. Le Rapporteur spécial des Nations Unies,308Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 42 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai,Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 64. (uniquement disponible en anglais)l’Observation générale no 37 du Comité des droits de l’homme des Nations Unies,309Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 69.la ComIDH,310ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 139 (uniquement disponible en anglais); ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 130. (uniquement disponible en anglais)le BIDDH/OSCE dans ses lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique311BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, recommandation 4.6 et notes explicatives, points 66 et 132 à 140et les lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique de la ComADHP312ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 89 ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 25, point 21. ont tous formulé des recommandations à ce propos.

C’est ainsi, par exemple, que les lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique dispose ce qui suit :

89. Toute condition envisagée est communiquée sans délai par écrit aux organisateurs du rassemblement, avec les justifications nécessaires.
89.1. La loi est censée établir une procédure claire que les autorités, avant d’imposer une condition quelconque, doivent suivre pour faire part de leurs préoccupations aux organisateurs des rassemblements de manière à faciliter le partage d’informations voulu et l’adoption d’une approche mutuellement convenue et positive. Les organisateurs ne sauraient faire l’objet d’aucune contrainte, ni coercition durant ce processus.
89.2. Si le temps le permet, il est prévu une procédure d’évaluation administrative en cas de conflit.
89.3. Un recours rapide à un tribunal indépendant est possible pour les organisateurs de réunion pour contester la décision des autorités, s’ils le souhaitent.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies souligne, quant à lui, l’importance que les autorités communiquent par écrit les motifs clairs et adaptés de toute restriction qu’elles imposent, afin de permettre aux organisateurs du rassemblement de déposer un recours :

[L]es autorités qui décident d’imposer des restrictions concernant l’organisation d’une réunion doivent rapidement communiquer aux organisateurs les motifs de celles-ci, par écrit, et que ces motifs doivent satisfaire aux stricts critères de nécessité et de proportionnalité des restrictions répondant à un but légitime.313Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 48. (uniquement disponible en anglais)

La CEDH a jugé que les organisateurs de rassemblements devaient avoir accès à une procédure de recours qui permette d’obtenir une décision avant la date du rassemblement prévu. Cela implique également que la législation doit imposer des délais à respecter par les autorités administratives. Dans l’affaire Bączkowski et autres c. Pologne [cliquer ici pour un exposé complet], les requérants s’étaient vus refuser l’autorisation d’organiser plusieurs rassemblements pour lutter contre les discriminations à Varsovie et avaient déposé des recours à l’encontre desdits refus. Ils avaient finalement obtenu gain de cause en appel, mais seulement après la date prévue des rassemblements. La Cour a estimé que la Pologne avait violé le droit à un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme :

(…) [l]a date des manifestations étant primordiale aux yeux des participants et des organisateurs, et ces derniers ayant prévenu les autorités compétentes dans les délais prescrits, la Cour estime qu’au vu des circonstances l’effectivité du recours était tributaire de la possibilité d’obtenir une décision avant la date des réunions projetées (…).
Si elle ne peut être exercée au bon moment, la liberté de réunion risque d’être vidée de tout sens.
Aussi la Cour estime-t-elle que, pour un exercice effectif de la liberté de réunion, il est important que la législation applicable prévoie des délais raisonnables dans lesquels les autorités publiques devront statuer sur les questions qui leur sont soumises.314Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai,Doc. des Nations Unies des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 48. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Bączkowski et autres c. Pologne, les requérants avaient demandé l’autorisation auprès des autorités municipales de Varsovie d’organiser une marche et une série de réunions afin de sensibiliser l’opinion publique aux discriminations subies par les minorités (sexuelles, nationales, ethniques et religieuses), ainsi que les femmes et les personnes handicapées. Les autorités avaient refusé d’autoriser la marche et certaines des réunions, invoquant pour cela des problèmes liés à la circulation routière et le risque de confrontations avec des participants à d’autres manifestations prévues au même moment.

Peu avant la date prévue des rassemblements, le maire de Varsovie avait déclaré, dans le cadre d’un entretien accordé à un journal, qu’il entendait interdire toute manifestation organisée par les requérants, car il était opposé à toute « propagande publique en faveur de l’homosexualité », ce qui, du point de vue des requérants, révélait les véritables motifs du refus.

Les requérants avaient organisé la marche prévue, malgré le refus d’autorisation. Les décisions des autorités municipales avaient été annulées par la suite en appel, mais les requérants avaient soutenu, devant la CEDH, qu’ils avaient néanmoins subi un préjudice, car la décision d’annulation n’était intervenue que postérieurement à la date de l’évènement.

La CEDH a estimé qu’il y avait eu violation du droit à la liberté de réunion pacifique, et pour parvenir à cette conclusion, elle a déclaré ce qui suit :

La Cour prend note que les manifestations se sont finalement déroulées à la date prévue. Les requérants ont toutefois pris un risque en les organisant puisqu’elles étaient officiellement interdites. Elles ont eu lieu sans avoir bénéficié d’une présomption de légalité, laquelle est une condition essentielle à l’exercice effectif et sans entrave de la liberté de réunion et de la liberté d’expression. La Cour relève que les refus d’autorisation ont pu avoir un effet dissuasif sur les requérants et les autres participants aux manifestations. L’absence d’autorisation formelle et le risque consécutif que les autorités n’assurent pas de protection officielle contre d’éventuels contre manifestants hostiles ont pu également décourager d’autres personnes de prendre part à ces rassemblements.315Bączkowski et autres c. Pologne, CEDH, arrêt du 3 mai 2007, points 81 à 83. Voir également Alexeïev c. Russie, CEDH, arrêt du 21 octobre 2010, point 98 ; Genderdoc-M c. Moldavie, CEDH, arrêt du 12 juin 2012, points 35 à 38. (uniquement disponible en anglais)

En outre, la Cour a estimé qu’il y avait eu violation du droit à un recours effectif :

Par ailleurs, elle a pris acte que les autorités avaient finalement reconnu que les décisions rendues au premierdegré dans la cause des requérants avaient enfreint les lois applicables. [L]a Cour souligne toutefois qu’elles ont statué postérieurement à la date à laquelle les intéressés avaient prévu d’organiser leurs manifestations. (…) [l]a date des manifestations étant primordiale aux yeux des participants et des organisateurs, et ces derniers ayant prévenu les autorités compétentes dans les délais prescrits, la Cour estime qu’au vu des circonstances l’effectivité du recours était tributaire de la possibilité d’obtenir une décision avant la date des réunions projetées.
Un rassemblement public qui se tient alors que le problème de société en cause n’est plus actuel ou important dans le cadre d’un débat politique ou social risque d’avoir beaucoup moins d’écho. Si elle ne peut être exercée au bon moment, la liberté de réunion risque d’être vidée de tout sens.
Aussi la Cour estime-t-elle que, pour un exercice effectif de la liberté de réunion, il est important que la législation applicable prévoie des délais raisonnables dans lesquels les autorités publiques devront statuer sur les questions qui leur sont soumises. 316Bączkowski et autres c. Pologne, CEDH, arrêt du 3 mai 2007, points 81 à 83. Voir également Alexeïev c. Russie, CEDH, arrêt du 21 octobre 2010, point 98 ; Genderdoc-M c. Moldavie, CEDH, arrêt du 12 juin 2012, points 35 à 38. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Lashmankin et autres c. Russie, la CEDH a ajouté deux conditions importantes à satisfaire par les procédures de recours à l’encontre des restrictions imposées aux rassemblements. Premièrement, l’organe qui connaît du recours doit examiner non seulement si la restriction imposée est prévue par la loi, mais également si elle respecte les critères de nécessité et proportionnalité. Deuxièmement, la décision ne doit pas seulement être prononcée, mais elle doit être réellement susceptible d’exécution avant la date du rassemblement prévu :

[L]a Cour estime que les requérants ne disposaient pas d’un recours effectif permettant l’obtention d’une décision judiciaire susceptible d’exécution face au refus des autorités d’autoriser le lieu, l’heure et les modalités de déroulement d’un évènement public avant sa date prévue. En outre, la portée du contrôle judiciaire se limitait à l’examen de la légalité de la proposition de modification du lieu, de l’heure et des modalités de déroulement d’un évènement public, et ne comportait pas une appréciation de sa « nécessité » et de sa « proportionnalité » (…).

En conséquence, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention lu avec l’article 11 du même texte.317Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, points 360 à 361. (uniquement disponible en anglais)

Si plusieurs groupes souhaitent se rassembler au même endroit et à la même heure pour manifester séparément, les autorités devraient, dans la mesure du possible, prendre des mesures pour faciliter ces évènements. Le Rapporteur spécial des Nations Unies a rappelé ce qui suit :

Dans le cas des réunions simultanées organisées au même endroit et à la même heure (unité de lieu et de temps), le Rapporteur spécial considère que le fait de protéger et de faciliter toutes les manifestations, chaque fois que cela est possible, constitue une bonne pratique.318Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 30 ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 24. (uniquement disponible en anglais)

Ce point de vue est repris par le BIDDH/OSCE dans ses lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique319BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 4.3 et notes explicatives, point 122.et les lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique de la ComADHP,320ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 97 ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 65, point 36.et le rapport de l’ICDH sur la protestation et les droits de l’homme.321Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 77

Dans l’affaire Lashmankin et autres c. Russie, la CEDH a estimé que la pratique des autorités russes consistant à proposer automatiquement de changer le lieu des rassemblements prévus, si ce dernier coïncidait avec celui d’un autre rassemblement, n’était pas acceptable. Il ne devrait être possible de proposer un changement de lieu que s’il existe des raisons véritables pour que les deux évènements ne puissent pas se tenir de façon concomitante :

La Cour estime que le refus d’autoriser l le lieu d’un rassemblement public sur le seul fondement que ce dernier aurait lieu en même temps et au même endroit qu’un autre évènement public, et en l’absence d’une indication claire et objective que les deux évènements en question ne pourraient pas être gérés de manière appropriée dans le cadre de l’exercice des pouvoirs de police, constitue une ingérence disproportionnée dans la liberté de réunion.322Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 42. (uniquement disponible en anglais) Voir également Sáska c. Hongrie, CEDH, arrêt du 27 novembre 2012, point 21. (uniquement disponible en anglais)

Le BIDDH/OSCE, dans ses lignes directrices, suggère qu’au cas où il s’avérerait impossible d’organiser les deux évènements en même temps, les parties devraient être encouragées à dialoguer en vue de trouver une solution satisfaisante. En cas d’échec, une méthode non discriminatoire devrait être trouvée pour assigner un emplacement différent à chacun des évènements, comme un tirage au sort. Les lignes directrices préviennent que bien que la méthode du « premier venu, premier servi » puisse être légitime, des abus peuvent intervenir (consistant, par exemple, à notifier délibérément une réunion très longtemps à l’avance de manière à bloquer l’accès aux autres événements).323BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 122.

Le devoir des autorités de permettre la tenue simultanée de deux rassemblements revêt une importance particulière lorsque les participants à l’un des rassemblements manifestent contre l’autre. Cela découle du principe selon lequel les manifestants sont en droit de se rassembler à portée de vue et d’ouïe du public cible.

Dans le même temps, les autorités doivent également s’assurer que la contre-manifestation n’a pas pour effet d’inhiber le droit de manifester. Le Rapporteur spécial des Nations Unies souligne le rôle important joué par les forces de l’ordre sur ce point :

S’agissant des contre-manifestations, qui visent à exprimer un désaccord avec le message d’autres réunions, elles ne devraient pas dissuader les participants d’autres réunions d’exercer leur droit de réunion pacifique. À cet égard, le rôle que jouent les autorités chargées du maintien de l’ordre dans la protection et dans la facilitation des manifestations est crucial.324Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27,21 mai 2012, point 30 ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, points 24 à 25. (uniquement disponible en anglais)

On peut retrouver un langage similaire dans l’Observation générale no 37 du Comité des droits de l’homme des Nations Unies,325Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 26.les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique,326BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 4.4 et notes explicatives, points 123 à 124.du BIDDH/OSCE ainsi que dans les lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique de la ComADHP.327ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 97 ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 65, point 36.  et le rapport de l’ICDH sur la protestation et les droits de l’homme.328Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), points 77-78. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Plattform « Ärzte für das Leben » c. Autriche [cliquer ici pour un exposé complet], la CEDH a souligné que la liberté de réunion pacifique comprenait le droit d’exprimer un avis que les autres trouvent gênant ou choquant. Les autorités ont une obligation positive de protéger les participants à un rassemblement contre la violence physique exercée par leurs contradicteurs :

Or il arrive à une manifestation donnée de heurter ou mécontenter des éléments hostiles aux idées ou revendications qu’elle veut promouvoir. Les participants doivent pourtant pouvoir la tenir sans avoir à redouter des brutalités que leur infligeraient leurs adversaires : pareille crainte risquerait de dissuader les associations ou autres groupes défendant des opinions ou intérêts communs de s’exprimer ouvertement sur des thèmes brûlants de la vie de la collectivité. Dans une démocratie, le droit de contre-manifester ne saurait aller jusqu’à paralyser l’exercice du droit de manifester. Partant, une liberté réelle et effective de réunion pacifique ne s’accommode pas d’un simple devoir de non-ingérence de l’État ; une conception purement négative ne cadrerait pas avec l’objet et le but de l’article 11 (art. 11) (…) celui-ci appelle parfois des mesures positives, au besoin jusque dans les relations interindividuelles.329Plattform "Ärzte für das Leben" c. Autriche, CEDH, arrêt du 21 juin 1988, point 32.

Dans l’affaire Plattform « Ärzte für das Leben » c. Autriche, la requérante était une association de médecins qui militent contre l’avortement. En 1980 et 1982, cette association avait organisé deux manifestations en Autriche que des contre-manifestants avaient perturbé en dépit de la présence d’importantes forces de police. La première manifestation avait consisté en un office religieux dans une église, suivi d’une autre cérémonie devant un autel érigé sur une colline. Des contre-manifestants avaient perturbé la marche vers la colline en se mêlant aux marcheurs et en gênant par leurs cris les prières ; ils avaient ensuite interrompu le service devant l’autel à l’aide de haut-parleurs et en jetant des œufs et des touffes d’herbe. Des unités spéciales anti-émeutes avaient formé un cordon entre les groupes antagonistes, lorsque la surexcitation des esprits avaient failli engendrer des violences physiques. La deuxième manifestation avait eu lieu sur la place de la Cathédrale de Salzbourg. Une centaine de policiers avaient été dépêchés sur la scène, pour séparer les participants de leurs adversaires et éviter le risque d’attaques directes ; ils avaient fini par évacuer la place pour éviter toute perturbation du service religieux organisé par les médecins.

La CEDH a estimé que la liberté de réunion pacifique impose à l’État le devoir d’adopter des mesures positives pour garantir que les participants puissent manifester sans crainte de subir des violences physiques de la part de leurs opposants. Néanmoins, la Cour a ajouté que les autorités disposaient d’un large pouvoir discrétionnaire pour choisir les mesures appropriées, et que l’obligation dont ils sont tenus est une obligations de moyen, et non de résultat :

S’il incombe aux États contractants d’adopter des mesures raisonnables et appropriées afin d’assurer le déroulement pacifique des manifestations licites, ils ne sauraient pour autant le garantir de manière absolue et ils jouissent d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix de la méthode à utiliser. En la matière, ils assument en vertu de l’article 11 (art. 11) de la Convention une obligation de moyens et non de résultat.330Plattform "Ärzte für das Leben" c. Autriche, CEDH, arrêt du 21 juin 1988, point 34 (références omises).

Dans la présente affaire, la Cour a conclu que malgré quelques incidents, la police autrichienne avait, dans l’ensemble, pris des mesures raisonnables et appropriées, et qu’elle était parvenue à faire en sorte que les rassemblements des requérants se poursuivent jusqu’au bout. En conséquence, il n’y a pas eu de violation du droit à la liberté de réunion pacifique.331Plattform "Ärzte für das Leben" c. Autriche, CEDH, arrêt du 21 juin 1988, points 35 à 39.

Le fait qu’une manifestation puisse attirer une contre-manifestation violente ne constitue pas une raison d’interdire ou de déplacer la première. De la même manière, une contre-manifestation ne saurait être interdite uniquement par crainte d’une confrontation violente (que cette crainte soit ou non justifiée). Dans la mesure du possible, les autorités doivent adopter des mesures préventives appropriées , et « dans le cas exceptionnel où l’État n’est manifestement pas en mesure de protéger les participants d’un danger grave menaçant leur sécurité », les restrictions imposées « doivent résister à un examen strict ».332Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 52.

Dans l’affaire Fáber c. Hongrie, la CEDH a déclaré ce qui suit :

Dans le cadre de l’exercice, par l’État, de sa marge d’appréciation, des incidents violents passés lors d’évènements similaires et l’incidence d’une contre-manifestation sur la manifestation ciblée constituent des considérations pertinentes pour les autorités, pour ce qui est du risque d’une confrontation violente entre les deux groupes (un problème général d’ordre public). L’expérience tirée de troubles passée est moins pertinente dans le cas, comme en l’espèce, où les autorités peuvent adopter des mesures préventives, telles qu’une présence policière séparant les deux rassemblements et fournissant un niveau de protection suffisant, même s’il existait déjà des antécédents de violences lors d’évènements similaires ayant nécessité l’intervention des forces de l’ordre.333Fáber c. Hongrie, CEDH, arrêt du 24 juillet 2012, point 44 (uniquement disponible en anglais) (références omises).

Lorsqu’il existe des antécédents d’hostilité publique vis-à-vis d’un groupe minoritaire ayant annoncé son intention d’organiser un rassemblement, le devoir des autorités va au-delà du déploiement d’effectifs policiers suffisants ; elles doivent aussi utiliser tous les moyens disponibles pour prôner la tolérance, notamment dans le cadre de déclarations publiques et d’avertissements à l’égard des contrevenants potentiels. Dans l’affaire Identoba et autres c. Géorgie, par exemple, les requérants, des membres de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transsexuelle (LGBT) géorgienne, avaient été insultés, menacés et agressés par un plus grand groupe de contre-manifestants lors d’une manifestation pacifique qui visait à commémorer la Journée internationale contre l’homophobie. Au lieu de maîtriser les contre-manifestants les plus agressifs, la police avait brièvement placé en détention certains des requérants, prétendument pour leur propre sécurité. La CEDH a retenu l’existence d’une violation des droits à la liberté de réunion et à la non-discrimination. Elle a déclaré ce qui suit :

[A]u vu de l’attitude d’une partie de la société géorgienne envers les minorités sexuelles, les autorités connaissaient ou auraient dû connaître le risque de tensions liées à la marche sur la voie publique prévue par l’organisation requérante (…). Elles étaient ainsi tenues d’utiliser tous les moyens possibles, comme, par exemple, des déclarations publiques préalables à la manifestation, pour prôner, sans aucune ambiguïté, l’adoption d’une attitude tolérante et conciliatrice, ainsi que des avertissements à l’attention des contrevenants éventuels sur la nature des sanctions susceptibles de leur être infligées. Par ailleurs, il est apparu clairement à l’issue du défilé LGBT que le nombre de patrouilles d’officiers de police dépêchées sur les lieux de la manifestation était insuffisant, et il est évident qu’il aurait été plus prudent de la part des autorités, compte tenu de la probabilité d’affrontements dans la rue, d’assurer une présence policière plus forte en mobilisant, par exemple, une unité de police anti-émeutes.334Identoba et autres c. Géorgie, CEDH, arrêt du 12 mai 2015, point 99 ; (uniquement disponible en anglais) voir également Ouranio Toxo et autres c. Grèce, CEDH, arrêt du 20 octobre 2005, points 42 à 43 et Alexeïev c. Russie,CEDH, arrêt du 21 octobre 2010, point 75.

De mmême, dans son Rapport sur la protestation et les droits de l’homme, la CIDH observe que :

Lorsqu’ils examinent la nécessité d’imposer des restrictions à une contre-manifestation, les États doivent tenir compte de la protection spécifique à accorder aux secteurs socialement exclus ou aux groupes en situation de vulnérabilité. Les manifestants appartenant à des minorités, à des groupes victimes de discrimination ou en situation de vulnérabilité doivent être tout spécialement protégés contre les groupes qui cherchent à les menacer ou à les intimider dans l’exercice de leurs droits.335Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 79. (uniquement disponible en anglais)

Les États sont tenus de faciliter la tenue de rassemblements pacifiques.336Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, points 37 à 49 ; (uniquement disponible en anglais) Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, points 26 à 28 ;Cela signifie, à un niveau élémentaire, que les personnes qui exercent le droit doivent avoir accès à l’espace public et bénéficier d’une protection, par exemple lorsqu’elles sont confrontées à une contre-manifestation violente ou si des personnes aux intentions violentes ou des agents provocateurs rejoignent le rassemblement.

Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies prie instamment les États :

de faciliter les manifestations pacifiques en donnant aux manifestants accès à l’espace public et en les protégeant tous sans discrimination, selon que de besoin, contre toutes formes de menace et de harcèlement, et souligne le rôle que peuvent jouer les autorités locales à cet égard.337Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Résolution 25/38 sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte de manifestations pacifiques, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/25/38, 11 avril 2014, point 4. (uniquement disponible en anglais)

En outre, l’État doit fournir plusieurs services de base gratuits, tels qu’ils sont identifiés dans le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements :

L’obligation de l’État de faciliter les rassemblements comprend la responsabilité de fournir des services de base, notamment pour la régulation du trafic, l’assistance médicale et le nettoyage. Les organisateurs ne devraient être tenus ni d’assurer de tels services ni de contribuer aux coûts qui en découlent.338Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 40. (uniquement disponible en anglais)

La ComIDH a souligné l’importance des plans opérationnels, notamment des mesures de gestion de la circulation :

(…) les institutions compétentes de l’État sont tenues de concevoir des plans et des procédures opérationnels pour faciliter l’exercice du droit de réunion (…) [y compris] la réorientation de la circulation piétonne et automobile dans une certaine zone.339ComIDH, Report on Citizen Security and Human Rights, OEA/Ser.L/V/II, Doc 57, 31 décembre 2009, point 193. (uniquement disponible en anglais)

De même, la CEDH a reconnu l’existence d’une obligation, à la charge des autorités, d’adopter

les mesures nécessaires pour minimiser toute perturbation de la circulation, ou d’autres mesures de sécurité, telles que l’envoi de secours d’urgence sur les lieux des réunions ou des manifestations, afin de garantir le bon déroulement des événements de ce type.340Novikova et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 26 avril 2016, point 171 ; (uniquement disponible en anglais) voir également Oya Ataman c. Turquie, CEDH, arrêt du 5 décembre 2006, point 39.

Et l’Observation générale no 37 explique :

En outre, les États parties ont l’obligation positive de faciliter la tenue des réunions pacifiques et de permettre aux participants d’atteindre leurs objectifs23. Les États doivent donc promouvoir un environnement propice à l’exercice du droit de réunion pacifique sans discrimination et mettre en place un cadre juridique et institutionnel dans lequel ce droit puisse être exercé effectivement. Dans certains cas, les autorités peuvent avoir à prendre des mesures spécifiques. Elles peuvent, par exemple, être obligées de bloquer des rues, de dévier la circulation ou de veiller à la sécurité. Lorsque cela s’impose, les États doivent aussi protéger les participants contre certains abus que pourraient commettre des acteurs non étatiques, tels que des interventions ou des actes de violence d’autres membres du public24, de contre-manifestants ou de prestataires de services de sécurité privés.341Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 24.

De manière plus générale, l’obligation de faciliter les rassemblements comprend un large éventail d’actions de la part des autorités, afin de s’assurer d’être en mesure de garantir l’exercice sûr et effectif du droit de réunion. Il s’agit notamment de la formation des forces de police, de la communication effective avec les organisateurs et les participants et de la préparation appropriée à la tenue de rassemblements.

L’obligation de faciliter les rassemblements s’applique également à ceux qui n’ont pas été officiellement notifiés aux autorités, notamment aux rassemblements spontanés. C’est ainsi, par exemple, que la ComIDH a déclaré ce qui suit :

Dans les États où la notification ou la notification préalable est obligatoire, il convient de rappeler que cela ne signifie pas que les États n’ont que l’obligation positive de faciliter et de protéger les rassemblements dûment notifiés.342ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 66. (uniquement disponible en anglais)

Le BIDDH/OSCE a publié un manuel détaillé intitulé Human Rights Handbook on Policing Assemblies (Manuel sur les droits de l’homme pour le maintien de l’ordre lors des rassemblements) qui vise à donner des conseils à la police quant à la façon de faciliter le droit de réunion pacifique. Les lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique publiées par la ComADHP constituent une autre ressource approfondie dans le domaine.

Le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements exhorte les États à s’abstenir de se livrer à des interpellations et des fouilles indues, ou à des arrestations des personnes qui se rendent à un rassemblement :

Aucune mesure préventive intrusive ne devrait être prise lors d’un rassemblement. Les participants qui se rendent à un rassemblement ne devraient pas être arrêtés, fouillés ou détenus sauf s’il existe un risque manifeste et imminent de violence.343Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 49. (uniquement disponible en anglais)

L’Observation générale no 37 souligne de même :

Les pouvoirs d’interpellation et de fouille ne peuvent être exercés sur les personnes qui participent à un rassemblement ou sont sur le point de le faire que s’il existe des soupçons raisonnables qu’une infraction grave a été commise ou risque d’être commise, etne peuvent pas être exercés de manière discriminatoire. Le simple fait que les autorités associent un individu à une réunion pacifique ne constitue pas un motif suffisant pour l’interpeller et le fouiller.344Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 83.

Ce point de vue est soutenu par la jurisprudence de la CEDH.

Dans l’affaire Gillan et Quinton c. Royaume-Uni, la Cour a souligné que la loi devait restreindre le pouvoir discrétionnaire des agents de police, à titre individuel, pour effectuer des fouilles, y compris sur les personnes entendant participer à des manifestations. Les requérants (un journaliste et un manifestant) se rendaient à une manifestation contre la foire aux armements qui se tenait à Londres lorsqu’ils avaient été interpellés pour faire l’objet d’une fouille. La CEDH a critiqué le fait que la législation applicable n’imposait pas d’« appréciation de la proportionnalité de la mesure » et que la police pouvait se livrer à des fouilles se fondant « uniquement »sur le « pressentiment » ou l’« intuition professionnelle » du policier en question.345Gillan et Quinton c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 12 janvier 2010, points 80 à 83.En conséquence, il y a eu violation du droit au respect de la vie privée. La Court a prévenu que la législation pouvait également permettre des violations du droit à la liberté de réunion :

[A]ccorder un pouvoir aussi étendu aux policiers fait naître un risque clair d’arbitraire (…). Il y a de plus un risque qu’un pouvoir aussi peu encadré soit détourné contre des manifestants et des protestataires en violation de l’article 10 et/ou de l’article 11 de la Convention.346Gillan et Quinton c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 12 janvier 2010, point 85.

La CEDH a fréquemment condamné les arrestations et autres entraves causées par les autorités qui empêchaient les participants de rejoindre un rassemblement sans aucune justification claire.347Voir, par exemple, Djavit An c. Turquie, CEDH, arrêt du 20 février 2003 (les autorités turques et chypriotes turques avaient refusé d’autoriser le requérant à traverser la ligne « verte » pour se rendre dans le sud de Chypre afin de participer à des réunions bicommunautaires avec des Chypriotes grecs) ; Schwabe et M.G. c. Allemagne,CEDH, arrêt du 1er décembre 2011 (les requérants avaient été arrêtés alors qu’ils se rendaient à une manifestation où la police craignait des actes de terrorisme et des émeutes car ils portaient des banderoles sur lesquelles étaient inscrits les slogans « Liberté pour tous les prisonniers » et « Libérez-les tous maintenant », et avaient été détenus pendant près de six jours par crainte qu’ils n’incitent autrui à libérer des détenus) ; Huseynli et autres c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 11 février 2016 (uniquement disponible en anglais) (les requérants avaient été arrêtés deux jours avant une manifestation et condamnés en référé à sept jours de détention administrative pour des motifs arbitraires, par crainte qu’ils ne participent à la manifestation et pour les sanctionner pour avoir participé à des actes de protestation de l’opposition) ; Eğitim ve Bilim Emekçileri Sendikası c. Turquie, CEDH, arrêt du 5 juillet 2016 (les requérants avaient été arrêtés sur l’autoroute, alors qu’ils se rendaient à une manifestation pour une éducation enseignement de qualité et gratuite et avaient été détenus pendant plusieurs heures) ; Kasparov c. Russie, CEDH, arrêt du 11 octobre 2016 (uniquement disponible en anglais) (le billet d’avion du requérant avait été saisi pour son « examen légal », ce qui l’avait empêché de se joindre à une manifestation de l’opposition).Le « refus d’autoriser un individu à se déplacer pour participer à un rassemblement constitue une ingérence dans sa liberté de réunion » 348Kasparov c. Russie, CEDH, arrêt du 11 octobre 2016, point 66. (uniquement disponible en anglais). qui doit être justifié conformément au test en trois volets. La Cour a affirmé que les autorités n’étaient pas en droit d’empêcher les participants de se rendre à un rassemblement simplement car ce dernier est considéré comme illégal en l’absence de notification ou d’autorisation préalable.349Eğitim ve Bilim Emekçileri Sendikası c. Turquie, CEDH, arrêt du 5 juillet 2016, points 106 à 109.

Une personne dont les intentions et actions sont pacifiques ne se voit pas privée de son droit de réunion si d’autres personnes deviennent violentes. La CEDH a déclaré ce qui suit :

[La] jouissance par un individu du droit de réunion pacifique ne cesse pas du fait que des actes sporadiques de violence ou d’autres comportements répréhensibles soient perpétrés par des tiers dans le cadre de la manifestation, sous réserve que les intentions ou le comportement de l’individu en question soi(en)t demeuré(e)s pacifique(s).350Ziliberberg c. Moldavie, CEDH, décision du 4 mai 2004, point 2 (uniquement disponible en anglais); Frumkin c. Russie, CEDH, arrêt du 5 janvier 2016, point 99 ; Primov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 12 juin 2014, point 155. (uniquement disponible en anglais)

Il s’ensuit que les membres des forces de l’ordre facilitant un rassemblement doivent, dans la mesure du possible, permettre aux participants pacifiques à ce dernier de continuer d’exercer leurs droits. Ils doivent être préparés et formés pour écarter les participants individuels ou les infiltrés (parfois désignés sous le terme d’« agents provocateurs ») ayant des intentions violentes, au lieu d’interdire ou de disperser le rassemblement.351Voir Conseil des droits de l’homme des Nations Unies , Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies  A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 70  (uniquement disponible en anglais) ; BIDDH/OSCE et Commission de Venise,Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 46 ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 26, point 24. Le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements indique ce qui suit :

Avant d’opter pour une dispersion, les forces de l’ordre devraient chercher à identifier les individus violents, les isoler du reste de la manifestation et faire une distinction entre eux et le reste des participants. Cela pourrait permettre au rassemblement de se poursuivre.352Conseil des droits de l’homme des Nations Unies , Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies  A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 61. (uniquement disponible en anglais)

Le BIDDH/OSCE, dans ses lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, exprime un point de vue identique :

Les autorités devraient donc s’abstenir de donner un ordre de dispersion de réunion lorsque seul un faible nombre de participants agit de manière violente. Dans ce cas, il conviendrait de prendre des mesures visant uniquement les individus concernés. De même, à supposer que des agents provocateurs infiltrent une réunion par ailleurs pacifique, les autorités devraient prendre des mesures appropriées pour extraire les intéressés plutôt que dissoudre la réunion ou la déclarer illégale. 353BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 154.

La ComADHP a, elle aussi, adopté une position similaire.354ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 22.3.

Dans l’affaire Frumkin c. Russie, la CEDH avait fait grief aux autorités russes d’avoir dispersé tout un rassemblement au lieu de tenter d’isoler le secteur qui était devenu turbulent :

Les autorités n’ont pas établi qu’avant de déclarer la fin du rassemblement dans son ensemble, elles avaient tenté d’isoler le secteur turbulent et de cibler les problèmes à ce niveau-là, afin de permettre la poursuite de la réunion dans le secteur où la situation était restée pacifique. La Cour n’est donc pas convaincue que l’arrêt du rassemblement (…) était inévitable.355Frumkin c. Russie, CEDH, arrêt du 5 janvier 2016, point 133.

La dispersion n’est admise que si elle est absolument inévitable

La dispersion des rassemblements comporte un grand risque d’escalade et de violation des droits de l’homme. Pour ces raisons, le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements recommande un niveau élevé de retenue pour ce qui est du recours à la dispersion :

Les mesures de dispersion d’un rassemblement risquent potentiellement de violer le droit à la liberté d’expression et le droit de réunion pacifique, ainsi que le droit à l’intégrité physique. En outre, elles peuvent exacerber les tensions entre les participants et les forces de l’ordre. C’est pourquoi la dispersion d’un rassemblement n’est admise que si elle est absolument inévitable.356Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 61. (uniquement disponible en anglais)

Le BIDDH/OSCE, dans ses lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, met aussi en garde contre le recours aux pouvoirs de dispersion, qui créent souvent davantage de problèmes en matière de maintien de l’ordre qu’ils n’en résolvent, et détériorent les relations entre la police et la population. Les lignes directrices soulignent que les autorités compétentes ont des solutions entre la non-intervention et la dispersion, telles que des poursuites engagées après la réunion pour des violations de la loi.357BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, points 155-156. Pour la ComADHP, la dispersion doit représenter « une mesure en dernier recours ».358ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 22.1 ; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 65, point 39.Elle ne doit être utilisée que lorsque les stratégies de désescalade et de confinement et les arrestations ciblées d’individus violents ont échoué :

Lorsque les participants à une réunion n’agissent pas de manière pacifique ou ne respectent pas la loi, les forces de l’ordre devraient, dans la mesure du possible, recourir à des stratégies de communication et de désescalade, et à des mesures de confinement des individus qui commettent ou menacent de commettre des actes de violence ou, si cela est nécessaire et proportionné, procéder à l’arrestation des individus qui commettent ou se préparent à commettre des actes de violence, avant de tenter de disperser la réunion.359ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 22.3.

Dans quelles circonstances la dispersion peut-elle être envisagée ?

La ComIDH indique, à ce propos, que « la dispersion d’une manifestation ne peut se justifier que par l’obligation de protéger les personnes ».360ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 67. (uniquement disponible en anglais) Le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements indique que la dispersion d’un rassemblement émaillé de violences peut uniquement être envisagée

(…) lorsque la violence est généralisée et grave, qu’elle représente une menace imminente pour l’intégrité physique ou les biens et que les forces de l’ordre ont pris toutes les mesures raisonnables pour faciliter la réunion et protéger les participants contre des préjudices.361Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 61. (uniquement disponible en anglais)

La ComADHP adopte une position similaire,362ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 22.5.tout comme la CDHE363Navalnyy c. Russie, CEDH, arrêt du 15 novembre 2018, points 45, 137 (“An interference with freedom of assembly in the form of the disruption, dispersal or arrest of participants in a given event may only be justifiable on specific and averred substantive grounds, such as serious risks referred to in paragraph 1 of section 16 of the Public Events Act,” i.e., “‘the emergence of a genuine threat to citizens’ lives or health, and to the possessions of physical or legal persons.’”).et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies.364Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 85.Le fait que les autorités doivent tenter d’identifier et d’isoler les individus violents avant d’envisager de disperser un rassemblement est un principe important.

Les rassemblements qui demeurent pacifiques ne peuvent être dispersés que dans des cas exceptionnels. Les circonstances évoquées ci-dessous ne justifient pas, en tant que telles, la dispersion d’un rassemblement :

Dans les rares cas où la dispersion est en principe justifiée, les manifestants devraient normalement avoir la possibilité d’exprimer leurs points de vue avant que les autorités ne dispersent le rassemblement.

Le rapport conjoint souligne qu’un rassemblement constituant une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, en violation des dispositions de l’article 20 du PIDCP peut justifier une dispersion, si des mesures moins intrusives ou discriminatoires ont échoué.366Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 62. (uniquement disponible en anglais) Dans l’affaire R.B. c. Hongrie (une espèce dans le cadre de laquelle le requérant, d’origine rom, avait fait l’objet d’insultes racistes et avait été menacé à la hache par des participants à un rassemblement d’extrême droite), la CEDH a également reconnu que « dans certaines situations, les autorités nationales peuvent être contraintes de procéder à la dispersion d’une manifestation violente et ouvertement intolérante ».367R.B. c. Hongrie, CEDH, arrêt du 12 avril 2016, point 99.  (uniquement disponible en anglais) Voir également Király et Dömötör c. Hongrie, CEDH, arrêt du 17 janvier 2017, point 64. (uniquement disponible en anglais).

Comment gérer la dispersion ?

Selon le rapport conjoint report concernant la bonne gestion des rassemblements368Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 61. (uniquement disponible en anglais)et les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique369BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 165. du BIDDH/OSCE, les mesures à adopter avant la dispersion doivent être définies dans des lignes directrices exhaustives et disponibles au public.

La décision de disperser un rassemblement doit être adoptée par un officier d’un rang suffisant disposant d’informations précises sur la situation qui se déroule sur le terrain.370Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 63 ;  (uniquement disponible en anglais) ; ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 22.5. Conformément à l’obligation des autorités de communiquer effectivement avec les organisateurs et les participants, la première mesure consistera toujours à informer clairement les personnes présentes de l’intention de disperser le rassemblement, ainsi que d’accorder aux participants suffisamment de temps pour quitter les lieux volontairement, avant d’intervenir plus en avant.371Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 63 ; (uniquement disponible en anglais) ; ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 22.4 ;  BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 168.

Les arrestations massives lors de la dispersion doivent être évitées.372Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 45 ; (uniquement disponible en anglais) ; ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 23.3 ; BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 161. La CIDH a souligné que l’existence d’éléments de preuve étayés concernant la commission d’un délit était nécessaire pour justifier une arrestation :

[U]ne arrestation massive et programmée de personnes sans fondement légal, dans le cadre de laquelle l’État arrête massivement des personnes que les autorités estiment pouvoir représenter un risque ou un danger pour la sécurité d’autrui, et ce sans éléments de preuve étayés de la commission d’un délit, constitue une arrestation arbitraire et illégale.273Servellón García et autres c. Honduras, CIDH, arrêt du 21 septembre 2006, point 93.

Le recours à la force pour disperser un rassemblement devrait toujours se conformer strictement aux principes applicables au recours à la force. Conformément aux principes de nécessité et proportionnalité, la force ne devrait être utilisée que s’il n’y a pas d’autre alternative, et elle devrait se limiter au strict minimum. 374Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 86.En particulier, dans l’affaire Süleyman Çelebi et autres c. Turquie, la CDHE a conclu à une violation de l’article 11 lorsque du gaz lacrymogène a été utilisé pour disperser les participants à une manifestation pacifique.375Süleyman Çelebi et autres c. Turquie (No 2), CEDH, arrêt du 12 décembre 2017, points 48-56.

Les principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois déclarent :

Les responsables de l’application des lois doivent s’efforcer de disperser les rassemblements illégaux mais non violents sans recourir à la force et, lorsque cela n’est pas possible, limiter l’emploi de la force au minimum nécessaire.376Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 13.

La ComADHP déclare dans la même veine :

Si les participants d’un rassemblement se comportent pacifiquement de manière générale, les responsables de l’application des lois doivent éviter de recourir à la force pour disperser ledit rassemblement. Si le recours à la force est considéré comme une réponse proportionnée et légale, les responsables de l’application des lois doivent employer uniquement le niveau minimal de force nécessaire.377ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 22.2.

La nécessité de disperser un rassemblement ne justifie en aucun cas le recours à la force meurtrière. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a engagé les États « à faire en sorte, à titre prioritaire, que leur législation interne et leurs procédures nationales » mettent en œuvre le principe selon lequel « le recours à la force meurtrière n’est autorisé que pour se protéger contre une menace imminente mettant en danger des vies humaines et qu’une telle force ne peut être utilisée simplement pour disperser un rassemblement ».378Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Résolution 25/38 sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte de manifestations pacifiques, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/25/38, 11 avril 2014, point 10. (uniquement disponible en anglais) La ComIDH a rejoint cette position, affirmant ce qui suit :

Il découle des principes généraux afférents au recours à la force qu’il n’existe pas de situation autorisant le recours à la force meurtrière pour disperser un acte de protestation ou une manifestation, ou pour tirer sans discernement dans la foule. Les États doivent mettre en œuvre des mécanismes afin d’interdire le recours à la force meurtrière dans le cadre de manifestations publiques.379ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 81. (uniquement disponible en anglais)

L’utilisation d’armes à feu par les membres des forces de l’ordre est, quant à lui, soumis à des règles spécifiques. Le fait que les armes à feu ne puissent jamais être utilisées uniquement pour maîtriser ou disperser un rassemblement est un principe fondamental.380Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 60 ; (uniquement disponible en anglais) ; ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 22.6 ; ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 82. (uniquement disponible en anglais).

Le droit d’enregistrer s’applique aussi pendant la dispersion d’un rassemblement. Selon les Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique du BIDDH/OSCE,

Les tierces parties (comme les observateurs, les journalistes et photographes) peuvent également se voir demander de se disperser, mais ne sauraient être empêchées d’observer et de filmer/photographier l’opération de maintien de l’ordre.381BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 168.

La ComADHP adopte une position similaire.382ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 22.7.

Les mécanismes internationaux soulignent largement l’importance d’un dialogue ouvert entre les autorités, d’une part, et les organisateurs et les participants aux rassemblements de l’autre, afin d’éviter ou de désamorcer les tensions et de prévenir l’escalade. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a par exemple souligné « le rôle important que peut jouer la communication entre les manifestants, les autorités locales et les membres des forces de l’ordre dans la bonne gestion de rassemblements »,383Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Résolution 25/38 sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte de manifestations pacifiques, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/25/38, 11 avril 2014, point 5. (uniquement disponible en anglais)alors que le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements affirme, à ce propos, ce qui suit :

Les organes et les agents de la force publique doivent prendre toutes les mesures raisonnables pour communiquer avec les organisateurs et/ou les participants au sujet des opérations de maintien de l’ordre et des mesures de sûreté et de sécurité.384Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 38. (uniquement disponible en anglais).

Le rapport ajoute que la communication doit être entièrement volontaire, et non un moyen d’imposer aux organisateurs l’obligation de négocier les restrictions imposées au rassemblement.385Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 39. (uniquement disponible en anglais).

La ComIDH recommande, quant à elle :

[L]a promotion de possibilités de communication en amont des manifestations et des activités des officiers de liaison visant à établir une coordination avec les manifestants concernant (…) les opérations des forces de l’ordre, afin d’éviter des situations de conflit.386ComIDH, Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II.124 Doc. 5 Rev. 1, 7 mars 2006, point 68. (uniquement disponible en anglais).

La ComADHP souligne, elle aussi, le besoin d’un « dialogue et une négociation continus (…) pour faire face de manière proactive à toute question susceptible de survenir lors du déroulement d’une opération liée à une réunion ».387ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 13.1.Tout comme la ComIDH, elle suggère de nommer des officiers de liaison :

Les agents chargés de l’application des lois devraient maintenir une communication ouverte avec toutes les parties prenantes concernées, y compris les organisateurs de la réunion et les participants, les autres prestataires de services essentiels et les membres des services d’ordre. Les agents chargés de l’application des lois doivent communiquer de manière continue et proactive les intentions des forces de maintien de l’ordre, ainsi que les plans d’urgence et toute limitation ou restriction qui serait imposée durant la réunion, avec les parties prenantes ; ils devraient envisager de nommer une personne spécialement formée en communication pour être le point focal pour la communication avec les parties prenantes.388ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 13.2.

Le BIDDH/OSCE, dans ses lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique utilise un langage similaire à ce propos et affirme que les opérations policières devraient se caractériser par une politique fondée sur « l’absence de surprise ».389BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, points 149-150.Les lignes directrices préconisent également le recours à la négociation ou au dialogue pour résoudre toute situation sans issue lors d’un rassemblement :

En cas d’interruption ou d’un autre incident pendant le déroulement d’une réunion, la négociation ou un dialogue supervisé par un médiateur peuvent constituer un moyen approprié d’arriver à une solution acceptable. Ce dialogue – même s’il n’est pas toujours couronné de succès – peut contribuer à empêcher l’escalade de la tension, l’imposition de restrictions arbitraires superflues ou le recours à la force.390BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 5.4.

Et l’Observation générale no 37 déclare ce qui suit :

Les organes chargés du maintien de l’ordre devraient, dans toute la mesure possible, chercher à mettre en place des voies qui permettent la communication et le dialogue entre les différentes parties avant et pendant la réunion, afin d’assurer une meilleure préparation, d’apaiser les tensions éventuelles et de résoudre tout différend103. S’il est de bonne pratique que les organisateurs et les participants s’associent à ces échanges, ceux-ci ne sauraient y être obligés.391Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 75.

L’obligation, pour les autorités, de communiquer avec les organisateurs d’un rassemblement est également confirmée par la jurisprudence internationale. Selon la CEDH, « il s’agit d’une partie essentielle de leur obligation positive de garantir le déroulement pacifique du rassemblement ».392Frumkin c. Russie, CEDH, arrêt du 5 janvier 2016, point 129.L’affaire Frumkin c. Russie [cliquer ici pour un exposé complet] concernait un rassemblement contre une prétendue fraude électorale qui avait donné lieu à affrontement à la suite du blocage, par la police anti-émeutes, de l’accès à un parc que les manifestants espéraient pouvoir occuper. La Cour a estimé que l’absence de communication effective des autorités avec les meneurs de la manifestation constituait une violation du droit à la liberté de réunion pacifique :

[E]n l’espèce, les autorités n’ont pas consenti suffisamment d’efforts pour communiquer avec les organisateurs du rassemblement afin de résoudre les tensions due à la confusion concernant le lieu de ce dernier. Le fait de ne pas avoir adopté de mesures simples et évidentes dès les premiers signes de conflit a permis à ce dernier de prendre de l’ampleur, entraînant la perturbation d’un rassemblement jusqu’alors pacifique (…). La Cour estime que dans la présente affaire, les autorités n’ont même pas respecté les exigences minimales dictées par leur obligation de communiquer avec les meneurs du rassemblement, qui était un élément essentiel de leur obligation positive de garantir le déroulement pacifique de ce dernier, afin d’éviter les troubles et garantir la sûreté de tous les citoyens concernés.393Frumkin c. Russie, CEDH, arrêt du 5 janvier 2016, points 128 à 129.

Dans l’affaire Frumkin c. Russie, le requérant avait participé à une manifestation sur la place Bolotnaya, à Moscou, contre de prétendus « abus et falsifications » lors des élections législatives et présidentielles organisées en 2011 et 2012. L’itinéraire et le déroulement du rassemblement avaient été convenus à l’avance entre les organisateurs et les autorités, après de longs échanges. Le ministère de l’intérieur moscovite avait publié des informations sur la manifestation à venir, notamment une carte indiquant la zone assignée au rassemblement, laquelle comportait le parc de la place Bolotnaya.

Néanmoins, alors que la marche s’approchait de la place, les meneurs étaient tombés sur un cordon de police anti-émeutes qui bloquait l’accès au parc, le lieu du rassemblement étant restreint à la rive de Bolotnaya, où les organisateurs avaient installé une scène. Les meneurs de la marche avaient demandé à la police d’ouvrir l’accès au parc et avaient annoncé un sit-down, auquel entre vingt et cinquante personnes s’étaient jointes. À la demande de la police, le médiateur de la Fédération de Russie avait tenté de convaincre les meneurs du sit-in de poursuivre leur manifestation, mais aucun agent de police ou municipal gradé ne s’était rendu sur le site, et il n’y avait pas eu de communication directe entre les autorités et les organisateurs du sit-in.

Si les organisateurs avaient fini par renoncer au sit-in, de l’agitation avait secoué le site et certaines personnes dans la foule avaient lancé divers objets sur le cordon policier, dont un cocktail Molotov. La police anti-émeutes avait alors commencé à disperser la manifestation et avait arrêté certains participants, dont le requérant.

Devant la CEDH, le gouvernement russe avait expliqué que le lieu du rassemblement avait été restreint à la rive par crainte que les activistes de l’opposition préparent un soulèvement populaire et prévoient notamment d’ériger un campement de protestation dans le parc de la place Bolotnaya. La Cour a reconnu la légitimité éventuelle des inquiétudes des autorités, mais a souligné l’importance fondamentale de communiquer leur position ouvertement :

Le fait que la police ait pris des précautions pour éviter l’occupation du parc pour en faire ln campement (…) aurait pu justifier le refus de permettre l’accès au parc, puisque, dans tous les cas, le rassemblement disposait de suffisamment d’espace pour tenir une réunion. Fondamentalement et indépendamment de la manière de procéder jugée opportune par la police, les autorités auraient dû échanger avec les organisateurs du sit-in, afin de communiquer leur position ouvertement, clairement et rapidement.394Frumkin c. Russie, CEDH, arrêt du 5 janvier 2016, point 118.

Bien que la police ait contacté les meneurs de la manifestation par l’intermédiaire du médiateur, rien n’avait été tenté au préalable pour établir un canal de communication, et aucun effort n’avait été consenti sur le site pour communiquer directement avec eux. La Cour a estimé qu’il s’agissait-là d’une omission surprenante :

Du point de vue de la Cour, le différend concernant l’emplacement du cordon policier aurait pu être géré raisonnablement par des officiers compétents préparés à communiquer avec les organisateurs du rassemblement (…).
Les constatations de la Cour (…) ont permis de conclure que les forces de police n’avaient pas mis en place un canal de communication fiable avec les organisateurs en amont du rassemblement. Cette omission est surprenante au vu de la minutie générale des préparatifs en matière de sécurité (…). En outre, les autorités n’ont pas répondu de manière constructive aux développements en temps réel (…). Aucun responsable n’a pris la peine de parler aux organisateurs de la marche qui montraient des signes de détresse face au cordon policier (…).
À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce, les autorités n’ont pas consenti suffisamment d’efforts pour communiquer avec les organisateurs du rassemblement pour résoudre les tensions dues à la confusion concernant le lieu de ce dernier. Le fait de ne pas avoir adopté de mesures simples et évidentes dès les premiers signes de conflit a permis à ce dernier de prendre de l’ampleur, entraînant la perturbation d’un rassemblement jusqu’alors pacifique. 395Frumkin c. Russie, CEDH, arrêt du 5 janvier 2016, points 126 à 128.

La Cour a conclu que ces défaillances constituaient une violation du droit à la liberté de réunion pacifique :

La Cour estime que dans la présente affaire, les autorités n’ont même pas respecté les exigences minimales dictées par leur obligation de communiquer avec les meneurs du rassemblement, qui était un élément essentiel de leur obligation positive de garantir le déroulement pacifique de ce dernier, afin d’éviter les troubles et garantir la sûreté de tous les citoyens concernés.
Les autorités ne se sont donc pas acquittées de leur obligation positive concernant le déroulement du rassemblement sur la place Bolotnaya. En conséquence, il y a eu violation de l’article 11 de la Convention.396Frumkin c. Russie, CEDH, arrêt du 5 janvier 2016, points 129 à 130.

La gestion appropriée des rassemblements peut s’avérer une tâche très exigeante pour les agents qui en sont chargés. Le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements souligne l’importance d’une formation adéquate des membres des forces de l’ordre, afin de les préparer à la facilitation des rassemblements.397Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 42. (uniquement disponible en anglais).

L’Observation générale no 37 souligne :

Ne devraient être déployés pour maintenir l’ordre dans les rassemblements que des agents des forces de l’ordre qui ont été formés à l’encadrement des réunions, y compris aux normes relatives aux droits de l’homme pertinentes. La formation devrait sensibiliser les agents aux besoins particuliers des personnes et des groupes en situation de vulnérabilité, qui, dans certains cas, peuvent comprendre les femmes, les enfants et les personnes handicapées, lorsqu’ils participent à des réunions pacifiques. Les forces militaires ne devraient pas être utilisées pour maintenir l’ordre dans les rassemblements112, mais si elles sont déployées en appui, à titre exceptionnel et de façon temporaire, elles doivent avoir reçu une formation aux droits de l’homme appropriée et agir dans le respect des mêmes règles et normes internationales que celles qui s’appliquent aux forces de police.398Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 80.

De même, la CEDH estime que le plein respect de la liberté de réunion nécessite « la mise en place d’un système garantissant la formation appropriée des membres des forces de l’ordre, ainsi que le contrôle et la supervision de ces forces de l’ordre lors des manifestations ».399İzci c. Turquie, CEDH, arrêt du 23 juillet 2013, point 99. (uniquement disponible en anglais) La Cour n’a pas précisé les thèmes devant être abordés par cette formation, sauf dans un domaine. Elle a indiqué que cette dernière devait viser à garantir que les armes à feu n’étaient utilisées qu’en cas de nécessité absolue :

[L]es représentants de la loi doivent être formés pour être à même d’apprécier s’il est ou non absolument nécessaire d’utiliser les armes à feu, non seulement en suivant la lettre des règlements pertinents mais aussi en tenant dûment compte de la prééminence du respect de la vie humaine en tant que valeur fondamentale. 400Giuliani et Gaggio c. Italie, CEDH, Grande Chambre arrêt du 24 mars 2011, point 250.

La CIDH s’est prononcée dans le même sens :

Une législation appropriée ne remplirait pas son objectif si entre autres, les États n’éduquent et ne forment pas leurs forces armées et organes de sécurité aux principes et aux règles afférents à la protection des droits de l’homme, ainsi qu’aux limitations auxquelles le recours aux armes par les représentants de la loi doit être soumis dans tous les cas de figure.401Zambrano Vélez et autres c. Équateur, CIDH, arrêt du 4 juillet 2007 (fond, réparation et dépens), point 87. (uniquement disponible en anglais).

Le Rapporteur spécial et le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ont fourni davantage d’orientations sur le contenu de la formation dont les membres des forces de l’ordre doivent bénéficier,402Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, points 38, 42, 49, 52, 55, 66 et 67. (uniquement disponible en anglais)tout comme la ComADHP,403ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 7. la ComIDH,404ComIDH, Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II.124 Doc. 5 Rev. 1, 7 mars 2006, point 141. (uniquement disponible en anglais) le BIDDH/OSCE dans ses lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique,405BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, points 147-148.et les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois des Nations Unies.406Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principes 18 à 21.Selon ces autorités, les compétences dispensées dans le cadre de ladite formation devraient notamment inclure :

  • la connaissance des droits de l’homme dans le cadre des rassemblements, et le rôle important de ces derniers dans une société démocratique ;
  • la connaissance des questions d’éthique policière ;
  • la connaissance du cadre juridique régissant les rassemblements et les interventions des membres des forces de l’ordre;
  • la connaissance du comportement de la foule et des techniques de facilitation et de gestion y afférentes ;
  • le contrôle et la planification des opérations ;
  • les compétences relationnelles requises pour régler les conflits de façon pacifique, telles que la communication orale et non-orale, la négociation, la persuasion et la médiation ;
  • des alternatives au recours à la force et l’impératif de minimiser l’utilisation de cette dernière ;
  • le bon usage des armes à feu ou des armes à létalité réduite mises à disposition ;
  • la sécurité et la protection des personnes et des groupes particulièrement vulnérables.

Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a engagé les États à assurer une formation adéquate non seulement aux membres des forces de l’ordre, mais aussi au personnel privé agissant pour le compte de l’État durant les rassemblements.407Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Résolution 25/38 sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte de manifestations pacifiques, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/25/38, 11 avril 2014, point 13. (uniquement disponible en anglais)

En vertu du droit international, le recours à la force durant les rassemblements doit respecter strictement les principes de légalité, de précaution, de nécessité, de proportionnalité et de responsabilité.408Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 50. (uniquement disponible en anglais)

Légalité

Les circonstances et le degré dans lesquels la force peut être utilisée lors d’un rassemblement doivent être encadrés par la loi et par des règles administratives (telles que des procédures opérationnelles standard et des règles d’intervention) limitant le pouvoir discrétionnaire des membres des forces de l’ordre. Il s’agit là d’un principe reconnu par de nombreuses autorités.409Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 at 112, Principe 1 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 51 ; (uniquement disponible en anglais)  ; ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 141 ; (uniquement disponible en anglais) ;  ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, points 7 et 8 ;  (uniquement disponible en anglais) ;  BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 5.5 et notes explicatives, points 171 à 178. (uniquement disponible en anglais).La ComIDH a déclaré ce qui suit :

Pour éviter une intervention inappropriée des forces de l’État susceptible de porter atteinte aux droits de l’homme des manifestants, les États devraient adopter des mesures tant règlementaires qu’administratives, afin de permettre aux forces de l’ordre de disposer de règles de conduite claires et de la formation professionnelle nécessaire pour s’acquitter de leurs tâches dans des situations impliquant des concentrations massives de personnes.410ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 141. (uniquement disponible en anglais). Voir également Zambrano Vélez et autres c. Équateur, CIDH, arrêt du 4 juillet 2007 (fond, répartition et dépens), point 86. (uniquement disponible en anglais).

De même, la Grande Chambre de la CEDH prévient que les membres des forces de l’ordre ne devraient pas être laissés « dans le flou », mais être guidés par un cadre juridique et administratif :

[L]es opérations de police doivent être suffisamment encadrées par le droit national, à travers un système de garanties adéquates et effectives contre l’arbitraire et l’abus de la force (…). Les policiers ne doivent pas être dans le flou lorsqu’ils exercent leurs fonctions : un cadre juridique et administratif doit définir les conditions limitées dans lesquelles les responsables de l’application des lois peuvent recourir à la force et faire usage d’armes à feu, compte tenu des normes internationales élaborées en la matière.411Giuliani et Gaggio c. Italie, CEDH, Grande Chambre arrêt du 24 mars 2011, point 249.

Précaution

Dans le cadre de la préparation d’un rassemblement, les autorités devraient adopter des mesures pour éviter le recours à la force et, si le recours à la force est inévitable, pour minimiser ses conséquences négatives.412Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 52. (uniquement disponible en anglais). La CEDH a jugé que l’opération devait « être encadrée et organisée afin de minimiser le plus possible les risques pour la vie des manifestants ».413Şimşek et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 26 juillet 2005, point 106. (uniquement disponible en anglais).

Outre la formation, le principe de précaution nécessite une planification adéquate des rassemblements. Le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements indique ce qui suit :

Les États devraient prendre des mesures de planification adaptées, ce qui implique qu’ils recueillent et analysent les données, anticipent différents scénarios et procèdent à une évaluation adéquate des risques (…). En outre, des plans d’urgence et des mesures de précaution doivent être mis en place. Une planification et une préparation adéquates nécessitent un contrôle continu des activités et devraient pouvoir être ajustées en fonction des circonstances.414Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 37. (uniquement disponible en anglais)

L’Observation générale no 37 déclare que « [l]es autorités chargées du maintien de l’ordre devraient aussi établir des plans d’urgence et des protocoles de formation en ce qui concerne notamment l’encadrement des réunions dont les autorités n’ont pas reçu notification à l’avance et qui pourraient causer des troubles à l’ordre public. »415Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 77. Le BIDDH/OSCE, dans le manuel intitulé Human Rights Handbook on Policing Assemblies (Manuel sur les droits de l’homme pour le maintien de l’ordre lors des rassemblements) et la ComADHP, dans les lignes directrices pour le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, fournissent des orientations concernant la planification des rassemblements.

Le principe de précaution nécessite également que les responsables de l’application des lois aient accès à des d’équipements d’auto-défense et de coordination appropriés (tels que des boucliers, des casques, des gilets pare-balles et des tenues ignifuges, ainsi que des appareils de communication portables) et des armes à létalité réduite adéquates, comme cela a été souligné par de nombreuses autorités.416Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 2 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, points 52 à 55 ; (uniquement disponible en anglais)  ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Résolution 25/38 sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte de manifestations pacifiques, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/25/38, 11 avril 2014, point 14 ; (uniquement disponible en anglais).  ComIDH,Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 143 ; (uniquement disponible en anglais) ; ComIDH,Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 15 ; (uniquement disponible en anglais) ; BIDDH/OSCE et Commission de Venise,Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 5.5 et Notes explicatives, point 172.

L’affaire Simşek et autres c. Turquie, dont la CEDH a été saisie, trouvait son origine dans le fait que, lors de deux rassemblements, la police avait eu recours à des tirs réels en réponse à des actes de violence et de résistance, ce qui avait entraîné la mort de 17 personnes. La CEDH a estimé que l’État turc avait violé le droit à la vie, en s’abstenant de fournir une formation, des instructions et des équipements appropriés aux officiers de police en service :

Il ressort du dossier que les officiers de police qui étaient en service lors des deux incidents ont joui d’une grande autonomie d’action, et qu’ils ont pris des initiatives en proie à la panique et sous pression qu’ils n’auraient probablement pas prises s’ils avaient reçu une formation et des instructions appropriées. La Cour (…) estime que l’absence d’un commandement clair et centralisé a constitué une lacune de taille qui a dû accroître le risque que les officiers de police tirent directement sur la foule.

En outre, il appartenait aux forces de sécurité, qui étaient au courant de la situation tendue dans les deux districts, de mettre à disposition les équipements nécessaires, tels que du gaz lacrymogène, des balles en plastique, des canons à eau, etc., pour disperser la foule. Du point de vue de la Cour, l’absence de ces équipements est inacceptable.

En conclusion, la Cour estime qu’au vu des circonstances de l’espèce, la force utilisée pour disperser les manifestants, qui a entraîné la mort de dix-sept personnes, allait au-delà de ce qui est absolument nécessaire au sens de l’article 2.417Şimşek et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 26 juillet 2005, points 110 à 112. (uniquement disponible en anglais). Voir également Güleç c. Turquie, CEDH, arrêt du 27 juillet 1998, point 71 : « Les gendarmes employèrent une arme très puissante car ils ne disposaient apparemment ni de matraques ou boucliers, ni de canons à eau, de balles en caoutchouc ou de gaz lacrymogènes. L’absence de ces équipements est d’autant plus incompréhensible et inacceptable que la province de Şırnak se trouve, comme l’a souligné le gouvernement, dans une région placée sous état d’urgence, où, à l’époque des faits, on pouvait s’attendre à des troubles ».

S’agissant de l’équipement des membres des forces de l’ordre, il convient également de tenir compte de l’impression que leur apparence visuelle peut faire sur les participants, afin d’éviter tout effet de provocation ou d’intimidation. Le Rapporteur spécial des Nations Unies a estimé que le déploiement massif des forces de l’ordre fait monter la tension et que l’agression engendre l’agression.418Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Report of the UNSR on his mission to the Republic of Korea, A/HRC/32/36/Add.2, point 31. De même, la ComADHP affirme ce qui suit :

Durant le déploiement de leurs agents lors d’une réunion, les organismes d’application des lois doivent prendre en compte l’influence potentiellement défavorable sur le déroulement de la réunion que pourraient avoir la présence visible d’agents chargés de l’application des lois, les tactiques de déploiement ainsi que le matériel et l’équipement dont ces agents sont dotés lors de la réunion.419ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 14.2.

Nécessité et proportionnalité

Premièrement, l’exigence de nécessité et de proportionnalité signifie que les rassemblements devraient généralement être gérés emploi de la force ;420Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 57. (uniquement disponible en anglais). la force ne devrait être employée qu’après avoir épuisé les autres solutions. Les principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois déclarent :

Les responsables de l’application des lois, dans l’accomplissement de leurs fonctions, auront recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu. Ils ne peuvent faire usage de la force ou d’armes à feu que si les autres moyens restent sans effet ou ne permettent pas d’escompter le résultat désiré.421Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 4.

Dans le même esprit, la CIDH a jugé que « la force ou les mesures de coercition ne peuvent être utilisées qu’une fois épuisées toutes les autres méthodes de contrôle ».422Zambrano Vélez et autres c. Équateur, CIDH, arrêt du 4 juillet 2007 (fond, réparation et dépens), point 83. (uniquement disponible en anglais) La ComADHP adopte le même point de vue.423ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 21.1.2.

Deuxièmement, lorsque l’emploi de la force devient inévitable, celui-ci doit viser aussi précisément que possible la/les personne(s) qui l’ont nécessité. La CEDH a jugé, à maintes reprises, que la force devait « être rendu strictement nécessaire par la conduite d’une personne en particulier » ;424Voir, par exemple, Pekaslan et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 20 mars 2012, point 81 ; İzci c. Turquie, CEDH, arrêt du 23 juillet 2013, point 55. (uniquement disponible en anglais). la ComADHP affirme, quant à elle, que les agents chargés de l’application des lois recourant à la force doivent, dans la mesure du possible « distinguer les participants pacifiques à une réunion et les personnes qui commettent des actes violents ».425ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 21.1.2.

Troisièmement, la force doit se limiter au minimum nécessaire, au vu des circonstances. Le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements définit cette exigence comme suit :

Le critère de proportionnalité détermine un plafond pour l’usage de la force en fonction de la menace que représente une personne ciblée. Il repose sur un jugement de valeur qui consiste à mettre en balance les préjudices et les bénéfices et exige que les préjudices pouvant découler de l’usage de la force soient proportionnés et justifiables par rapport aux effets escomptés.426Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 58. (uniquement disponible en anglais)

La CIDH a davantage précisé les circonstances pertinentes pour déterminer si l’emploi de la force est bel et bien strictement nécessaire au vu de chaque situation :

Pour déterminer la proportionnalité de l’emploi de la force, il convient d’évaluer la gravité de la situation à laquelle l’agent est confronté. À cette fin, entre autres, il est nécessaire de tenir compte du niveau d’intensité et de danger de la menace, de l’attitude de l’individu, des conditions de la zone environnante et des moyens dont dispose l’agent pour gérer la situation en question. En outre, en vertu de ce principe, les membres des forces de l’ordre doivent dans tous les cas réduire au minimum les dommages ou les blessures causé(es) à quiconque, et utiliser le degré de force minimal requis pour atteindre le but légitime poursuivi.427Frères Landaeta Mejías et autres c. Venezuela, CIDH, arrêt du 27 août 2014, point 136. (uniquement disponible en anglais)

L’Observation générale no 37 souligne que les principes de nécessité et de proportionnalité doivent être intégrés dans le droit interne régissant l’usage de la force :

Lorsqu’il est indispensable de faire usage de la force dans le but légitime de maintenir l’ordre durant un rassemblement, l’emploi de la force doit être limité au minimum. Une fois que la nécessité d’employer la force a cessé, par exemple parce qu’un individu violent a été appréhendé, utiliser la force n’est plus autorisé. Les forces de l’ordre ne devraient pas utiliser davantage de force que ce qui est proportionné à l’objectif légitime de disperser une réunion, de prévenir un crime ou d’arrêter ou d’aider à arrêter légalement des délinquants ou des suspects109. Le droit interne ne doit pas accorder aux agents de la force publique des pouvoirs largement illimités, par exemple celui d’utiliser« la force » ou « toute la force nécessaire » pour disperser des rassemblements, ou simplement celui de « tirer dans les jambes ». En particulier, la législation nationale ne doit pas autoriser qu’il soit fait usage de la force contre les personnes participant à un rassemblement de façon gratuite, excessive ou discriminatoire.428Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 79.

Les principes de nécessité et proportionnalité s’appliquent à toutes les formes d’emploi de la force et à l’utilisation des armes à feu. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies affirme que « le recours à la force létale n’est autorisé que pour se protéger contre une menace imminente mettant en danger des vies humaines » et que « rien ne peut jamais justifier (…) le recours aveugle à la force létale contre une foule »,429Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Résolution 25/38 sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte de manifestations pacifiques, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/25/38, 11 avril 2014, points 10 et 11. (uniquement disponible en anglais)points de vues repris dans le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements430Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 60.  (uniquement disponible en anglais)et par la ComADHP.431ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 21.1.4.

La ComIDH souligne, quant à elle, que tout recours à la force meurtrière doit être précédé d’un avertissement de la part d’un agent de l’État qui s’identifie clairement, sauf si cela est impossible :

Si l’emploi de la force meurtrière s’avère strictement nécessaire, les règles de conduite devraient prévoir que les agents de l’État s’identifient dans un premier temps, puis qu’ils adressent aux personnes concernées un avertissement clair sur leur intention d’employer la force, afin de leur accorder du temps pour cesser et renoncer, sauf en cas de danger imminent pour la vie ou la sûreté personnelle de tiers ou des agents eux-mêmes.432ComIDH, Report on Citizen Security and Human Rights, OEA/Ser.L/V/II, Doc 57, 31 décembre 2009, point 118. (uniquement disponible en anglais)

Les principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois utilisent un langage similaire.433Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 10.

Au sens de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, le recours à la force meurtrière doit être « absolument nécessaire ». La CEDH a expliqué que le respect de cette règle ne dépend pas uniquement des actes de l’agent qui a recours à la force, mais aussi des mesures de précaution adoptées, telles que la planification et le contrôle :

L’emploi des termes « absolument nécessaire » indique qu’il faut appliquer un critère de nécessité plus strict et impérieux que celui normalement utilisé pour déterminer si l’intervention de l’État est « nécessaire dans une société démocratique » (…) la Cour doit se former une opinion en examinant avec la plus grande attention les cas où l’on inflige la mort, notamment lorsque l’on fait un usage délibéré de la force meurtrière, et prendre en considération non seulement les actes des agents de l’État qui y ont eu recours, mais également l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment la préparation et le contrôle des actes en question.434Giuliani et Gaggio c. Italie, CEDH, Grande Chambre arrêt du 24 mars 2011, point 176.

Responsabilité

Les gouvernements se doivent de mettre en place des procédures efficaces de signalement et de révision concernant tout incident dans le cadre duquel les forces de l’ordre ont occasionné des blessures ou des décès en employant la force ou en tirant à l’arme à feu dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions. Plus généralement, l’Observation générale no 37 stipule que :

Les États sont tenus d’enquêter sans tarder et de façon efficace et impartiale sur toute allégation ou tout soupçon raisonnable de recours illégal à la force ou d’autres violations, y compris de violences sexuelles ou fondées sur le genre, par des membres des forces de l’ordre dans le contexte des rassemblements133. Une action ou une omission, qu’elle soit intentionnelle ou par négligence, peut constituer une violation des droits de l’homme. Les agents de la force publique ayant commis des violations doivent être tenus responsables en vertu du droit interne et, le cas échéant, du droit international, et les victimes doivent disposer de recours utile.435Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 90.

Quelles règles régissent le recours aux armes à feu durant des rassemblements ?

L’utilisation d’armes à feu lors de rassemblements est entièrement soumise aux principes régissant le recours à la force dans de tels contextes. En outre, plusieurs règles spécifiques s’appliquent en la matière.

Le principe de légalité signifie que l’utilisation des armes à feu doit être encadrée par des règles et des règlementations claires, de sorte que, pour reprendre les termes utilisés par la CEDH, les responsables de l’application des lois ne se retrouvent pas « dans le flou ».436Giuliani et Gaggio c. Italie, CEDH, Grande Chambre arrêt du 24 mars 2011, point 249.Le principe 1 des principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois énonce ce qui suit :

Les pouvoirs publics et les autorités de police adopteront et appliqueront des réglementations sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu contre les personnes par les responsables de l’application des lois. En élaborant ces réglementations, les gouvernements et les services de répression garderont constamment à l’examen les questions d’éthique liées au recours à la force et à l’utilisation des armes à feu.437Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 1.

Le principe de précaution signifie que les membres des forces de l’ordre devraient être recrutés dans le cadre de procédures de sélection rigoureuses438Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois(adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 18.et bénéficier d’une formation professionnelle permanente et approfondie, notamment en ce qui concerne le bon usage des armes à feu qu’ils se voient confier. Ils devraient être correctement équipés, avec en particulier, des tenues de protection et des armes à létalité réduite, afin de réduire le besoin d’utiliser des armes à feu, dans la mesure du possible.439Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 2 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, points 52 à 55 ; (uniquement disponible en anglais)  ;  Résolution 25/38 sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte de manifestations pacifiques, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/25/38, 11 avril 2014, point 14 ; (uniquement disponible en anglais) ; ComIDH,Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 143 (uniquement disponible en anglais) ; ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 15 ; (uniquement disponible en anglais) BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 5.5 et Notes explicatives, point 172. Les armes à feu automatiques ne devraient jamais faire partie de l’équipement utilisé lors des rassemblements.440Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 67(e). (uniquement disponible en anglais).

La ComIDH estime que les armes à feu et les munitions en plomb devraient être conservées loin du lieu d’un rassemblement et uniquement remises aux membres des forces de l’ordre si un risque grave et imminent survient :

L’interdiction faite aux officiers susceptibles de se retrouver en contact avec les manifestations de porter des armes à feu et des munitions en plomb s’est avérée être le meilleur moyen d’éviter la violence meurtrière et les décès dans les contextes de protestation sociale. Les opérations peuvent notamment consister à stocker des armes à feu et des munitions en plomb dans un lieu se trouvant hors du rayon d’action de la manifestation pour les cas exceptionnels où il existe une situation de risque réel, sérieux et imminent pour les personnes qui en justifie l’utilisation. Face à ce type de circonstances extrêmes, des règles explicites devraient être prévues précisant qui a le pouvoir d’autoriser leur utilisation et les modalités selon lesquelles une telle autorisation devra être documentée.441ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 82. (uniquement disponible en anglais).

Conformément à l’exigence de nécessité et de proportionnalité, les membres des forces de l’ordre peuvent uniquement utiliser des armes à feu lors d’un rassemblement dans la mesure nécessaire pour éviter une situation potentiellement létale, et seulement après avoir épuisé les autres solutions moins dangereuses.442Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 18 ; ComIDH, Report on Citizen Security and Human Rights, OEA/Ser.L/V/II, Doc 57, 31 décembre 2009, point 118 ; (uniquement disponible en anglais) ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 81 ; (uniquement disponible en anglais) ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 21.1.4.L’Observation générale no 37 souligne que, « [c]ompte tenu du danger que de telles armes représentent pour la vie, cette condition minimum doit aussi s’appliquer aux tirs de balles en métal recouvertes de caoutchouc. »443ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 82. (uniquement disponible en anglais). Les armes à feu ne peuvent jamais être utilisées simplement pour maîtriser ou disperser un rassemblement, ou pour tirer sans discernement dans la foule.444Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 60 ;  (uniquement disponible en anglais) ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 22.6 ; ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 82. (uniquement disponible en anglais)

Pour être en mesure de respecter le principe de responsabilité, les États doivent adopter des procédures visant à garantir que les membres des forces de l’ordre sont responsables des armes à feu et des munitions qui leur sont confiés.445Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 11(d). La ComIDH préconise la mise en place d’un enregistrement des munitions et d’inventaires des armes à feu :

La Commission a (…) recommandé la mise en place de systèmes d’enregistrement et de contrôle des munitions. L’enregistrement de ce type, tant avant qu’après les interventions, est une mesure de contrôle administratif qui contribue à faciliter les enquêtes judiciaires et administratives concernant d’éventuelles violations des règles et principes afférents au recours à la force. En conséquence, les États devraient disposer de mécanismes efficaces pour dresser des inventaires des armes à feu, des munitions et d’autres dispositifs de contrôle, tels que les armes chimiques, susceptibles d’être utilisés dans le cadre d’une intervention de sécurité.446ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 227. (uniquement disponible en anglais)

De même, le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements indique que « l’équipement fourni à chaque agent dans le cadre d’une opération, y compris les véhicules, les armes à feu et les munitions, devrait être consigné avec précision dans un système de conservation des données ou un registre ».447Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 65. (uniquement disponible en anglais)

Les États devraient prévoir un système de rapports auprès d’un supérieur hiérarchique en cas d’utilisation des armes à feu par des forces de l’ordre lors d’un rassemblement.448Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 11(f) ;  ComIDH, Report on Citizen Security and Human Rights, OEA/Ser.L/V/II, Doc 57, 31 décembre 2009, point 119 (uniquement disponible en anglais);  ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017point 24.4.Si l’utilisation d’une arme à feu occasionne une blessure ou un décès, cette situation déclenche l’obligation juridique de lancer une enquête.

Quelles sont les règles qui encadrent le recours à des armes à létalité réduite lors de rassemblements ?

Conformément au principe de précaution, le droit international impose aux États d’équiper les membres des forces de l’ordre avec des armes à létalité réduite, afin de permettre une réponse graduée face aux menaces et de minimiser l’utilisation des armes à feu.449Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 2 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 55 ;  (uniquement disponible en anglais)  ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 21.3.1 ; ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 15 ; (uniquement disponible en anglais) BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 5.5.  

Plusieurs mécanismes internationaux ont prévenu que les armes à létalité réduite pouvaient encore avoir des effets dommageables voire létaux, et ont souligné l’importance de soumettre ces dernières à des essais scientifiques indépendants avant leur déploiement et de maîtriser leur utilisation, notamment dans le cadre de formations et d’instructions dispensées aux membres des forces de l’ordre auxquelles elles sont confiées.450Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Résolution 25/38 sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte de manifestations pacifiques, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/25/38, 11 avril 2014, point 15 ; (uniquement disponible en anglais) Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 3 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 55 ;  (uniquement disponible en anglais)  ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 21.3.1 ; ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 84. (uniquement disponible en anglais)

La CEDH a condamné avec vigueur l’omission de dispenser ces formations et instructions. Dans l’affaire Abdullah Yaşa et autres c. Turquie, elle a déclaré ce qui suit :

Compte tenu du fait qu’au cours des événements ayant eu lieu à Diyarbakır entre les 28 et 31 mars 2006, deux personnes ont été tuées par des tirs de grenades lacrymogènes et que le requérant a été blessé à cette occasion, on peut inférer que les policiers ont pu agir avec une grande autonomie et prendre des initiatives inconsidérées, ce qui n’eût probablement pas été le cas s’ils avaient bénéficié d’une formation et d’instructions adéquates. Pour la Cour, une telle situation ne permet pas d’offrir le niveau de protection de l’intégrité physique des personnes qui est requis dans les sociétés démocratiques contemporaines en Europe (…).
Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.451Abdullah Yaşa et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 16 juillet 2013, points 49 à 51. Voir également Ataykaya c. Turquie, CEDH, arrêt du 22 juillet 2014, point 57.

La ComIDH prévient qu’un avertissement doit être donné avant d’utiliser des armes à létalité réduite, et qu’il devrait y avoir une obligation de rendre des comptes pour une utilisation inappropriée de ces dernières :

L’utilisation des armes à létalité réduite devrait être précédée d’avertissements formels afin de donner aux personnes la possibilité d’évacuer la zone sans provoquer des situations de panique ou des bousculades, et des directives devraient être mises en place pour l’imputation des responsabilités en cas d’utilisation incorrecte.452ComIDH, Annual Report 2015,17 mars 2016, chapitre IV.A, point 16. (uniquement disponible en anglais)

Gaz lacrymogène

Le Rapporteur spécial des Nations Unies a mis en garde contre les dangers de l’utilisation du gaz lacrymogène, en raison de son caractère indéterminé :

En ce qui concerne l’utilisation de gaz lacrymogènes, le Rapporteur spécial rappelle que ces gaz touchent sans discernement les manifestants et les non-manifestants, les personnes en bonne santé et les malades. Il met également en garde contre toute modification de la composition chimique du gaz aux seules fins d’infliger des douleurs intenses aux manifestants et, indirectement, aux passants.453Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 35.

De même, l’Observation générale no 37déclare :

Les armes à létalité réduite destinées à couvrir une zone étendue, comme le gaz lacrymogène ou les canons à eau, frappent sans discrimination. Lorsque de telles armes sont utilisées, tous les efforts raisonnables devraient être faits pour limiter les risques, comme celui de causer un mouvement de panique ou d’atteindre des passants. Ces armes ne devraient être utilisées qu’en dernier recours, après une sommation et après avoir donné aux participants une possibilité suffisante de se disperser. Il ne devrait pas être fait usage de gaz lacrymogène dans des lieux fermés.454Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 87.

La CEDH a conclu à la violation des droits de l’homme dans un nombre conséquent d’affaires relatives à l’utilisation inappropriée du gaz lacrymogène.455Voir, entre autres, Ali Güneş c. Turquie, CEDH, arrêt du 10 avril 2012 (uniquement disponible en anglais) ; Abdullah Yaşa et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 16 juillet 2013 ; İzci c. Turquie, CEDH, arrêt du 23 juillet 2013 (uniquement disponible en anglais); Ataykaya c. Turquie, CEDH, arrêt du 22 juillet 2014.La Cour a souligné la pleine applicabilité du principe de légalité à l’utilisation du gaz lacrymogène :

[L]es opérations de police – y compris le lancement de grenades lacrymogènes – doivent non seulement être autorisées par le droit national mais aussi être suffisamment délimitées par ce droit, dans le cadre d’un système de garanties adéquates et effectives contre l’arbitraire, l’abus de la force et les accidents évitables.456Abdullah Yaşa et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 16 juillet 2013, point 43.

En outre, elle a indiqué que le tir direct et tendu de grenades lacrymogènes et était interdit :

Pour la Cour, le tir direct et tendu d’une grenade lacrymogène au moyen d’un lanceur ne saurait être considéré comme une action policière adéquate, dans la mesure où un tel tir peut causer des blessures graves, voire mortelles, alors que le tir en cloche constitue en général le mode adéquat, dans la mesure où il évite que les personnes soient blessées ou tuées en cas d’impact.457Abdullah Yaşa et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 16 juillet 2013, point 48. Voir également Ataykaya c. Turquie, CEDH, arrêt du 22 juillet 2014, point 56.

Le gaz lacrymogène ne saurait être utilisé « sans discernement (…), dans la mesure où non seulement les manifestants, mais aussi des personnes non concernées se trouvant dans les environs [sont] touchés »458İzci c. Turquie, CEDH, arrêt du 23 juillet 2013, point 60. (uniquement disponible en anglais)et « rien ne justifie l’utilisation de ces gaz à l’encontre d’une personne qui est déjà placée sous le contrôle des autorités chargées du maintien de l’ordre ».459Ali Güneş c. Turquie, CEDH, arrêt du 10 avril 2012, point 41. (uniquement disponible en anglais)

Spray au poivre

Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants a exprimé son inquiétude concernant l’utilisation de spray au poivre dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre :

[L]e spray au poivre est une substance potentiellement dangereuse et ne devrait pas être utilisé dans des espaces confinés. Même lorsqu’il est utilisé dans des espaces ouverts, le CPT a formulé des réserves sérieuses à ce propos ; s’il doit être employé à titre exceptionnel, des garanties clairement définies devraient en place à ce propos. Les personnes exposées au spray au poivre devraient, par exemple, avoir immédiatement accès à un médecin et recevoir un antidote. Le spray au poivre ne devrait jamais être déployé à l’encontre d’une personne arrêtée qui a déjà été maîtrisée.460Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, Report to the Government of Bosnia and Herzegovina on the Visit to Bosnia and Herzegovina Carried out by the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment from 19 March to 30 March 2007, CPT/Inf (2009) 25, 14 octobre 2009, point 79. (uniquement disponible en anglais).

Le Rapporteur spécial des Nations Unies,461Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 65. (uniquement disponible en anglais)la ComADHP,462ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 14.1. la ComIDH,463ComIDH, Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II.124 Doc. 5 Rev. 1, 7 mars 2006, point 68. (uniquement disponible en anglais)l’Observation générale no 37 du Comité des droits de l’homme des Nations Unies,464Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 89.et le BIDDH/OSCE, dans ses lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique,465BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 153. indiquent tous que les membres des forces de l’ordre déployés lors d’un rassemblement devraient pouvoir être identifiés clairement et individuellement, par exemple grâce à insigne nominatif ou un matricule visible à tout moment.

La CEDH a jugé que les États étaient tenus par une obligation effective d’enquêter sur les blessures et les décès survenus pendant un rassemblement, et qu’une telle obligation était violée si les forces de sécurité prenaient des mesures qui rendent impossible l’identification individuelle des responsables. Dans l’affaire Ataykaya c. Turquie [cliquer ici pour un exposé complet], la Cour avait éludé la question de savoir si les membres des forces de l’ordre pouvaient ou non couvrir leurs visages lors d’une manifestation. Néanmoins, elle avait indiqué que lorsqu’ils portent un masque ou une cagoule, les agents sont au moins tenus « d’arborer un signe distinctif – par exemple un numéro de matricule », qui « permette de les identifier en vue de leur audition au cas où la conduite de l’opération serait contestée ultérieurement ».466Ataykaya c. Turquie, CEDH, arrêt du 22 juillet 2014, points 52 à 54 (références omises) ; voir également Cestaro c. Italie,CEDH, arrêt du 7 avril 2015, point 217.La Cour n’avait pas non plus évoqué la question de savoir si des signes distinctifs étaient également requis lorsque les visages des agents sont suffisamment visibles pour permettre leur identification.

L’affaire Ataykaya c. Turquie trouvait son origine dans le décès d’un passant qui avait été touché à la tête par une grenade lacrymogène alors que des policiers au visage masqué dispersaient un rassemblement. La Cour ne s’est pas prononcée sur le fait de savoir si le recours à des cagoules par les membres des forces de l’ordre était admissible. Néanmoins, elle a indiqué que les policiers au visage masqué devaient toujours pouvoir être identifiés par un numéro de matricule, afin de pouvoir faire l’objet d’une enquête à la suite de l’évènement :

La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’apprécier de manière générale la conformité à la Convention du port de cagoules par les agents des forces de l’ordre appelés à intervenir contre des manifestants. Il est cependant évident qu’une telle pratique a eu, dans la présente affaire, pour conséquence directe de conférer aux responsables une immunité de poursuite (…).
La Cour considère que cette circonstance, à savoir l’impossibilité pour les témoins oculaires d’identifier l’auteur du tir à cause de la cagoule dont il était équipé, est, à elle seule, préoccupante. À cet égard, elle rappelle avoir déjà jugé, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, que l’impossibilité de déterminer l’identité des forces de l’ordre, auteurs présumés d’actes incompatibles avec la Convention, était contraire à celle-ci. De même, elle a déjà souligné que, lorsque les autorités nationales compétentes déploient des policiers au visage masqué pour maintenir l’ordre public ou effectuer une arrestation, il faut que ces agents soient tenus d’arborer un signe distinctif – par exemple un numéro de matricule – qui, tout en préservant leur anonymat, permette de les identifier en vue de leur audition au cas où la conduite de l’opération serait contestée ultérieurement. Ces considérations valent a fortiori pour la présente espèce, d’autant plus qu’il s’agit d’un décès consécutif à un tir émanant d’un agent des forces de l’ordre qui portait une cagoule.467Ataykaya c. Turquie, CEDH, arrêt du 22 juillet 2014, points 52 à 54 (références omises).

La survenance de violations des droits de l’homme lors de rassemblements donne naissance à l’obligation, pour les autorités, de mener une enquête. Le rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements déclare, à ce propos, ce qui suit :

L’État doit enquêter sur toutes les allégations de violations commises dans le contexte des rassemblements, promptement et efficacement, par l’intermédiaire d’organes indépendants et impartiaux.468Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 90. (uniquement disponible en anglais)

De même, l’’Observation générale no 37 déclare :

Les États sont tenus d’enquêter sans tarder et de façon efficace et impartiale sur toute allégation ou tout soupçon raisonnable de recours illégal à la force ou d’autres violations, y compris de violences sexuelles ou fondées sur le genre, par des membres des forces de l’ordre dans le contexte des rassemblements133. Une action ou une omission, qu’elle soit intentionnelle ou par négligence, peut constituer une violation des droits de l’homme. Les agents de la force publique ayant commis des violations doivent être tenus responsables en vertu du droit interne et, le cas échéant, du droit international, et les victimes doivent disposer de recours utiles.469Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 90.

Dans son Rapport sur la protestation et les droits de l’homme, la CIDH déclare de même :

L’obligation de l’État d’enquêter signifie que, dès que ses autorités ont connaissance de l’existence de violations des droits de l’homme, elles doivent lancer d’office et sans délai une enquête sérieuse, impartiale, efficace, rapide, exhaustive et complète, dans un délai raisonnable, par tous les moyens prévus par la loi et visant à établir la vérité et à rechercher, capturer, juger et éventuellement sanctionner tous les auteurs des actes allégués, en particulier lorsque des agents de l’État sont ou pourraient être impliqués 470Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 257. (uniquement disponible en anglais)

Cette obligation entre notamment en jeu en cas de survenance de décès ou de blessures. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a engagé les États à :

enquêter sur tous les cas de décès ou de blessure survenus pendant une manifestation, y compris ceux qui découlent de tirs d’armes à feu ou de l’utilisation d’armes non létales par des agents des forces de l’ordre.471Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Promotion et protection des droits de l’homme dans le contexte des manifestations pacifiques, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/22/10, adopté le 9 avril 2013, point 9.

L’obligation légale d’enquêter sur les décès, les blessures et les traitements inhumains ou dégradants intervenus en lien avec des rassemblements est confirmée par la jurisprudence de plusieurs tribunaux et mécanismes internationaux.472Voir, par exemple, Florentina Olmedo c. Paraguay, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 22 mars 2012, Doc. des Nations Unies CCPR/C/104/D/1828/2008CCPR/C/104/D/1828/2008, point 7.5 ; Ernesto Benitez Gamarra c. Paraguay,Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 22 mars 2012, Doc. des Nations Unies CCPR/C/104/D/1829/2008, point 7.5 ; Egyptian Initiative for Personal Rights et INTERIGHTS c. République Arabe d’Égypte, ComADHP, décision du 12 octobre 2013, point 208 (uniquement disponible en anglais) ; Velásquez-Rodriguez c. Honduras, CIDH, arrêt du 21 juillet 1989, point 174 (uniquement disponible en anglais); Mocanu et autres c. Roumanie, CEDH, arrêt du 17 septembre 2014, points 316 à 317.La CEDH a jugé, à ce propos, ce qui suit :

Or pour que l’interdiction générale des homicides arbitraires et de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants s’adressant notamment aux agents publics s’avère efficace en pratique, il faut qu’existe une procédure permettant soit de contrôler la légalité du recours à la force meurtrière par les autorités de l’État, soit d’enquêter sur les homicides arbitraires et les allégations de mauvais traitements infligés à une personne se trouvant entre leurs mains.

Ainsi, compte tenu du devoir général incombant à l’État en vertu de l’article 1 de la Convention de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (…) Convention », les dispositions des articles 2 et 3 requièrent par implication qu’une forme d’enquête officielle effective soit menée, tant lorsque le recours à la force, notamment par des agents de l’État, a entraîné mort d’homme (…), que lorsqu’un individu soutient de manière défendable avoir subi, de la part notamment de la police ou d’autres services comparables de l’État, un traitement contraire à l’article 3 (de la Convention).473Mocanu et autres c. Roumanie, CEDH, arrêt du 17 septembre 2014, points 316-317 (références omises) ; voir également, entre autres, McCann et autres c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 27 septembre 1995, point 161 ; Labita c. Italie,CEDH, arrêt du 6 avril 2000, point 131.

L’obligation d’enquêter sur des décès ou des mauvais traitements s’applique que les personnes responsables soient ou non des acteurs privés ou des agents du gouvernement.474Egyptian Initiative for Personal Rights et INTERIGHTS c. République Arabe d’Égypte,ComADHP, décision du 12 octobre 2013, points 156 à 157 (uniquement disponible en anglais); Velásquez-Rodriguez c. Honduras, CIDH, arrêt du 21 juillet 1989, points 172 et 176 ; (uniquement disponible en anglais) M.C. et A.C. c. Roumanie, CEDH, arrêt du 12 juillet 2016, points 110 à 111 (uniquement disponible en anglais); Rod c. Croatie, CEDH, décision du 18 septembre 2008, point 1. (uniquement disponible en anglais)Il importe de noter que l’octroi de dommages-intérêts ne saurait se substituer à l’obligation d’enquêter.475Voir Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois(adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 7 ; Tahirova c. Azerbaïdjan,CEDH, arrêt du 3 octobre 2013, point 53. (uniquement disponible en anglais).En général, cette obligation ne peut être satisfaite qu’en ayant recours au droit pénal.476Voir Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 7 ; Bautista de Arellana c. Colombie, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 27 octobre 1995, Doc. des Nations Unies CCPR/C/55/D/563/1993, point 8.2 ; ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 228 ; (uniquement disponible en anglais) Jeronovičs c. Lettonie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 5 juillet 2016, point 76 et points 104 à 105.

La CEDH a souligné que l’obligation d’enquêter s’appliquait à n’importe quelle manifestation, « aussi illégale fût-elle ».477Güleç c. Turquie, CEDH, arrêt du 27 juillet 1998, point 81.

Les autorités doivent lancer une enquête dès qu’elles ont connaissance d’une allégation crédible d’une violation.

La CEDH a déclaré que les décès donnaient automatiquement naissance à l’obligation d’enquêter :

[L]e simple fait que les autorités aient été informées du décès donnait ipso facto naissance à l’obligation, découlant de l’article 2, de mener une enquête efficace sur les circonstances dans lesquelles il s’était produit.478Ergi c. Turquie, CEDH, arrêt du 28 juillet 1998, point 82. Voir également Miguel Castro c. Pérou, CIDH, arrêt du 25 novembre 2006, point 256. (uniquement disponible en anglais)

Autrement dit, l’enquête ne devrait pas être laissée à l’initiative des proches de la victime :

[L]es autorités doivent agir de leur propre chef après que la question a été portée à leur attention. Elles ne peuvent pas laisser les proches prendre l’initiative soit de déposer une plainte officielle, soit d’assumer la responsabilité de mener des procédures d’enquête (…).479Solomou et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 24 juin 2008, point 80. (uniquement disponible en anglais).

En cas de prétendus mauvais traitements, la victime ne doit pas avoir à prouver les faits ; en présence d’une affaire défendable soulevant des soupçons raisonnables, les autorités doivent enquêter :

La Cour réitère qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, les autorités doivent enquêter sur les allégations de mauvais traitements lorsqu’elles sont « défendables » et « soulèvent des soupçons raisonnables ».480Dilek Aslan c. Turquie, CEDH, arrêt du 20 octobre 2015, point 53 (références omises) ; voir également Khachiev et Akaïeva c. Russie, CEDH, arrêt du 24 février 2005, point 177. (uniquement disponible en anglais)

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies et la CEDH ont indiqué que les circonstances et la gravité des mauvais traitements, telles que la durée et les modalités de ces derniers, leurs effets physiques ou mentaux, ainsi que le sexe, l’âge et l’état de santé de la victime, détermineront le déclenchement de l’obligation d’enquêter ; par exemple, s’il s’agit d’actes de torture ou de traitements inhumains et dégradants.481Vuolanne c. Finlande, Comité des droits de l’homme, adoption des vues du 7 avril 1989, Doc. des Nations Unies CCPR/C/35/D/265/1987, point 9.2 ; Irlande c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 18 janvier 1978, point 162.Les tribunaux et mécanismes internationaux n’ont pas défini précisément ces conditions. Toutefois, l’obligation d’enquêter ne se limite pas aux mauvais traitements physiques, mais s’étend aussi aux actes humiliants, discriminatoires ou intimidants.482R.B. c. Hongrie, CEDH, arrêt du 12 avril 2016, points 43 à 45. (uniquement disponible en anglais)

Effectivité

L’obligation d’enquêter ne peut être satisfaite que si l’enquête est effective. Une enquête effective est celle susceptible de dévoiler la vérité des faits.483Voir, par exemple, Egyptian Initiative for Personal Rights et INTERIGHTS c. République Arabe d’Égypte,ComADHP, décision du 12 octobre 2013, point 230 (uniquement disponible en anglais); Miguel Castro c. Pérou,CIDH, arrêt du 25 novembre 2006, point 256 (uniquement disponible en anglais); Korobov et autres c. Estonie, CEDH, arrêt du 28 mars 2013, point 113.  (uniquement disponible en anglais)Elle doit viser à la détermination de l’identité des auteurs et à leur sanction, pour qu’il puisse y avoir mise en cause de la responsabilité et réparation pour les victimes.484Voir, par exemple, Frères Landaeta Mejías et autres c. Venezuela, CIDH, arrêt du 27 août 2014, point 143 (uniquement disponible en anglais) ; Nadege Dorzema et autres c. République Dominicaine, CIDH, arrêt du 24 octobre 2012, point 100 (uniquement disponible en anglais) ; McKerr c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 4 mai 2001, point 121 ; Khachiev et Akaïeva c. Russie, CEDH, arrêt du 24 février 2005, point 177. (uniquement disponible en anglais) Pour reprendre les termes utilisés par la ComIDH :

[L]a faculté d’accès à la justice doit garantir, dans un délai raisonnable, le droit des prétendues victimes ou de leurs proches que tout soit mis en œuvre pour connaître la vérité sur les faits et que les parties responsables éventuelles soient sanctionnées.485Miguel Castro c. Pérou, CIDH, arrêt du 25 novembre 2006, point 382. (uniquement disponible en anglais).

La CEDH ajoute que l’enquête doit faire tout son possible pour déterminer « si l’emploi de la force dans ces cas de figure se trouvait ou non justifié au vu des circonstances ».486Solomou et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 24 juin 2008, point 81. (uniquement disponible en anglais)Chaque cas est différent, et les circonstances de l’espèce, ainsi que les « réalités pratiques », détermineront « la nature et le degré de l’examen » répondant à l’obligation d’enquêter de façon effective.487Giuliani et Gaggio c. Italie, CEDH, Grande Chambre arrêt du 24 mars 2011, point 302.Néanmoins, l’obligation d’enquêter de manière effective n’est pas « une obligation de résultat, mais une obligation de moyens ».488Voir, entre autres, M.C. et A.C. c. Roumanie, CEDH, arrêt du 12 juillet 2016, point 111 (uniquement disponible en anglais); Khachiev et Akaïeva c. Russie, CEDH, arrêt du 24 février 2005, point 154 ; Solomou et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 24 juin 2008, point 81 ; Giuliani et Gaggio c. Italie, CEDH, Grande Chambre arrêt du 24 mars 2011, point 301 ; Miguel Castro c. Pérou, CIDH, arrêt du 25 novembre 2006, point 255. (uniquement disponible en anglais)

L’une des premières étapes d’une enquête effective consiste à recueillir tous les éléments de preuve possibles. La CIDH et la ComIDH ont indiqué que les autorités chargées de l’enquête devaient conserver les communications entre les membres des forces de l’ordre impliqués dans l’opération, ainsi que les originaux de tous les enregistrements ou images réalisés sur place.489ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 230. (uniquement disponible en anglais) En outre, en cas de décès, elles doivent :

a) identifier la victime ; b) recueillir et conserver les éléments de preuve afférents au décès, aux fins de l’enquête ; c) identifier les témoins éventuels et obtenir des témoignages concernant le décès faisant l’objet de l’enquête ; d) déterminer la cause, la manière, le lieu et le moment du décès, ainsi que tout comportement ou pratique susceptible d’avoir provoqué ce décès, et e) faire la part entre les décès pour cause naturelle, les décès accidentels, les suicides et les homicides. La scène du crime doit être examinée de façon exhaustive à l’aide d’autopsies et d’analyses des restes humains par des professionnels compétents et en utilisant des procédures rigoureuses et appropriées.490ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 234. (uniquement disponible en anglais) Voir également Myrna Mack Chang c. Argentine, CIDH, arrêt du 25 novembre 2003, point 166 (uniquement disponible en anglais) ; Affaire du « Massacre de Mapiripán » c. Colombie, CIDH, arrêt du 15 septembre 2005, point 227. (uniquement disponible en anglais).

De même, la CEDH exige que les autorités adoptent

les mesures raisonnables dont elles disposent pour obtenir des éléments de preuve concernant l’incident, y compris, entre autres, des déclarations de témoins oculaires, des preuves médico-légales et le cas échéant, une autopsie fournissant un compte-rendu complet et précis sur les blessures, ainsi qu’une analyse objective des constatations cliniques, notamment la cause du décès. 491Solomou et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 24 juin 2008, point 81. (uniquement disponible en anglais)

En cas de prétendus actes de torture ou de mauvais traitements, un rapport médical doit être rédigé en respectant les lignes directrices et les protocoles internationaux en la matière.492Voir Dilek Aslan c. Turquie, CEDH, arrêt du 20 octobre 2015, point 57 (uniquement disponible en anglais) faisant référence au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies (le « protocole d’Istanbul »). (uniquement disponible en anglais)

S’il existe la possibilité d’une intention discriminatoire, l’enquête devrait faire le jour sur la question. Dans l’affaire M.C et A.C. c. Roumanie, des manifestants avaient été ciblés et attaqués par des individus alors qu’ils revenaient d’une marche de défense des droits des personnes homosexuelles. La CEDH a statué comme suit :

Lorsqu’elles enquêtent sur des incidents violents, tels que les mauvais traitements, les autorités de l’État doivent adopter toutes les mesures raisonnables pour faire le jour sur tous motifs discriminatoires possibles (…). Les autorités doivent faire tout ce qui s’avère raisonnable, au vu des circonstances, pour recueillir et conserver des éléments de preuve, explorer tous les moyens pratiques de découvrir la vérité et prendre des décisions pleinement motivées, impartiales et objectives, sans omettre des faits suspects susceptibles d’indiquer l’existence d’actes violents induits, par exemple, par l’intolérance raciale ou religieuse, ou motivée par une discrimination fondée sur le genre. Traiter la violence et la brutalité découlant d’attitudes discriminatoires sur un pied d’égalité avec celle intervenant dans des cas qui n’ont pas une telle connotation reviendrait à fermer les yeux sur la nature spécifique d’actes particulièrement destructeurs des droits fondamentaux.493M.C. et A.C. c. Roumanie, CEDH, arrêt du 12 juillet 2016, point 113 (uniquement disponible en anglais) (références omises).

Célérité

Il est important que l’enquête soit menée de façon à maintenir la confiance du public dans les autorités de l’État, notamment dans les cas où les autorités chargées du maintien de l’ordre sont impliquées. L’enquête doit donc être lancée et menée à terme dans des délais raisonnables.494Voir, entre autres, Solomou et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 24 juin 2008, point 82 (uniquement disponible en anglais) ; Pastor et Ticlete c. Roumanie, CEDH, arrêt du 19 avril 2011, points 69 à 71 (uniquement disponible en anglais) ; M.C. et A.C. c. Roumanie,CEDH, arrêt du 12 juillet 2016, points 111 à 112 (uniquement disponible en anglais) ; voir également le commentaire général n° 20 du Comité des droits de l’homme dans Compilation des commentaires généraux et recommandations générales adoptées par les organes des traites, Doc. des Nations Unies HRI/GEN/1/Rev.1, p. 30, point 14. Parmi les conduites qui ne satisfont pas à l’exigence de célérité, on peut notamment citer les retards encourus dans le recueil des déclarations des témoins clés,495Voir, par exemple, Dilek Aslan c. Turquie, CEDH, arrêt du 20 octobre 2015, points 56 et 58. (uniquement disponible en anglais). les renvois répétés des audiences en raison d’erreurs de procédure496Pastor et Ticlete c. Roumanie, CEDH, arrêt du 19 avril 2011, point 76 et points 77 à 79. (uniquement disponible en anglais) et la longueur excessive générale des procédures.497Voir, par exemple, Florentina Olmedo c. Paraguay, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 22 mars 2012, Doc. des Nations Unies CCPR/C/104/D/1828/2008CCPR/C/104/D/1828/2008, point 7.5 (une enquête non achevée après presque 9 ans) ; Pastor et Ticlete c. Roumanie (16 ans) (uniquement disponible en anglais) ou Mocanu et autres c. Roumanie (23 ans).Les autorités ne sauraient retarder les procédures dans l’espoir que celles-ci soient frappées par la prescription.498Voir, entre autres, Mocanu et autres c. Roumanie, CEDH, arrêt du 17 septembre 2014, point 346 ; Association « 21 décembre 1989 » et autres c. Roumanie, CEDH, arrêt du 24 mai 2011, point 144.

La CEDH a souligné l’importance sociale de la célérité des enquêtes sur les décès survenus lors de manifestations, même dans les cas complexes. Dans l’affaire Mocanu et autres c. Roumanie, réglée en 2014, la Cour a noté ce qui suit concernant des enquêtes sur des tirs sur des manifestants en 1990 qui n’avaient pas été menées à terme :

Tout en reconnaissant que l’affaire présente une indéniable complexité, que le Gouvernement a lui-même soulignée, la Cour estime que l’enjeu politique et social invoqué par ce dernier ne saurait justifier un délai aussi long. Au contraire, l’importance de cet enjeu pour la société roumaine aurait dû inciter les autorités internes à traiter le dossier promptement afin de prévenir toute apparence de tolérance des actes illégaux ou de collusion dans leur perpétration.499Mocanu et autres c. Roumanie, CEDH, arrêt du 17 septembre 2014, point 338.

Enfin, l’État ne devrait pas adopter des dispositions qui empêchent, dans les faits, les auteurs de rendre des comptes, telles que des amnisties ou des délais de prescription inflexibles :

La Cour a également jugé que, en matière de torture ou de mauvais traitements infligés par des agents de l’État, l’action pénale ne devrait pas s’éteindre par l’effet de la prescription, de même que l’amnistie et la grâce ne devraient pas être tolérées dans ce domaine (…). Au demeurant, l’application de la prescription devrait être compatible avec les exigences de la Convention. Il est dès lors difficile d’accepter des délais de prescriptions inflexibles ne souffrant aucune exception.500Mocanu et autres c. Roumanie, CEDH, arrêt du 17 septembre 2014, point 326.

Indépendance

Pour être effective et préserver la confiance en l’État, l’enquête doit également être indépendante, notamment lorsque des membres des forces de l’ordre sont impliqués. C’est ainsi que selon la CEDH :

D’une manière générale, on peut considérer que pour qu’une enquête (…) soit effective, il faut que les personnes qui en sont chargées soient indépendantes des personnes impliquées. Cela suppose non seulement l’absence de tout lien hiérarchique ou institutionnel mais également une indépendance pratique.501Giuliani et Gaggio c. Italie, CEDH, Grande Chambre arrêt du 24 mars 2011, point 300 ; voir également Solomou et autres c. Turquie,CEDH, arrêt du 24 juin 2008, point 81. (uniquement disponible en anglais)

Selon la CIDH, les tribunaux militaires et les procureurs militaires ne constituent pas des organes appropriés pour mener une enquête effective :

[L]a Cour a constaté que les recours devant les tribunaux militaires n’étaient pas efficaces pour juger des affaires impliquant de graves violations des droits de l’homme, et encore moins pour établir la vérité, poursuivre les responsables et dédommager les victimes, car ces recours qui, pour différentes raisons, s’avèrent illusoires ne sauraient être considérés comme effectifs, par exemple lorsque l’organe judiciaire manque d’indépendance et d’impartialité.502Nadege Dorzema et autres c. République Dominicaine, CIDH, arrêt du 24 octobre 2012, point 189 ; voir également points 29 et 247. (uniquement disponible en anglais)

La CEDH a, elle aussi, critiqué les enquêtes menées par des procureurs militaires concernant des violations des droits de l’homme prétendument commises par d’autres personnes relevant de la hiérarchie militaire.503Pastor et Ticlete c. Roumanie, CEDH, arrêt du 19 avril 2011, point 74 (uniquement disponible en anglais) ; Mocanu et autres c. Roumanie, CEDH, arrêt du 17 septembre 2014, points 320 et 333. D’autre part, la Cour européenne a accepté une situation où la police prendrait en charge certaines étapes de l’enquête, même si les accusés étaient des agents de police, sous réserve que son intervention n’altère pas l’impartialité et l’indépendance de l’enquête.504Giuliani et Gaggio c. Italie, CEDH, Grande Chambre arrêt du 24 mars 2011, point 324.Il ne devrait pas exister de lien hiérarchique entre les agents enquêteurs et ceux objets de l’enquête.505McKerr c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 4 mai 2001, points 128 et 157.

Accessibilité pour le public et les membres de la famille

Pour assurer la confiance du public et l’effectivité, une enquête doit laisser place pour un certain droit de regard du public.

Le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies (le « protocole d’Istanbul ») indique :

Les victimes présumées de torture ou de mauvais traitements et leurs représentants légaux sont informés de toute audition qui pourrait être organisée, ont la possibilité d’y assister et ont accès à toute information touchant l’enquête ; ils peuvent produire d’autres éléments de preuve.506Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies, point 80.

La CEDH a adopté un point de vue analogue sur la question,507El-Masri c. l’Ex-République yougoslave de Macédoine, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 13 décembre 2012, point 185.et a ajouté qu’il devait exister « un élément suffisant de contrôle du public sur l’enquête ».508Giuliani et Gaggio c. Italie, CEDH, Grande Chambre arrêt du 24 mars 2011, point 303.De même, la CIDH a déclaré que « les résultats de l’enquête doivent être rendus publics afin que la collectivité puisse connaître les faits réels. ».509Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 265. (uniquement disponible en anglais)Si l’enquête porte sur un décès survenu lors d’un rassemblement, c’est la famille de la victime qui doit y avoir accès. Cet accès n’est pas illimité ; il doit être accordé « dans la mesure nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts légitimes ».510Giuliani et Gaggio c. Italie, CEDH, Grande Chambre arrêt du 24 mars 2011, point 303.Il convient de tenir compte des effets préjudiciables possibles pour des individus ou d’autres enquêtes, ce qui pourrait avoir pour conséquence que l’accès à l’enquête soit accordé à un stade ultérieur de la procédure.511Giuliani et Gaggio c. Italie, CEDH, Grande Chambre arrêt du 24 mars 2011, point 304.

La sanction des agents responsables d’homicides illégaux, d’actes de torture ou de mauvais traitements

Une enquête n’est adéquate que si elle donne lieu à la sanction des personnes responsables d’homicides illégaux, d’actes de tortures ou de mauvais traitements à un niveau suffisant pour assurer un effet dissuasif. La CEDH a déclaré ce qui suit :

[S]i les autorités pouvaient se borner à réagir en cas de mauvais traitement délibéré infligé par des agents de l’État en accordant une simple indemnité, sans s’employer à poursuivre et punir les responsables, les agents de l’État pourraient dans certains cas enfreindre les droits des personnes soumises à leur contrôle pratiquement en toute impunité (…).[L’]issue de l’enquête et des poursuites pénales qu’elle déclenche, y compris la sanction prononcée ainsi que les mesures disciplinaires prises, passent pour déterminantes. Elles sont essentielles si l’on veut préserver l’effet dissuasif du système judiciaire en place et le rôle qu’il est tenu d’exercer dans la prévention des atteintes à l’interdiction des mauvais traitements.512Jeronovičs c. Lettonie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 5 juillet 2016, points 105 à 106.

La ComIDH souligne, elle aussi, que les États ont une « obligation internationale d’enquêter, de juger et, le cas échéant, de sanctionner les forces de sécurité qui violent les droits à la vie et à la liberté personnelle ».513ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 235. (uniquement disponible en anglais)

Des sanctions pénales devraient être infligées non seulement aux membres des forces de l’ordre ayant fait un usage illégal de la force, mais également à tout supérieur hiérarchique qui n’a pas pris toutes les mesures en son pouvoir pour empêcher, faire cesser ou signaler cet abus.514Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (adoptés lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba), du 27 août au 7 septembre 1990), Doc. des Nations Unies A/CONF.144/28/Rev.1 - 112, Principe 24 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 91 (uniquement disponible en anglais) ; ComIDH, Annual Report 2015, 17 mars 2016, chapitre IV.A, point 233. (uniquement disponible en anglais)

Un agent de l’État inculpé à la suite d’une enquête concernant des blessures ou un décès lors d’un rassemblement doit être suspendu et s’il est condamné, licencié. Selon la Cour européenne des droits de l’homme :

[Lorsqu’]un agent de l’Etat a été inculpé pour des crimes impliquant des actes de torture ou des mauvais traitements il est de la plus haute importance qu’il ou elle soit suspendu(e) de ses fonctions durant l’enquête et le procès, et licencié en cas de condamnation.515İzci c. Turquie, CEDH, arrêt du 23 juillet 2013, point 74. (uniquement disponible en anglais). Voir également Yaman c. Turquie, CEDH, arrêt du 2 novembre 2004, point 55. (uniquement disponible en anglais).

La présence de journalistes, moniteurs et autres observateurs joue un rôle clé pour garantir la responsabilité des forces de sécurité dans le cadre de la gestion de grands rassemblements. La Grande Chambre de la CEDH a jugé que les autorités ne devaient pas délibérément empêcher ou entraver la présence des médias pour couvrir une manifestation.516Pentikäinen c. Finlande, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 20 octobre 2015, point 114. Dans l’affaire Pentikäinen c. Finlande [cliquer ici pour un exposé complet], elle a déclaré ce qui suit :

[L]es médias jouent un rôle crucial en matière d’information du public sur la manière dont les autorités gèrent les manifestations publiques et maintiennent l’ordre. En pareilles circonstances, le rôle de « chien de garde » assumé par les médias revêt une importance particulière en ce que leur présence garantit que les autorités pourront être amenées à répondre du comportement dont elles font preuve à l’égard des manifestants et du public en général lorsqu’elles veillent au maintien de l’ordre dans les grands rassemblements, notamment des méthodes employées pour contrôler ou disperser les manifestants ou maintenir l’ordre public. En conséquence, toute tentative d’éloigner des journalistes des lieux d’une manifestation doit être soumise à un contrôle strict.517Pentikäinen c. Finlande, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 20 octobre 2015, point 89. Voir également Najafli c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 2 octobre 2012, point 66. (uniquement disponible en anglais).

L’affaire Pentikäinen c. Finlande portait sur un journaliste photographe dépêché par un hebdomadaire pour couvrir une manifestation à Helsinki. La manifestation étant devenue violente, la police avait décidé de mettre fin à la marche des manifestants. Les forces de l’ordre avaient ensuite bouclé la zone et sommé les manifestants de se disperser. Le requérant avait décidé de rester sur les lieux, bien qu’on lui ait demandé de partir à plusieurs reprises. Il avait alors été arrêté avec certains manifestants et détenu pendant plus de 17 heures. Il avait ensuite été condamné pour refus d’obtempérer aux ordres de la police, mais aucune sanction ne lui avait été imposée.

La Grande Chambre de la CEDH a, in fine, considéré que les mesures prises à l’encontre de M. Pentikäinen n’étaient pas disproportionnées. Néanmoins, elle a souligné qu’il convenait de considérer « cette conclusion au regard des circonstances particulières de l’espèce et en tenant dûment compte de la nécessité d’éviter toute atteinte au rôle de “ chien de garde ” des médias ».518Pentikäinen c. Finlande, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 20 octobre 2015, point 114.

Ces circonstances particulières incluaient notamment le fait que les violences étaient survenue dans un lieu imprévu, de sorte qu’il était totalement impossible aux autorités de ménager une zone d’observation sécurisée pour les journalistes ;519Pentikäinen c. Finlande, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 20 octobre 2015, point 97. que le requérant « n’était pas facilement identifiable comme journaliste avant son interpellation » ;520Pentikäinen c. Finlande, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 20 octobre 2015, point 98.que dès que les policiers avaient découvert que le requérant travaillait pour la presse, ses équipements avaient été traités comme des sources journalistiques et n’avaient pas été confisqués ;521Pentikäinen c. Finlande, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 20 octobre 2015, point 104.que le requérant aurait pu, de l’avis de la Cour, continuer à accomplir sa mission professionnelle à l’extérieur de la zone bouclée ;522Pentikäinen c. Finlande, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 20 octobre 2015, point 101. et plus généralement que :

[L]es autorités n’ont pas délibérément empêché les médias de couvrir la manifestation ou entravé leur travail pour essayer de dissimuler au public l’attitude de la police vis-à-vis de la manifestation en général ou des manifestants en particulier.523Pentikäinen c. Finlande, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 20 octobre 2015, point 114.

Cette conclusion concernant l’absence de violation des droits invoqués s’était attirée les critiques des universitaires, ainsi que de magistrats dissidents. Les juges dissidents avaient reconnu que la police avait, à l’origine, interpellé le requérant à juste titre, mais s’étaient interrogés sur le fait de savoir si la garde à vue et les poursuites au-delà du moment où il était apparu clairement qu’il était journaliste était vraiment « nécessaire dans une société démocratique ».

Dans la même veine, la CIDH a mis en avant le rôle joué par les journalistes pour contraindre les autorités à rendre des comptes. Dans l’affaire Vélez Restrepo et famille c. Colombie, un journaliste avait filmé la façon dont des membres de l’armée colombienne avaient battu un manifestant sans défense lors d’une manifestation. Plusieurs soldats avaient alors attaqué le journaliste, le blessant gravement et tentant (sans succès) de saisir sa cassette, et avaient aussi sa caméra. La CIDH a jugé ce qui suit :

[L]a teneur des informations enregistrées par M. Vélez Restrepo était d’intérêt public. M. Vélez Restrepo a enregistré des images de soldats participant à des actions en vue de maîtriser la manifestation (…). La diffusion de ces informations a permis à ceux qui les ont visionnées d’observer et de vérifier si, durant la manifestation, les membres des forces armées s’étaient acquittés correctement de leur mission, en ayant recours à la force de manière appropriée. La Cour a souligné que le « [c]ontrôle démocratique par la société, par le biais de l’opinion publique, encourage la transparence dans les actions de l’État et favorise la responsabilisation des agents publics concernant leurs fonctions publiques ».524Vélez Restrepo et famille c. Colombie, CIDH, arrêt du 3 septembre 2012, point 145. (uniquement disponible en anglais).

La Cour a conclu que l’agression de M. Vélez Restrepo avait violé ses droits à l’intégrité personnelle et à la liberté de pensée et d’expression. Elle a également constaté l’existence de plusieurs manquements découlant du non-respect par l’État de son obligation d’enquêter sur l’attaque et d’agir contre les menaces et le harcèlement dont M. Vélez Restrepo a fait l’objet par la suite.525Vélez Restrepo et famille c. Colombie, CIDH, arrêt du 3 septembre 2012, point 89. (uniquement disponible en anglais)

Les Rapporteurs spéciaux des Nations Unies et plusieurs mécanismes régionaux de défense des droits de l’homme ont souligné, d’une façon similaire, qu’il existait un droit d’observer et d’enregistrer lors des rassemblements, ainsi que de diffuser les enregistrements réalisés.526Voir Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 71 (uniquement disponible en anglais) ; ComIDH ,Annual Report of the Office of the Special Rapporteur for Freedom of Expression 2005, OEA/Ser.L/V/II.124 Doc. 7, 27 février 2006, p. 145, point 101 (uniquement disponible en anglais) ; BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Lignes directrices 5.9 et 5.10 et notes explicatives, points 169 et 206-10 ; Representative on Freedom of the Media of the Organization for Security and Co-operation in Europe, Special Report on handling of the media during political demonstrations, 21 juin 2007, p. 2 ; (uniquement disponible en anglais) Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution 2116 (2016), 27 mai 2016, point 7.11.)

Et l’Observation générale no 37 souligne que ceux qui observent les rassemblements ou en rendent compte, y compris les journalistes, ont droit à la protection prévue à l’article 21 :

Les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et les observateurs électoraux, notamment, qui surveillent et rendent compte du déroulement des réunions, jouent un rôle particulièrement important pour ce qui est de permettre la pleine jouissance du droit de réunion pacifique. Ces personnes ont droit à la protection offerte par le Pacte. Il ne peut pas leur être interdit d’exercer ces fonctions ni leur être imposé de limites à l’exercice de ces fonctions, y compris en ce qui concerne la surveillance des actions des forces de l’ordre. Ils ne doivent pas risquer de faire l’objet de représailles ou d’autres formes de harcèlement, et leur matériel ne doit pas être confisqué ou endommagé.527Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 30.

Dans son Rapport sur la protestation et les droits de l’homme, la CIDH note que, outre les organisations de la société civile et les médias, « [l]es services du médiateur du peuple, les services de défense publique, les bureaux de défense des droits des peuples autochtones et des paysans, et les autres organismes publics spécialisés dans la promotion et la défense des droits » jouent également un rôle important dans la protection du droit de réunion. Ils doivent donc être en mesure d’observer et de surveiller les rassemblements et toute activité de maintien de l’ordre associée..528Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), points 289, 291-292. (uniquement disponible en anglais)

Lorsque les autorités décident de disperser un rassemblement, les observateurs ou les personnes qui enregistrent ne devraient pas être empêchés de poursuivre leur tâche. Les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique du BIDDH/OSCE indiquent ce qui suit :

Les tierces parties (comme les observateurs, les journalistes et photographes) peuvent également se voir demander de se disperser, mais ne sauraient être empêchées d’observer et de filmer/photographier l’opération de maintien de l’ordre.529BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 168.

La ComADHP adopte une position similair,530ComADHP, Lignes directrices sur le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, 4 mars 2017, point 22.7.tout comme l’Observation générale no 37, qui stipule que « Même si une réunion est déclarée illégale et est dispersée, il n’est pas mis fin au droit de la surveiller.531Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 30.

Aussi bien la CIDH que la CEDH ont déclaré d’une manière générale que les journalistes professionnels ne devaient pas jouir de privilèges particuliers par rapport aux autres personnes qui remplissent des fonctions similaires. La Grande Chambre de la CEDH a ainsi affirmé que les « chiens de garde du public » (un terme qui englobe les ONG, les chercheurs universitaires, les auteurs, les blogueurs et les utilisateurs populaires des médias sociaux) devraient bénéficier d’une protection semblable à celle accordée à la presse lorsqu’ils font des reportages sur des sujets d’intérêt public.532Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 8 novembre 2016, points 165 à 168. Dans un avis consultatif, la CIDH a indiqué que la pratique du journalisme était le droit de chacun, droit qui ne devrait pas être soumis à des exigences formelles, telles que l’obtention d’une licence ou l’obligation d’adhérer à une association professionnelle.533CIDH, Compulsory Membership in an Association Prescribed by Law for the Practice of Journalism (Arts. 13 and 29 of the American Convention on Human Rights), Avis consultatif OC-5/85, 13 novembre 1985, points 74 à 81. (uniquement disponible en anglais)

Le Rapporteur spécial des Nations Unies et son homologue, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, affirment clairement que le droit d’enregistrer lors des rassemblements appartient à « chacun » et qu’il devrait être protégé :

Chacun − qu’il s’agisse d’un participant, d’un observateur ou d’une personne qui surveille le déroulement de la réunion − a le droit d’enregistrer ou de consigner le contenu d’une réunion, droit qui comprend celui d’enregistrer ou de consigner les opérations de maintien de l’ordre. Il comprend également le droit d’enregistrer un échange avec un agent de l’État qui lui-même enregistre celui qui surveille la réunion, ce que l’on appelle parfois le droit « d’enregistrer en retour ». L’État devrait protéger ce droit.534Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 71. (uniquement disponible en anglais).

L’ordre exigeant la remise des enregistrements aux autorités constitue une ingérence dans le droit à la liberté d’expression,535Voir British Broadcasting Corporation c. Royaume-Uni, ComEDH, décision du 18 janvier 1996 ; Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 14 septembre 2010, point 60. qui doit passer avec succès le même test en trois volets applicable aux limitations imposées à la liberté de réunion pacifique.

Premièrement, aucun ordre ne devrait être émis s’il ne repose pas sur un fondement juridique clair. Les membres des forces de l’ordre qui saisissent du matériel sur les lieux d’un rassemblement violent cette exigence, sauf si la législation les habilite clairement à le faire. Le Rapporteur spécial des Nations Unies souligne l’importance d’une procédure établie :

La confiscation, la saisie ou la destruction de notes et d’équipements audiovisuels sans procédure régulière devraient être interdites et réprimées.536Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 71 (uniquement disponible en anglais) ; voir également BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 169 (« toute demande de remise des films ou des images enregistrés numériquement aux policiers devrait d’abord être approuvée par une instance judiciaire »).

Deuxièmement, l’ordre doit poursuivre un but légitime, comme la réalisation d’une enquête sur un délit commis lors du rassemblement. Une saisie dont le but est d’occulter les actions des autorités ne satisfait pas à une telle exigence. Troisièmement, la saisie doit respecter les critères de nécessité et de proportionnalité.

Néanmoins, la ComEDH a précisé que le droit renforcé des journalistes et d’autres chiens de garde de protéger leurs sources confidentielles d’information ne s’applique pas lorsqu’ils sont sommés de remettre leurs enregistrements des rassemblements, car nulle obligation particulière de secret ou de confidentialité n’est en jeu lorsque les enregistrements sont rendus publics.537British Broadcasting Corporation c. Royaume-Uni, ComEDH, décision du 18 janvier 1996 ; Nordisk Film & TV A/S c. Danemark, CEDH, décision du 8 décembre 2005.

La notion de « réunio » recouvre une grande diversité de types de rassemblements, dans des lieux publics ou privés, statiques ou en mouvement. Parmi les exemples de rassemblements retenus par les tribunaux et mécanismes internationaux comme étant des réunions figurent notamment les manifestations1Voir, par exemple, Alexeïev c. Fédération de Russie, Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 25 octobre 2013, Doc. des Nations Unies CCPR/C/109/D/1873/2009 et Galstyan c. Arménie, CEDH, arrêt du 15 novembre 2007 (uniquement disponible en anglais).. et contre manifestations,2Voir, par exemple, Faber c. Hongrie, CEDH, arrêt du 24 juillet 2012, point 43 ; Ollinger c. Autriche, CEDH, arrêt du 29 septembre 2006 point, 43-45; CafDHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, point 97.les piquets,3Voir, par exemple, Galina Youbko c. Bélarus,Comité des droits de l’homme, adoption de vues du 24 avril 2014, Doc. des Nations Unies CCPR/C/110/D/1903/2009 ; Shmushkovych c. Ukraine, CEDH, arrêt du 14 novembre 2013.les défilés, 4Voir, par exemple, Christians against Racism and Fascism c/ Royaume-Uni, ComEDH, décision du 16 juillet 1980.les mobilisations,5Voir, par exemple, Kasparov c. Russie, CEDH, arrêt du 11 octobre 2016 (uniquement disponible en anglais).les sit-in,6Voir, par exemple, Çiloğlu et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 6 mars 2007.les barrages routiers,7Voir, par exemple, Lucas c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 18 mars 2003 ; Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015. les rassemblements ou réunions dans des lieux privés,8Voir par exemple, Kudrevicius et autres c. Lithuanie, CEDH, arrêt du 15 octobre 2015, point 91, Emin Huseynov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 7 mai 2015. (uniquement disponible en anglais) ; CafDHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, point 69. l’occupation de bâtiments,9Voir Cissé c. France, CEDH, arrêt du 9 avril 2002. Tuskia et autres c. Géorgie, CEDH, arrêt du 11 octobre 2018; Annenkov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 24 october 2017. (Uniquement disponible en anglais) les « sorties »,10Navalnyy c. Russie, CEDH, arrêt du 15 novembre 2018, point 108 ("Les "sorties" en question rassemblaient des groupes de personnes agissant de concert dans un but précis, en l’occurrence à des fins politiques. Elles ont regroupé respectivement 170, 50 et 50 à 100 personnes environ, et elles étaient pacifiques. Compte tenu de leurs modalités et de leur finalité, à savoir l’expression d’opinions personnelles par un groupe de personnes, la Cour estime qu’elles relèvent de la notion de "réunion" au sens de l’article 11.").Le CEDH a défini une "sortie" comme "une réunion informelle de militants consistant à se retrouver pacifiquement dans un lieu public pour discuter de l’actualité”. Point 19.« rassemblements éclairs »11Obote c. Russie, CEDH, arrêt du 19 novembre 2019, point 35. (uniquement disponible en anglais) La CEDH cite la définition de « rassemblement éclair (flash mob) » proposée par le Cambridge Dictionary, à savoir « un groupe de personnes qui organisent, par courrier électronique ou par téléphone portable, de se réunir dans un lieu au même moment, de faire quelque chose de drôle ou de stupide, puis de partir ». et la lecture publique de déclarations à la presse.12Voir, par exemple, Oya Ataman c. Turquie, CEDH, arrêt du 5 décembre 2006. Ogru c. Turquie, CEDH, arrêt du 17 octobre 2017.

El Relator Especial de las Naciones Unidas aportó la definición siguiente, que también ha sido adoptada por el Grupo de Estudio de las Libertades de Asociación y Reunión en África de la CADHP:

Par « réunion », on entend tout rassemblement intentionnel et temporaire dans un espace privé ou public à des fins spécifiques. Ce terme englobe donc les manifestations, les réunions en local clos, les grèves, les défilés, les rassemblements ou même les sit-in.13Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 24 ; ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, para. 3; ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 25, point 18.

La CEDH souligne que le terme « réunion » doit faire l’objet d’une large interprétation :

Le droit à la liberté de réunion est un droit fondamental dans une société démocratique (…). Dès lors, il ne doit pas faire l’objet d’une interprétation restrictive. En tant que tel, ce droit couvre à la fois les réunions privées et celles tenues sur la voie publique, ainsi que les réunions statiques et les défilés publics ; en outre, il peut être exercé par des individus et par les organisateurs.14Budaházy c. Hongrie, CEDH, arrêt du 15 décembre 2015, point 33. Uniquement disponible en Anglais. Voir également, entre autres, Djavit An c. Turquie, CEDH, arrêt du 20 février 2003, point 56 et Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 80.

Les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise emploient une formulation similaire, mais ajoutent qu’une réunion doit se tenir « en vue d’exprimer un point de vue commun » :

Aux fins des présentes lignes directrices, le terme « réunion » désigne la présence intentionnelle et temporaire de plusieurs personnes souhaitant exprimer un point de vue commun dans un espace public.

Cette définition reconnaît le fait que, même si des formes particulières de réunion peuvent soulever des problèmes spécifiques sous l’angle de leur réglementation, les réunions pacifiques – quel que soit leur type et qu’elles se tiennent sur des lieux publics ou privés ou bien à l’intérieur de structures fermées – méritent une protection.15BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 1.2.

L’Observation générale no 37 du Comité des droits de l’homme des Nations Unies déclare que « [l]e droit de réunion pacifique protège le rassemblement non violent de personnes à des fins spécifiques, principalement pour l’expression d’opinionshe. »16Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 4. L’Observation générale ajoute par ailleurs :

L’article 21 du Pacte protège les réunions pacifiques, qu’elles se déroulent à l’extérieur, à l’intérieur ou en ligne, dans l’espace public ou dans des lieux privés, ou qu’elles combinent plusieurs de ces modalités. Ces réunions peuvent prendre de nombreuses formes, à savoir notamment celles de manifestations, protestations, rassemblements, défilés, sit-in, veillées à la bougie et mobilisations éclair. Elles sont protégées au titre de l’article 21, qu’elles soient statiques, comme les piquets, ou mobiles, comme les défilés ou les marches.17Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 6.

El concepto de reunión también abarca aquellas que tienen lugar en línea o por medios digitales.

La notion de réunion couvre egalement les rassemblements qui ont lieu en ligne ou par des moyens numériques.
L’Assemblée générale des Nations Unies a demandé à tous les États à de faire en sorte que les droits garantis hors ligne, notamment la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, soient également pleinement protégés en ligne, conformément au droit des droits de l’homme. »18Assemblée générale des Nations Unies, Promotion et protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment du droit de réunion pacifique et du droit à la liberté d’association, A/RES/73/173, 8 janvier 2019, point 4.Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a reconnu que « bien que le concept de réunion soit généralement compris comme un rassemblement physique de personnes, les protections des droits de l’homme, y compris les droits à la liberté de réunion pacifique, d’expression et d’association, peuvent s’appliquer aux interactions analogues qui ont lieu en ligne ».19Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, La promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte de manifestations pacifiques, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/38/11, 6 juillet 2018.

L’Observation générale no 37 déclare : « Bien que l’exercice du droit de réunion pacifique soit habituellement interprété comme s’appliquant au rassemblement physique de personnes, la protection offerte par l’article 21 s’étend également à la participation à distance à des réunions ainsi qu’à leur organisation à distance, par exemple aux réunions en ligne.»20Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, point 4.

Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association a explicitement affirmé que “les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association existent autant en ligne que hors ligne”21Déclaration du rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association à l’issue de sa visite dans le Sultanat d’Oman, 13 septembre 2014 ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/29/25/Add.1, 27 avril 2015, paragraphe 34.et a par ailleurs déclaré que “le droit international protège les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, qu’ils soient exercés en personne ou par le biais des technologies d’aujourd’hui ou de celles qui seront inventées à l’avenir.”22Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/41/41, 17 mai 2019, point 28Le Rapport sur la protestation et les droits de l’homme de la CIDH déclare de même que “[l]es normes internationales élaborées dans le cadre du système interaméricain et du système universel sur les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique sont pleinement applicables à l’Internet.”23Bureau du rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport sur la protestation et les droits de l’homme (2019), point 296. Uniquement disponible en anglais.

Toutefois, le rapporteur spécial des Nations Unies a souligné qu’aux fins du droit national, “les personnes qui publient des appels à des assemblées sur les médias sociaux ne doivent pas être assimilées à des organisateurs.”24Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/38/34, 26 juillet 2018, point 82.

La plupart des grands instruments internationaux et en matière de droits de l’homme consacrent un droit de réunion « pacifique » (voir article 20 de la DUDH, l’article 21 du PIDCP, ainsi que, sur le plan régional, l’article 15 de la CADH et l’article 11 de la ConvEDH). Néanmoins, l’article 11 de la CADHP, garantit le droit « de se réunir librement avec d’autres » tout court.

Si les organisateurs d’une réunion ont des intentions pacifiques, ils exercent leur droit de réunion pacifique.25Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 25 ; BIDDH/OSCE et Commission de Venise,Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 1.3. Il en sera ainsi même si, en dépit de leurs intentions, des actes violents sont perpétrés par des tiers. Selon la Cour européenne des droits de l’homme :

Le droit à la liberté de réunion pacifique est garanti à quiconque a l’intention d’organiser une manifestation pacifique. La possibilité que des extrémistes aux intentions violentes non membres de l’association organisatrice se joignent à la manifestation, ne peut pas, comme telle, supprimer ce droit.26Parti populaire chrétien-démocrate c. Moldavie (n° 2), CEDH, arrêt du 2 février 2010, point 23 ; voir également Schwabe et M.G. c. Allemagne, CEDH, arrêt du 1er décembre 2011, point 103 et Christians against Racism and Fascism c. Royaume-Uni,ComEDH, décision du 16 juillet 1980, point 4 ; Primov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 12 juin 2014 point 155 (uniquement disponible en anglais).

Il en va de même pour ce qui est des participants à une réunion ; un individu dont les intentions et les actions sont pacifiques ne se voit pas privé de la protection de son droit lorsque des tiers s’adonnent à des actes violents. Dans l’affaire Ziliberberg c. Moldavie, la CEDH avait, en effet, jugé ce qui suit :

[La] jouissance par un individu du droit de réunion pacifique ne cesse pas du fait que des actes sporadiques de violence ou d’autres comportements répréhensibles soient perpétrés par des tiers dans le cadre de la manifestation, sous réserve que les intentions ou le comportement de l’individu en question soi(en)t demeuré(e)s pacifique(s). Bien que la manifestation soit devenue graduellement violente, rien ne permet de supposer que le requérant ait participé lui-même aux actes de violence, ou qu’il ait hébergé quelque intention violente que ce soit. (…) Aussi, la Cour conclut que l’article 11 s’applique en l’espèce.27Ziliberberg c. Moldavie, CEDH, décision du 4 mai 2004, point 2. Uniquement disponible en anglais. ; Ezelin c. France, CEDH, arrêt du 26 avril 1991, point 53.

Toutefois, dans les affaires Razvozzhayev c. Russie et Ukraine et Udaltsov c. Russie, où les actes délibérés du requérant – qui ont conduit un groupe de personnes à franchir un cordon de police – « ont conduit à l’escalade de la violence à un moment crucial et ont déclenché le début d’affrontements », la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que ces actes ne relevaient pas de la notion de « réunion pacifique » protégée par l’article ».28Razvozzhayev c. Russie and Ukraine and Udaltsov c. Russie, CEDH, arrêt du 19 novembre 2019, point 284. Uniquement disponible en anglais

L’Observation générale no 37 stipule également :

[I]es actes de violence sporadiques perpétrés par certains participants ne doivent pas être attribués aux autres participants, aux organisateurs ou au rassemblement lui-même. …

Il convient, pour répondre à la question de savoir si une réunion est ou n’est pas pacifique, de prendre en considération la violence qui est exercée par les participants. La violence déployée par les autorités ou commise par des agents provocateurs agissant pour leur compte contre les participants à une réunion pacifique ne rend pas la réunion non pacifique. Il en va de même pour les actes de violence commis par d’autres citoyens contre la réunion, et des violences commises par les participants à des contre-manifestations. 29Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 septembre 2020, paras. 17-18.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies et les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique du BIDDH/OSCE soulignent que lorsqu’une personne exerce le droit de réunion, le caractère pacifique de ses intentions doit être présumé, et cela jusqu’à preuve du contraire.30Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 25 ; BIDDH/OSCE et Commission de Venise,Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique,2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 25. La CEDH confirme que la charge de la preuve pèse sur les autorités :

La charge de la preuve des intentions violentes des organisateurs pèse sur les autorités.31Parti populaire chrétien-démocrate c. Moldavie (n° 2), CEDH, arrêt du 2 février 2010, point 23 ; voir également Frumkin c. Russie,CEDH, arrêt du 5 janvier 2016, point 98.

Par ailleurs, le fait que des actes violents interviennent ne constitue pas une preuve suffisante qu’une telle situation était souhaitée par les organisateurs :

[L]e simple fait que des actes de violence soient perpétrés à l’occasion d’un rassemblement ne saurait suffire, en tant que tel, à permettre de conclure que les organisateurs hébergeaient des intentions violentes.32Karpyuk et autres c. Ukraine, CEDH, arrêt du 6 octobre 2015, point 202. (uniquement disponible en anglais).

Même si les participants à un rassemblement ne sont pas pacifiques et perdent ainsi leur droit de réunion pacifique, ils n’en conservent pas moins tous leurs autres droits, sous réserve des restrictions normales. Aucune réunion ne devrait donc échapper à toute protection.33Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 9. Rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements

Le fait que les organisateurs entendent faire obstacle ou obstruction à la personne ou à l’entité à l’encontre de laquelle la manifestation s’adresse ne signifie pas que leurs intentions ne sont pas « pacifiques ».34BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 1.3. Dans l’affaire Karpyuk et autres c. Ukraine, la CEDH a déclaré ce qui suit :

[L]es organisateurs avaient l’intention que la manifestation soit obstructive, mais pacifique, le rassemblement devant occuper l’espace entourant le monument Shevchenko et empêcher ainsi le président ukrainien d’y déposer des fleurs. Or, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, de telles actions d’obstruction bénéficient, en principe, de la protection des articles 10 et 11.35Karpyuk et autres c. Ukraine, CEDH, arrêt du 6 octobre 2015, point 207. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Kudrevičius et autres c. Lituanie [cliquer ici pour un exposé complet], la Grande Chambre de la CEDH s’est montrée plus prudente concernant les réunions qui perturbent délibérément les activités des tiers qui ne sont pas visés par la protestation, comme, par exemple, dans le cas des blocages des autoroutes importantes. La Cour a néanmoins estimé que les blocages étaient couverts par le droit de réunion, mais a signalé qu’une restriction pourrait passer plus aisément le test de nécessité pour ce qui est des interférences avec la liberté de réunion :

De l’avis de la Cour, même si, dans le contexte de l’exercice de la liberté de réunion dans les sociétés modernes, des comportements physiques visant délibérément à bloquer la circulation routière et à entraver le bon déroulement de la vie quotidienne dans le but de perturber sérieusement les activités d’autrui ne sont pas rares, ils ne sont pas au cœur de la liberté protégée par l’article 11 de la Convention (…). Ces considérations pourraient avoir des implications sur l’appréciation de la « nécessité » au regard du second point de l’article 11.
Cependant, la Cour estime que le comportement dont les requérants ont fait preuve pendant les manifestations et dont ils ont été tenus pour responsables n’était pas d’une nature ou d’une gravité propre à faire échapper leur participation à ces manifestations au domaine de protection du droit à la liberté de réunion pacifique garanti par l’article 11 de la Convention.36Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, points 93 à 98.

La CEDH a toutefois précisé que l’occupation pacifique de locaux en violation du droit national, y compris l’occupation d’institutions publiques37Touskia et autres c. Géorgie, CEDH, arrêt du 11 octobre 2018, points 64, 74. Uniquement disponible en anglais.de propriétés privées,38Annenkov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 25 juillet 2017, points 123 à 126. Uniquement disponible en anglais.peut être considérée comme une « réunion pacifique » bénéficiant de la protection prévue à l’article 11.

L’Observation générale no 37 souligne que « emphasizes that Les seuls faits de pousser et bousculer ou de perturber la circulation des véhicules ou des piétons ou les activités quotidiennes ne constituent pas de la « violence ». 39Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 21), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/37, 17 september 2020, point 15.