Les libertés d’association

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La liberté d’association est expressément garantie dans l’ensemble des principaux instruments consacrés aux droits de l’homme, notamment à l’article 20 de la DUDH, à l’article 22 du PIDCP, à l’article 16 de la CADH, à l’article 10 de la CADHP, et à l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le droit de former des syndicats et de s’y affilier, en tant que forme particulière d’association, est expressément garantie à l’article 8 du PIDSC, ainsi qu’au sein de la Convention de l’OIT de 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (Convention de l’OIT n° 87) et de la Convention de l’OIT de 1949 sur le droit d’organisation et de négociation collective (Convention de l’OIT n° 98).

Le droit à la liberté d’association est garanti par l’article 24 de la Charte arabe des droits de l’homme. Néanmoins, cette charte ne fixe pas les mêmes règles reconnues sur le plan international pour ce qui est des restrictions. Il est donc souhaitable d’utiliser les normes mondiales dans les pays concernés. La Déclaration des droits de l’homme de l’ANASE, dans son article 27, paragraphe 2, reconnaît la liberté de former des syndicats et de s’y affilier.

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Dans son premier rapport thématique au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a précisé que par

« association » on entend tout groupe d’individus ou toute entité juridique constitués pour exprimer, promouvoir, poursuivre et défendre collectivement des intérêts communs.1Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 51.

Le mot « association» désigne notamment les organisations de la société civile, clubs, coopératives, organisations non gouvernementales, associations religieuses, partis politiques, syndicats, fondations et même les associations en ligne.2Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 52.

Les associations peuvent donc être constituées à diverses fins : personnelles, culturelles, politiques ou autres. Le principal critère est constitué par la liberté de fonctionner à l’unisson dans le but d’atteindre un objectif commun. Tous ces différents types d’associations sont protégés par le droit international.

Il est bien établi en droit international que le droit à la liberté d’association protège aussi bien les associations officielles (celles qui disposent d’actes constitutifs et sont enregistrées) que celles informelles (celles qui fonctionnent en pratique mais n’ont procédé à aucun enregistrement).3Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 56.
[Personnalité morale et enregistrement.] Le Rapporteur spécial a souligné à maintes reprises que la liberté d’association s’appliquait aux associations informelles et que les groupes n’avaient pas besoin d’être enregistrés pour l’exercer.4Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Quatrième rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/29/25, 28 avril 2015, point 59.

Dans ses lignes directrices sur la liberté d’association et sur la liberté de réunion en Afrique, la définition d’une association de la ComADHP souligne que les associations ne doivent pas forcément être formelles ; une association est « un regroupement organisé, indépendant, à but non lucratif de personnes ayant un intérêt, une activité ou un objectif commun », elle requiert une certaine forme ou structure institutionnelle mais pas nécessairement formelle.5ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, point 1..

La ligne directrice 11 dispose ce qui suit :

Les États ne sauraient contraindre les associations à se faire enregistrer pour avoir droit de cité et fonctionner librement.9 Les associations informelles (de facto) ne peuvent être punies, ni pénalisées en droit ou en fait au motif qu’elles ne jouissent pas d’un statut officiel (de jure)..6ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, point 11..

Les organismes internationaux ont rappelé à maintes reprises que les associations pouvaient fonctionner librement, indépendamment de leur reconnaissance officielle. Dans l’affaire Mouvement pour un Royaume démocratique c. Bulgarie, la ComEDH a par exemple confirmé plusieurs affaires antérieures dans lesquelles :

le refus des autorités d’enregistrer une association n’implique pas nécessairement une ingérence dans ses droits au sens de l’article 11 (art. 11) de la Convention, si l’association demeure néanmoins libre de poursuivre ses activités. 7Mouvement pour un Royaume démocratique c. Bulgarie, ComEDH, arrêt du 29 novembre 1995, point 2. (uniquement disponible en anglais)

Un avis de 2011 de la Commission de Venise sur les droits des associations non enregistrées en Biélorussie a apporté davantage de précisions sur ce point, en soulignant que les actes d’une association ne pouvaient être sanctionnés au simple motif que cette dernière n’est pas enregistrée [cliquer ici pour un exposé complet].

Dans son rapport de 2011 sur la Biélorussie, la Commission de Venise a conclu ce qui suit :

(…) le simple fait qu’une association ne remplisse pas tous les critères fixés par la législation pertinente ne lui retire pas le droit à la liberté d’association, garantie sur le plan international. Dans son arrêt Chassagnou et autres c. France, la CEDH souligne le caractère autonome du terme d’association : « la notion d’ « association » possède (…) une portée autonome : la qualification en droit national n’a qu’une valeur relative et ne constitue qu’un simple point de départ ».

  1. Les principes et la protection prévus par le PIDCP et par la CEDH s’appliquent donc aussi aux ONG non enregistrées (…).
  2. Par conséquent, aux yeux de la Commission de Venise, criminaliser les actions liées à l’organisation ou à la gestion d’une association au seul motif que l’association concernée n’a pas été enregistrée par l’État, comme le fait l’article 193-1 du Code pénal du Bélarus, ne remplit pas les critères stricts prévus à l’article 22.2 du PIDCP et à l’article 11.2 de la CEDH.
  3. Ériger en infractions pénales des activités en faveur des droits de l’homme, comme le fait l’article 193-1 lorsque des membres d’associations non enregistrées œuvrent pour les droits de l’homme, ne peut être considéré que comme une atteinte aux valeurs qui sous-tendent le système international des droits de l’homme et aux objectifs des droits civils et politiques garantis par le PIDCP et par la CEDH.
  4. En conclusion, la Commission de Venise estime que le simple fait qu’une association ne soit pas enregistrée auprès de l’État ne peut constituer une raison de criminaliser les actions qui s’inscrivent dans le cadre de cette association. Cela rendrait de fait impossibles les activités de toute association non enregistrée et restreindrait par conséquent le droit à la liberté d’association dans son essence même.8Commission de Venise, Avis sur la compatibilité avec les normes universelles des droits de l’homme de l’article 193-1 du code pénal de la République de Bélarus relatif aux droits des associations non enregistrées, 18 octobre 2011.

En outre, dans son arrêt Parti républicain de Russie c. Russie, la CEDH a de nouveau confirmé qu’un État ne saurait forcer une association à choisir une forme juridique particulière, déclarant ce qui suit :

(…) il a déjà été jugé inacceptable qu’une association soit forcée à adopter une forme juridique non souhaitée par ses fondateurs et ses membres, l’adoption d’une telle approche étant considérée comme une restriction de la liberté d’association de ces derniers, au point de la rendre inexistante ou dépourvue de toute valeur pratique.9Parti républicain de Russie c. Russie, CEDH, arrêt du 12 avril 2011, point 105 (uniquement disponible en anglais) ; voir également, Zhechev c Bulgarie, CEDH, arrêt du 21 juin 2007, point 56 (uniquement disponible en anglais).

Les associations peuvent donc décider de fonctionner sans enregistrement, et ne peuvent être sanctionnées pénalement pour cela. Ce principe s’avère essentiel au vu des difficultés que certaines organisations peuvent rencontrer pour s’enregistrer, ou du nombre de pays dans lesquels l’enregistrement est généralement difficile à effectuer.10Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 57. [Lien vers l’enregistrement] Néanmoins, certaines activités comme l’ouverture d’un compte bancaire ou l’embauche de personnel peuvent contraindre une association à obtenir une personnalité morale. [Lien vers la personnalité morale]

Ces dernières années, l’Internet est devenu essentiel pour faciliter la participation active des citoyens afin de créer des sociétés démocratiques et de mobiliser la population pour « réclamer la justice, l’égalité, la responsabilité effective et un plus grand respect des droits de l’homme ».11Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, Doc. des Nations Unies A/HRC/17/27, 16 mai 2011, point 2 ; voir également,Premier rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 32(e). Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a souligné à maintes reprises l’importance des technologies de l’information et de la communication pour une jouissance pleine et entière du droit à la liberté d’association, et a rappelé aux États leur obligation de respecter et de protéger pleinement le droit de tous les individus de se réunir pacifiquement et de s’associer librement, à la fois en ligne et hors ligne.12Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Le droit de réunion pacifique et la liberté d’association,Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/21/16, 11 octobre 2012, point 1 ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Droit de réunion pacifique et liberté d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/24/5, 8 octobre 2013, point 2. L’Assemblée générale des Nations Unies a également demandé à tous les États de « faire en sorte que les droits garantis hors ligne, notamment la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, soient également pleinement protégés en ligne, conformément au droit des droits de l’homme ».13Assemblée générale des Nations Unies, Promotion et protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment du droit de réunion pacifique et du droit à la liberté d’association, A/RES/73/173, 8 janvier 2019, point 4.

Comme l’a également souligné le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression,

Internet a non seulement permis aux citoyens de s’exprimer plus librement et ouvertement, mais a aussi créé les conditions idéales pour l’innovation et l’exercice d’autres droits fondamentaux tels que le droit à l’éducation et la liberté d’association.14Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, Doc. des Nations Unies A/66/290, 10 août 2011, point 61.

De même, une déclaration conjointe de 2011 du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, du Représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, du Rapporteur spécial de l’OEA pour la liberté d’expression et du Rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) a souligné que l’Internet était nécessaire pour promouvoir le respect des autres droits de l’homme, notamment la liberté d’association.15Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, le Rapporteur spécial de l’OEA pour la liberté d’expression et le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), Déclaration conjointe sur la liberté d'expression et de l'internet, 1 juin 2011, point 6(a) (uniquement disponible en anglais).

Le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association des Nations Unies a expressément affirmé que « les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association sont souvent exercés aussi bien en ligne que hors ligne»,16Déclaration du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association à l'issue de sa visite dans le Sultanat d'Oman, 13 septembre 2014 (uniquement disponible en anglais) ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. Des Nations Unies A/HRC/29/25/Add.1, 27 avril 2015, point 34.et a en outre déclaré que « le droit international protège les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, qu’ils soient exercés en personne ou au moyen de technologies actuelles ou de technologies qui seront inventées dans le futur ».17Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, Doc. Des Nations Unies A/HRC/41/41, 17 mai 2019, point 28.

Pour ces raisons, les États devraient garantir l’accès à Internet à tous les individus. Selon un rapport de 2014 de la Commission interaméricaine des droits de l’homme :

Internet offre un espace pour renforcer l’échange d’informations et d’opinions. Internet a été développé à l’aide de principes de conception qui ont favorisé et permis la création d’un environnement en ligne décentralisé, ouvert et neutre. Il importe que toutes les règlementations reposent sur un dialogue entre l’ensemble des acteurs, ainsi que sur la préservation des caractéristiques de base de l’environnement d’origine, renforçant ainsi les capacités de démocratisation d’Internet et favorisant un accès universel et non-discriminatoire.19ComIDH, Bureau du Rapporteur spécial pour la liberté d’expression, Freedom of Expression and the Internet,OEA/Ser.L/V/II.CIDH/RELE/INF.11/13, 31 décembre 2013, point 11. (uniquement disponible en anglais)

Dans certains cas limités, l’activité en ligne peut être restreinte, notamment pour prévenir les infractions prévues par le droit pénal international et/ou par le droit international des droits de l’homme, telles que l’incitation à la violence, au génocide ou au terrorisme. Toutefois, même dans ces cas, lesdites limitations doivent passer le test de toutes les restrictions imposées aux droits de l’homme de base : être prescrites par la loi et ne laisser aucune place à l’ambiguïté, répondre à un objectif légitime et respecter les principes de nécessité et de proportionnalité.20Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue,Doc. des Nations Unies A/66/290, 10 août 2011, point 37. [Lien vers les restrictions]

Le BIDDH/OSCE et la Commission de Venise ont par exemple noté que

(l)e blocage des sites web d’associations, de certaines sources d’information ou de certains outils de communication peut avoir des répercussions négatives considérables pour les associations. Les mesures de sécurité devraient être de nature temporaire, définies de façon restrictive pour satisfaire à la poursuite d’un objectif légitime précis et prévues par la loi. Ces mesures ne sauraient être utilisées pour faire taire toute forme d’opposition ou de critique.21BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, point 270.

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a appelé expressément les États à ne pas imposer de restrictions dans certains cas particuliers, notamment :

(à) la discussion des politiques gouvernementales et au débat politique, à la publication d’informations sur les droits de l’homme, les activités du gouvernement ou la corruption au sein de celui-ci, à la participation à des campagnes électorales, à des manifestations pacifiques ou à des activités politiques, notamment en faveur de la paix ou de la démocratie, et à l’expression d’opinions et de désaccords, de croyances ou de convictions religieuses, y compris par des personnes appartenant à des minorités ou à des groupes vulnérables.22Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Résolution 12/16 Liberté d’opinion et d’expression, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/12/16, 12 octobre 2009, point 5(p)(i).

Et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a déclaré que « [d] manière générale, le blocage complet de sites Web est une mesure extrême et disproportionnée qui limite considérablement les capacités de mener ces activités et, partant, compromet l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association », que « les coupures de réseau constituent une violation flagrante du droit international et ne peuvent en aucun cas être justifiées », et que « interdire à un individu ou à une association de publier un contenu en ligne ‘’uniquement au motif qu’il peut être critique à l’égard du gouvernement ou du système politique et social épousé par le gouvernement’’ est incompatible avec les droits à la liberté de réunion pacifique, d’association et d’expression ».23Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/41/41, 17 mai 2019, points 42, 52.

Par extension, cela signifie que les associations en ligne qui opèrent dans ces domaines sensibles sont non seulement en droit de bénéficier d’une protection, mais également d’une protection particulière. Comme l’a souligné la CEDH,

pluralisme, tolérance et esprit d’ouverture caractérisent une « société démocratique » (…). Bien qu’il faille parfois subordonner les intérêts d’individus à ceux d’un groupe, la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l’opinion d’une majorité ; elle commande un équilibre qui assure aux minorités un juste traitement et qui évite tout abus d’une position dominante. 24Young, James et Webster c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 13 août 1981, point 63.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a notamment souligné ce qui suit :

Le droit de réunion pacifique et la liberté d’association sont essentiels parce qu’ils donnent aux personnes appartenant aux groupes les plus à risques le moyen de revendiquer d’autres droits et de surmonter les obstacles liés à la marginalisation. Il est donc impératif non seulement de protéger ces droits mais aussi d’en faciliter l’exercice. Toutes les parties prenantes ont le devoir de veiller à ce que les personnes appartenant aux groupes les plus à risques puissent exprimer leurs vues et à ce que celles-ci soient prises en compte, conformément aux principes du pluralisme d’opinions, de la tolérance, de l’ouverture d’esprit et de l’équité.25Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, A/HRC/26/29, 14 avril 2014, point 72.

Le Rapporteur spécial estime ainsi que :

… le droit international des droits de l’homme devrait régir la manière dont les entreprises du numérique répondent aux demandes des pouvoirs publics, les choix des entreprises en matière de modération de contenu et de technologies, y compris pour ce qui est de la curation informatisée des contenus. Cela signifie que des normes en matière de légalité, de nécessité et de légitimité devraient s’appliquer lorsque les entreprises prennent une décision susceptible d’avoir des incidences sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association.26Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/41/41, 17 mai 2019, point 64.

En général, le droit à la liberté d’association ne s’applique qu’aux associations de droit privé (à savoir, à celles constituées par des personnes privées qui souhaitent se rassembler pour atteindre un but particulier) et non pas aux associations publiques, créées ou organisées par l’État, ou intégrées au sein de ce dernier. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a expliqué que l’article 22 du Pacte ne s’appliquait qu’aux associations de droit privé ; il a refusé de considérer qu’il y avait eu violation du droit dans le cadre d’une affaire où un État partie avait demandé à des personnes morales de s’enregistrer ou de payer une cotisation à une organisation publique, dans la mesure où sa création ne visait pas à entraver la jouissance de l’article 22.

Dans l’affaire Wallman c. Autriche, par exemple, le Comité a estimé que l’Autriche n’avait pas violé le droit à la liberté d’association de l’un de ses citoyens en demandant à l’entreprise de ce dernier d’adhérer et de payer une cotisation annuelle à une chambre de commerce créée à des fins commerciales :

Le Comité constate que la Chambre de commerce autrichienne a été créée en vertu d’une loi et non d’un accord privé et que ses membres sont subordonnés par la loi à son pouvoir de percevoir des droits d’adhésion annuels. Il constate également que l’article 22 du Pacte s’applique uniquement, questions d’adhésion comprises, aux associations privées. (…) Le Comité considère que lorsque le législateur d’un État partie établit des chambres de commerce en tant qu’organismes de droit public, de tels organismes ne sont pas empêchés par l’article 22 du Pacte d’imposer des droits d’adhésion annuels à leurs membres, à moins que leur mise en place en vertu du droit public vise à contourner les garanties figurant à l’article 22. Or rien dans le dossier dont est saisi le Comité n’indique que la qualification de la Chambre de commerce autrichienne en tant qu’organisme de droit public, en vertu de la Constitution autrichienne et de la loi sur la Chambre de commerce de 1998, a pour effet de contourner l’article 22 du Pacte 27Wallman et consorts c. Autriche, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/80/D/1002/2001, 1 avril 2004, point 9.5.

De même, la CEDH a jugé que le fait qu’une association ait été constituée par la loi ne suffisait pas pour déterminer qu’elle était de droit public et qu’elle ne jouissait donc pas de la protection du droit à la liberté d’association. Cela traduit plutôt le niveau d’intégration de l’association dans une structure étatique.

 

Dans l’affaire Chassagnou c. France, la Cour a considéré que les associations réglementées sous-régionales de chasse étaient des associations privées, et ce même si elles avaient été constituées par loi et si elles faisaient l’objet d’une supervision de la part des autorités publiques car 1) elles étaient tenues de respecter le droit national applicable aux associations de droit privé et 2) elles avaient pour membres des personnes physiques désireuses de se rassembler dans un but précis. La CEDH a ainsi conclu qu’il ne s’agissait pas d’associations de droit public, car ces deux facteurs ne suffisaient pas à établir qu’elles étaient « intégrées aux structures de l’État ».28Chassagnou c. France, CEDH, arrêt du 29 avril 1999, point 101.

 

 

La CEDH a également jugé qu’une association créée par loi relevait du droit public et ne jouissait pas des garanties prévues à l’article 11 de la Convention si elle avait été constituée par la loi pour satisfaire un intérêt public, à savoir la réglementation de la profession médicale. Dans l’affaire Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, la Cour a considéré que la Belgique n’avait pas violé les droits à la liberté d’association des médecins requérants en demandant à ces derniers d’adhérer à l’Ordre belge des médecins, chargé de la supervision de la profession médicale, car ladite association professionnelle nationale était une institution publique et ils demeuraient libres d’adhérer à d’autres associations professionnelles de droit privé [cliquer ici pour un exposé complet].

Pour opérer une distinction entre les associations de droit public et celles de droit privé, la CEDH a noté ce qui suit :

  1. (…) (l)’Ordre belge des médecins est une institution de droit public. Fondé par le législateur et non par des particuliers, il demeure intégré aux structures de l’État et des magistrats nommés par le Roi siègent dans la plupart de ses organes. Il poursuit un but d’intérêt général, la protection de la santé, en assurant de par la loi un certain contrôle public de l’exercice de l’art médical. Dans le cadre de cette compétence, il lui incombe notamment de dresser le tableau de l’Ordre. Pour accomplir les tâches que lui a confiées l’État belge, il jouit en vertu de la loi de prérogatives exorbitantes du droit commun, tant administratives que normatives ou disciplinaires, et utilise ainsi des procédés de la puissance publique (…).
  2. Eu égard à ces divers éléments considérés dans leur ensemble, l’Ordre ne saurait s’analyser en une association au sens de l’article 11 (art. 11). Encore faut-il que sa création par l’État belge n’empêche pas les praticiens de fonder entre eux des associations professionnelles ou d’y adhérer, sans quoi il y aurait violation. Des régimes totalitaires ont recouru – et recourent – à l’encadrement, par la contrainte, des professions dans des organisations hermétiques et exclusives se substituant aux associations professionnelles et aux syndicats traditionnels. Les auteurs de la Convention ont entendu prévenir de tels abus (…).

La Cour relève que la Belgique connaît plusieurs associations vouées à la défense des intérêts professionnels des médecins et auxquelles ces derniers ont toute latitude d’adhérer ou non. Dans ces conditions, l’existence de l’Ordre et son corollaire – l’obligation des médecins de s’inscrire à son tableau et de se soumettre à l’autorité de ses organes – n’ont manifestement ni pour objet ni pour effet de limiter, et encore moins de supprimer, le droit garanti à l’article 11 par. 1 (art. 11-1).29Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, CEDH, arrêt du 23 juin 1981, points 64-5.

La CEDH analyse au cas par cas la nature « publique » d’une organisation, notamment lorsque l’adhésion à cette dernière est obligatoire.30Sigurdur A. Sigurjonsson c. Islande, CEDH, arrêt du 30 juin 1993, point 31. [Lien vers le droit de ne pas s’associer]

Toute personne a droit à la liberté d’association, au sens de l’ article 22, paragraphe 1, du PIDCP ; de l’ article 16, paragraphe 1, de la CADH ; de l’article 11, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 10, paragraphe 1, de la CADHP. Le PIDCP et la Convention européenne des droits de l’homme prévoient le droit de former des syndicats et de s’y affilier, et la CADH précise qu’elle comporte « le droit de s’associer librement à d’autres à des fins idéologiques, religieuses, politiques, économiques, professionnelles, sociales, culturelles, sportives ou à toute autre fin ». La CADHP ajoute la condition que ce droit soit accordé à tous les individus, « sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi ». [Lien vers les objectifs]

 

Tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme mettent en garde contre la discrimination dans le cadre du respect de la liberté d’association. Au sens de l’article 2, paragraphe 1, du PIDCP, chaque État partie s’engage

à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».31Article 2, paragraphe 1 du PIDCP

En outre, plusieurs conventions internationales relatives aux droits de l’homme garantissent le droit à la liberté d’association expressément au profit des populations vulnérables, notamment les réfugiés,32Convention relative au statut des réfugiés et protocole y afférent, article 15. les femmes,33Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, article 7(c). les enfants,34Convention relative aux droits de l’enfant, article 15. les travailleurs migrants35Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, article 26 et article 40. et les personnes handicapées.36Voir Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/26/29, 14 avril 2014, point 20.L’article 29 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées consacre, par exemple, expressément les droits des personnes handicapées à participer aux associations qui s’intéressent à la vie publique et politique, ainsi qu’à former et à s’affilier à des organisations afin de représenter leurs intérêts à tous les niveaux.37Convention relative aux droits des personnes handicapées, article 29, sous b).

Ce principe général du droit international des droits de l’homme est également évoqué à l’article 2, paragraphe 1, du PIDCP, dont les garanties s’appliquent à tous les individus se trouvant sur le territoire et relevant de la compétence de ses États parties, et sa jouissance ne dépend donc pas de la citoyenneté ou d’autres critères :

(l)a jouissance des droits reconnus dans le Pacte, loin d’être limitée aux citoyens des États parties, doit être accordée aussi à tous les individus, quelle que soit leur nationalité ou même s’ils sont apatrides, par exemple demandeurs d’asile, réfugiés, travailleurs migrants et autres personnes qui se trouveraient sur le territoire de l’État partie ou relèveraient de sa compétence. Ce principe s’applique aussi à quiconque se trouve sous le pouvoir ou le contrôle effectif des forces d’un État partie opérant en dehors de son territoire, indépendamment des circonstances dans lesquelles ce pouvoir ou ce contrôle effectif a été établi (…).38Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 31, La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, adoptée le 29 mars 2004, point 10.

Ce principe a été confirmé par la CIDH, dans l’affaire Escher et autres c. Brésil, qui a statué que les États étaient tenus de respecter et de promouvoir la liberté d’association au profit de toutes les personnes se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence :

La Cour a indiqué que l’article 16, paragraphe 1, de la Convention américaine dispose que toute personne qui relève de la compétence d’un État partie jouit de la liberté de s’associer librement avec d’autres personnes, sans intervention des autorités publiques venant restreindre ou entraver l’exercice dudit droit.39Escher et autres c. Brésil, CIDH, arrêt du 6 juillet 2009, point 170. (uniquement disponible en anglais)

L’article 3 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local dispose ce qui suit :

(l)e droit à la liberté d’association implique le droit pour les résidents étrangers de créer leurs propres associations locales aux fins d’assistance mutuelle, de conservation et d’expression de leur identité culturelle ou de défense de leurs intérêts par rapport aux questions relevant de la collectivité locale, ainsi que le droit d’adhérer à toute association. 40Convention du Conseil de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local, Traité n° 144, article 3, alinéa 1, sous b).

Le statut juridique d’une personne physique sur le territoire d’un État ne prive jamais, en tant que tel, ladite personne desdits droits. Dans l’affaire Cisse c. France, la CEDH a par exemple précisé que le statut d’immigrant illégal ne suffisait pas à justifier une violation de l’article 11.41Cisse c. France, CEDH, arrêt du 9 avril 2002, points 50.

De même, la ComADHP a fait valoir que la garantie prévue à l’article 2 de la CADHP selon laquelle tous les individus devaient jouir de droits identiques « sans distinction d’aucune sorte comme la discrimination fondée sur la race, la couleur, le handicap, l’origine ethnique, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou autre ou l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance, la situation économique ou autre » signifiait que les non-ressortissants bénéficiaient également d’une protection pleine et entière. Dans l’affaire Kenneth Good c. République de Botswana, la ComADHP a constaté une série de violations dans le cadre de la déportation d’une personne étrangère résidant dans le pays, apparemment en représailles de critiques envers le gouvernement. A la question de savoir si ladite personne avait eu accès un recours, la ComADHP a indiqué ce qui suit :

Les États parties à la Charte africaine ont ainsi le devoir de veiller à ce que les organes judiciaires soient accessibles à tous sur leur territoire et dans leur juridiction, sans distinction d’aucune sorte comme la discrimination fondée sur la race, la couleur, le handicap, l’origine ethnique, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou autre ou l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance, la situation économique ou autre. Ainsi, les étrangers ont droit à la jouissance de ce droit au même titre que les ressortissants du pays. 42Kenneth Good c. République de Botswana, ComADHP, communication du 26 mai 2010, point 163.

En outre, le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association souligne que la liberté d’association revêt une nature internationale, de sorte qu’elle « s’étend à la coopération transfrontière et internationale entre les associations et leurs membres ».43Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/26/29, 14 avril 2014, point 61. Par exemple, l’article 36 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dispose ce qui suit :

Les peuples autochtones, en particulier ceux qui vivent de part et d’autre de frontières internationales, ont le droit d’entretenir et de développer, à travers ces frontières, des contacts, des relations et des liens de coopération avec leurs propres membres ainsi qu’avec les autres peuples, notamment des activités ayant des buts spirituels, culturels, politiques, économiques et sociaux. 44Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, article 36 ; voir également Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, article 2(5).

Bien que le droit de base à la liberté d’association soit un droit individuel, une fois que des individus se rassemblent pour atteindre un but commun, ils doivent pouvoir se prévaloir d’un droit collectif à la liberté d’association :

Comme les particuliers, les associations en tant que personnes morales jouissent du droit à la liberté d’association et de l’ensemble des droits et libertés, reconnus universellement et régionalement, qui leur sont applicables.45Commission de Venise, Avis sur la compatibilité avec les normes universelles des droits de l’homme de l’article 193-1 du code pénal de la République de Bélarus relatif aux droits des associations non enregistrées, 18 octobre 2011, point 69.

La CIDH a elle aussi jugé que les droits individuels et collectifs devaient être garantis de façon simultanée, car le droit à la liberté d’association « concerne à la fois le droit de l’individu de s’associer librement et d’utiliser les moyens appropriés pour exercer cette liberté, et le droit des membres d’un groupe d’atteindre ensemble certains objectifs et d’en bénéficier ».46Lagos del Campo c. Pérou (Objections préliminaires, fond, réparations et dépens) CIDH, arrêté du 31 août 2017, point 162  (uniquement disponible en anglais) ; voir également Huilca‐Tecse c. Pérou (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 3 mars 2005, point 72 (uniquement disponible en anglais) ; voir également ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc 66, 31 décembre 2011, points 158-159.

En cas de violation de la liberté d’association, tant les personnes physiques que les associations peuvent se pourvoir en justice, comme l’a confirmé la CEDH, même après la dissolution d’une association.47Voir Refah Partisi (Partie de la prospérité) c. Turquie, CEDH, 13 février 2003, and Sindicatul "Pastorul cel bun" c. Roumanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 9 juillet 2013, point 70.Il s’agit d’une reconnaissance du fait que les droits et les recours s’appliquent aussi bien aux personnes physiques qu’aux associations, ou à titre collectif.

Le droit à la liberté d’association peut faire l’objet de restrictions pour certaines catégories limitées de personnes. En particulier, les États sont en droit d’imposer des restrictions légales au droit à la liberté d’association des membres des forces armées et de la police.

L’article 22, paragraphe 2, du PIDCP autorise ces restrictions, déclarant ce qui suit :

Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ce droit par les membres des forces armées et de la police. 48Article 2, paragraphe 2 du PIDCP

De même, au sens de l’article 16, paragraphe 3, de la CADH :

Les dispositions du présent article n’empêchent pas l’imposition de restrictions légales, ni même l’interdiction de l’exercice du droit d’association, aux membres des forces armées et de la police. 49Article 16, paragraphe 3 de la CADH.

La Convention européenne des droits de l’homme prévoit également la possibilité de restreindre la liberté d’association des fonctionnaires publics, dans son article 11 :

Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. 50Convention européenne des droits de l’homme, article 11.

Cela ne signifie pas que les membres des forces armées et de la police (et au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’administration de l’État) puissent être totalement privés de leur droit à la liberté d’association, mais que les considérations prises en compte pour l’imposition de restrictions peuvent différer.

Les différents organismes régionaux et internationaux ont fourni des orientations quant à l’interprétation de cette exception, notamment en ce qui concerne les associations représentatives et l’adhésion à des partis politiques.

Concernant la police

Dans l’affaire Nilsen et Johnsen c. Norvège, la CEDH a souligné que la police pouvait avoir des fédérations représentatives et que ces dernières pouvaient jouer un rôle particulier. La Cour a eu à connaître de la réclamation déposée par deux membres de l’Association des policiers norvégiens et de l’Association des policiers de Bergen, qui accusaient de diffamation un chercheur qui s’était penché sur des allégations de violences policières. Bien que l’affaire porte principalement sur une violation de la liberté d’expression, la Cour a également souligné sa relation à la liberté d’association :

Une caractéristique particulière de la présente espèce réside dans le fait que les requérants ont été sanctionnés pour des déclarations qu’ils avaient faites en qualité de représentants d’associations de policiers, à la suite de certains rapports qui avaient rendu publiques des allégations d’abus policiers. S’il ne peut faire aucun doute que toute restriction mise au droit de communiquer et de recevoir des informations concernant des allégations défendables d’abus policiers appelle un examen attentif de la part de la Cour (…), il doit en aller de même des propos tendant à réfuter pareilles allégations, dès lors qu’ils font partie du même débat. Tel est spécialement le cas lorsque, comme en l’espèce, les déclarations en cause ont été formulées par des représentants élus d’associations professionnelles en réponse à des allégations jetant le discrédit sur les pratiques et l’intégrité de la profession. Il convient en effet de rappeler que le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 constitue l’un des principaux moyens permettant d’assurer la jouissance effective du droit à la liberté de réunion et d’association consacré par l’article 11 (…). 51Nilsen et Johnsen c. Norvège, CEDH, arrêt du 25 novembre 1999, point 44.

Dans l’affaire Syndicat de la police de la République slovaque et autres c. Slovaquie, le Syndicat de la police s’était plaint d’actes d’intimidation de la part du ministre de l’intérieur en raison de ses activités syndicales. A la suite d’un rassemblement syndical avec, entre autres, des chants pour la démission du gouvernement, le ministre avait déclaré en public que tous les agents de police qui ne respecteraient pas le code d’éthique seraient licenciés. Les plaignants soutenaient qu’une telle menace violait le droit à la liberté d’association. Toutefois, la Cour a, à la majorité de ses membres, qu’il n’y avait pas eu de violation du droit à la liberté d’association, soulignant que le but consistant à préserver la confiance du public en la police était légitime et que

[l’]objectif était de garantir un comportement approprié de la part de la police et de maintenir la confiance du public en cette dernière. Il s’agit de conditions indispensables pour que la police puisse s’acquitter de sa mission, qui consiste notamment à assurer la sécurité publique, à prévenir les troubles et les délits et à protéger les droits et libertés des citoyens. L’ingérence en question poursuivait donc un but légitime.52Syndicat de la police de la République slovaque et autres c. Slovaquie,CEDH, arrêt du 25 septembre 2012, point 64. (uniquement disponible en anglais) A noter, l’opinion dissidente selon laquelle les menaces exprimées par le ministre avaient bel et bien violé la liberté d’association.

Dans une affaire concernant l’adhésion de membres de la police à un parti politique, la CEDH a conclu que la restriction en cause, qui était définie avec précision par le droit national, n’était pas illégale au vu des limitations possibles au droit à la liberté d’association des membres de la police prévues par la Convention. La Cour a estimé que la « neutralité de la police » constituait un but légitime à protéger, et que la restriction imposée ne privait pas complètement les membres de la police de toute participation à des activités politiques :

Compte tenu du rôle de la police dans la société, la Cour a reconnu qu’avoir des forces de police politiquement neutres constitue un but légitime pour toute société démocratique. Vu l’histoire particulière de certains États contractants, leurs autorités nationales peuvent, pour assurer la consolidation et le maintien de la démocratie, estimer nécessaire de disposer à cette fin de garanties constitutionnelles qui restreignent la liberté pour les policiers d’exercer des activités politiques et, en particulier, de se livrer au débat politique (…). Quant à l’étendue de la restriction (…) bien que le libellé (…) puisse à première vue donner à penser qu’il s’agit d’une interdiction absolue de se livrer à des activités politiques, l’examen des dispositions pertinentes montre que les policiers ont en fait toujours le droit d’exercer des activités leur permettant d’exprimer leurs opinions et préférences politiques.53Rekvényi c. Hongrie, CEDH, arrêt du 20 mai 1999, point 47-49..

La CEDH a confirmé cette approche dans une affaire plus récente concernant l’adhésion d’agents de police à un parti politique. Dans l’affaire Strzelecki c. Pologne, la Cour a indiqué que les États disposaient d’une plus grande marge d’appréciation s’agissant des restrictions imposées à la liberté d’association des officiers de police, et que les approches en la matière variaient d’un pays à l’autre en fonction de ses traditions et de son histoire. La Cour a ainsi conclu que préserver la confiance des citoyens envers une police impartiale constituait un but légitime. Elle a également souligné de nouveau que les restrictions n’équivalaient pas à un déni total de la liberté d’association ou de participation à des activités politiques.54Strzelecki c. Pologne, CEDH, arrêt du 10 avril 2012, points 51, 52, 54, 57. Uniquement disponible en langue française.

Concernant l’armée

D’une façon analogue à la position adoptée concernant la police, la CEDH a conclu que l’interdiction générale des syndicats au sein des forces armées françaises était contraire à la Convention. La Cour a précisé que les États pouvaient imposer des restrictions légitimes. Cependant, lesdites restrictions ne doivent pas constituer un déni du droit à la liberté de former un syndicat à proprement parler.55Adefdromil c. France, CEDH, arrêt du 2 octobre 2014, points 42 à 44. Uniquement disponible en langue française. Point 42 : « Elle [the Court] rappelle également que le paragraphe 2 n’exclut aucune catégorie professionnelle de la portée de l’article 11 ; il cite expressément les forces armées et la police parmi celles qui peuvent, tout au plus, se voir imposer par les États des « restrictions légitimes », sans pour autant que le droit à la liberté syndicale de leurs membres ne soit remis en cause. »Voir également, Matelly c. France,CEDH, arrêt du 2 octobre 2014, points 56 à 58. Les mesures adoptées par les États pour atténuer l’impact de l’absence de syndicats pour l’armée ne sauraient remplacer un tel droit.56Matelly c. France, CEDH, arrêt du 2 octobre 2014, point 70. Uniquement disponible en langue française.

L’OSCE a émis des recommandations pour la protection et la défense du droit à la liberté d’association des membres de l’armée, notamment en ce qui concerne les associations représentatives et l’adhésion aux partis politiques :

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a estimé, dans sa recommandation 1572 (2002), que le Comité des Ministres devrait inciter les gouvernements des États membres à autoriser que les personnels des forces armées s’organisent en associations représentatives (ayant le droit de négocier salaires et conditions de travail), à lever les restrictions sur les droits d’association, à permettre qu’ils soient membres d’un parti politique légal, et à incorporer tous les droits appropriés dans les règlements militaires.

Selon la recommandation 1572 (2002) de l’Assemblée, pour ce qui concerne le personnel des forces armées, la liberté d’association regroupe les droits suivants : droit d’association, y compris le droit de négocier les salaires et les 98 conditions de travail, et le droit d’appartenir à un parti politique. On peut aussi soutenir que les membres des forces armées doivent pouvoir jouir pleinement du droit, quand l’armée n’est pas en opération, de créer des associations particulières destinées à protéger les intérêts professionnels des militaires à l’intérieur du cadre des institutions démocratiques, de s’y affilier et d’y jouer un rôle actif tout en effectuant leurs tâches habituelles. L’Assemblée a réaffirmé sa position dans la recommandation 1742 (2006), et a aussi appelé les États membres à permettre au personnel des forces armées de s’affilier à des groupements professionnels autorisés à négocier, et à créer des organes consultatifs qui regroupent des associations représentant toutes les catégories de personnel.57BIDDH/OSCE, Manuel sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales du personnel des forces armées, chapitre 9 : Syndicats et associations militaires, 2008, page 73. (uniquement disponible en anglais) En 2010, le Comité des Ministres sur les droits de l’homme des forces armées du Conseil de l’Europe a adopté une recommandation reconnaissant expressément le droit d’association, de former des syndicats et d’adhérer à des partis politiques. Les restrictions doivent passer avec succès le test en trois volets.

La liberté d’association comprend aussi bien le droit positif d’association que le droit négatif de refuser de s’associer avec autrui. Le droit international reconnaît que nul ne saurait être contraint d’appartenir à une association.58Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 55.

Les instruments régionaux ont expressément reconnu le droit de ne pas s’associer. Selon l’article 10 de la Charte africaine,

[n]ul ne peut être obligé de faire partie d’une association sous réserve de l’obligation de solidarité prévue à l’article 29. 59CADHP, article 10, paragraphe 2.

De même, la CIDH a noté que

la liberté d’association comprenant un droit et une liberté à l’opinion : le droit de fonder des associations sans d’autres restrictions que celles autorisées au sens des sections 2 [le test en trois volets concernant les restrictions] et 3 [les exceptions admissibles pour les forces armées et la police] de ladite disposition conventionnelle, et la liberté de toutes les personnes de ne pas être contraintes ou forcées d’adhérer à une association.60Baena Ricardo et autres c. Panama, CIDH, arrêt du 2 février 2001, point 159. (uniquement disponible en anglais)

L’avis de 2011 de la Commission de Venise relatif aux droits des associations non enregistrées en Biélorussie décrit le principe comme suit :

Deux principes fondamentaux sous-tendent en fait le droit à la liberté d’association : l’autonomie personnelle, par laquelle une personne est libre d’adhérer à une association ou de ne pas y adhérer (liberté négative) et la liberté des personnes physiques et morales de collaborer volontairement dans le cadre d’une organisation, sans intervention gouvernementale, pour atteindre un objectif commun. La liberté d’association « négative » signifie que nul ne peut être forcé de fonder une association ou d’y adhérer. 61Commission de Venise, Avis sur la compatibilité avec les normes universelles des droits de l’homme de l’article 193-1 du code pénal de la République de Bélarus relatif aux droits des associations non enregistrées, 18 octobre 2011, point 67-68.

Toutefois, une distinction claire a été opérée entre le droit de ne pas adhérer à une association et l’affiliation obligatoire à une association de droit public. La CEDH a jugé que l’affiliation obligatoire ne constituait pas une ingérence dans l’article 11 de la Convention, sous réserve qu’elle concerne une association de droit public poursuivant des buts d’intérêt général, tels que le contrôle public de l’exercice de l’art médical, et pour ce faire, qu’elle utilise des procédés de la puissance publique.62Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, CEDH, arrêt du 23 juin 1981. [Les associations de droit public bénéficient-elles des mêmes protections que les associations de droit privé ?]

 

La CEDH étudie, au cas par cas, la nature « publique » de l’organisation imposant une affiliation obligatoire.63Sigurdur A. Sigurjonsson c. Islande, CEDH, arrêt du 30 juin 1993, point 31.La qualification en droit national ne constitue qu’un simple point de départ.64Chassagnou c. France, CEDH, arrêt du 29 avril 1999, point 100. Dans une affaire où il était question de l’affiliation obligatoire à l’association islandaise de taxis, la Frami, la CEDH a conclu à une violation de la liberté de ne pas s’associer car l’objectif d’intérêt général de l’association aurait pu être atteint par d’autres moyens qu’une affiliation obligatoire :

À n’en pas douter, la Frami jouait un rôle au service non seulement des intérêts professionnels de ses membres, mais aussi de l’intérêt général, et que tout titulaire de licence de son ressort fût tenu d’y adhérer a dû l’aider à remplir sa mission de surveillance. La Cour n’a pourtant pas la conviction que l’obligation en cause fût nécessaire à l’exécution de ces tâches. En effet, le contrôle du respect des dispositions applicables relevait au premier chef du comité (…). Ensuite, l’affiliation ne représentait nullement l’unique moyen concevable de forcer les titulaires de licence à s’acquitter des devoirs et responsabilités qui pouvaient aller de pair avec les fonctions correspondantes ; ainsi, l’exercice efficace de certaines de celles que prévoyait la législation en vigueur (…) n’exigeait pas une affiliation obligatoire.65Sigurdur A. Sigurjonsson c. Islande, CEDH, arrêt du 30 juin 1993, point 41.

La CIDH a, elle aussi, fourni des motifs permettant de déterminer si l’appartenance obligatoire à une association violait la liberté de ne pas s’associer, comme, par exemple, lorsqu’elle porte atteinte aux droits d’autrui, tels que la liberté d’expression. À la demande du gouvernement du Costa Rica, la CIDH a émis un avis consultatif concernant l’appartenance obligatoire à une association prescrite par la loi pour la pratique du journalisme.66Compulsory Membership in an Association, Prescribed By Law for the Practice of Journalism, CIDH, avis consultatif Oc-5/85, 13 novembre 1985. (uniquement disponible en anglais) La demande spécifique portait sur la question de savoir « s’il existe un conflit ou une contradiction entre l’appartenance obligatoire à une association professionnelle en tant que condition nécessaire à la pratique du journalisme en général, et à la réalisation de reportages en particulier, et la liberté de ne pas s’associer ». La CIDH a fait observer que la loi en question (qui aurait contraint les journalistes à adhérer à un « colegio » (association) pour pratiquer le journalisme, limité cette affiliation uniquement à ceux ayant obtenu un diplôme universitaire particulier de spécialisation et imposé des sanctions pénales à ceux qui ne s’y seraient pas conformés) constituait une violation du droit à la liberté d’expression [article 13 de la CADH dans la mesure où elle empêchait ces personnes d’utiliser les médias comme moyen d’expression. La Cour a opéré une distinction entre le journalisme et d’autres professions, car

(l)e journalisme est la manifestation première et principale de la liberté d’expression de la pensée. Pour ce motif, en ce qu’il est lié à la liberté d’expression, qui est un droit inhérent à chaque personne, le journalisme ne saurait être assimilé à une profession se bornant à fournir un service au public dans le cadre de l’utilisation de certaines connaissances ou formations acquises à l’université, ou par l’intermédiaire des personnes ayant adhéré à un certain « colegio » professionnel donné. En conséquence, la pratique du journalisme exige qu’une personne participe à des activités qui définissent ou recouvrent la liberté d’expression garantie par la Convention. Il n’en est pas de même pour ce qui est de la pratique du droit ou de la médecine, par exemple. Contrairement au journalisme, la pratique du droit ou de la médecine (à savoir, les actes accomplis par les avocats ou les médecins) ne constitue pas une activité garantie spécifiquement par la Convention. La Cour conclut donc que les raisons d’ordre public susceptibles d’être valables pour justifier l’affiliation obligatoire d’autres professions ne sauraient être invoquées dans le cas du journalisme, car elles auraient pour effet de priver, à titre permanent, ceux qui ne sont pas des membres de l’association en cause du droit d’exercer pleinement les droits accordés par l’article 13 de la Convention à toute personne. Cette affiliation obligatoire violerait ainsi les principes de base d’un ordre public démocratique, sur lequel la Convention se fonde.67Compulsory Membership in an Association, Prescribed By Law for the Practice of Journalism, CIDH, avis consultatif Oc-5/85, 13 novembre 1985, points 71-3, 76. (uniquement disponible en anglais)

Alors que la CIDH s’est concentrée, dans son avis consultatif, sur le droit à la liberté d’expression, le juge Rafael Nieto-Navia a émis un avis distinct déclarant que le fait de demander aux journalistes d’adhérer à une association afin de pratiquer leur profession violait leur droit de ne pas s’associer. L’argument invoqué par le juge reflétait la logique de la CEDH, selon laquelle il existe une différence entre les associations de journalistes et celles qui « remplissent des buts strictement publics qui dépassent les intérêts privés ».68Compulsory Membership in an Association, Prescribed By Law for the Practice of Journalism, avis séparé du Juge Rafael Nieto-Navia, CIDH, avis consultatif Oc-5/85, 13 novembre 1985. (uniquement disponible en anglais)

Le droit à la liberté d’association s’applique également aux associations elles-mêmes, ce qui signifie que les membres de cette association ont le droit de choisir avec qui ils s’associent. La Commission africaine confirme ce principe69Pour le principe, voir : Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 55.dans ses lignes directrices sur la liberté d’association et sur la liberté de réunion en Afrique, où elle explique ce qui suit :

Ceux qui fondent et appartiennent à une association peuvent choisir qui admettre comme membres, sous réserve de l’interdiction de la discrimination. 70ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, point 8.

De même, la CEDH a déclaré que le droit à la liberté d’association comprenait le droit, pour une association de droit privé, de choisir ses propres membres :

L’article 11 ne saurait être interprété comme imposant aux associations ou aux organisations l’obligation d’admettre dans leurs rangs toute personne souhaitant adhérer. Lorsque des associations sont formées par des personnes qui, épousant certaines valeurs ou certains idéaux, ont l’intention de poursuivre des buts communs, il serait contraire à l’essence même de la liberté en jeu de les empêcher de choisir leurs membres.71Associated Society of Locomotive Engineers & Firemen (ASLEF) c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 27 février 2007, point 39.

La CEDH a toutefois également établi que l’expulsion d’une association peut constituer une violation de la liberté d’association du membre concerné si elle est contraire aux règles de l’association, arbitraire ou entraîne des difficultés exceptionnelles pour la personne concernée.72Lovrić c. Croatia, CEDH, arrêt du 4 avril 2017, points 54, 72. (uniquement disponible en anglais)

Parfoi, il faut trouver un juste équilibre entre les droits de la collectivité et ceux des individus. Dans l’affaire Arenz et autres c. Allemagne, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a fait prévaloir la liberté d’un parti politique de ne pas s’associer aux scientologues sur les droits de ces derniers, qui souhaitaient adhérer audit parti. Les requérants, dans le cadre de cette espèce, étaient des scientologues qui avaient été expulsés de l’un des principaux partis politiques allemands, l’Union démocrate chrétienne (CDU) en raison de leur religion. L’expulsion avait été prononcée à la suite de l’adoption d’une résolution par l’CDU, par laquelle elle déclarait que l’appartenance à l’Eglise de scientologie n’était pas compatible avec le statut de membre de la CDU. Les auteurs de la requête avaient contesté leur expulsion devant les tribunaux nationaux, en vain. Les tribunaux allemands avaient fait valoir que la décision de la CDU n’était pas arbitraire et qu’ils n’entraveraient pas l’autonomie du parti politique concernant le choix de ses membres. Le Comité des droits de l’homme a finalement statué qu’il ne pouvait pas non plus aller à l’encontre des décisions des tribunaux allemands concernant l’équilibre entre les intérêts des auteurs de la requête et ceux des membres du parti susvisé.73Arenz, Paul ; Röder, Thomas et Dagmar c. Allemagne, Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Doc. des Nations Unies CCPR/C/80/D/1138/2002, 24 mars 2004.

Le BIDDH/OSCE et la Commission de Venise, dans leurs lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, stipulent que les associations sont libres de définir leurs conditions d’adhésion, sous réserve toutefois de respecter le principe de non-discrimination.74BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, point 28 (principe 3).

Les États ne sont pas en droit de pénaliser la simple affiliation à une organisation. Outre les conditions qu’un État doit respecter avant d’interdire, de dissoudre ou de suspendre une association [lien vers la suspension ou la dissolution], il doit aussi prouver d’autres affirmations individualisées d’une intention et d’actes criminels de la part de certains de ses membres, afin de respecter les exigences juridiques internationales de procédure établie et le droit individuel à un procès équitable et à ne pas subir une privation arbitraire de liberté.

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a indiqué qu’un État devait démontrer que toute mesure entraînant la sanction de l’appartenance à une association s’avérait strictement nécessaire pour écarter un danger réel pour l’un des buts légitimes qu’un État pourrait poursuivre.75M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2.

L’État partie doit démontrer aussi que l’interdiction de l’association et l’engagement de poursuites pénales contre des particuliers pour leur adhésion à cette association sont véritablement nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique, pour la sécurité nationale et l’ordre démocratique et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif.76M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2.

Selon le Groupe d’étude de ComADHP sur la liberté d’association et de réunion en Afrique :

La seule adhésion à une association ne doit en aucun cas constituer un chef d’accusation pénal : en pratique, ceci est généralement lié à des poursuites non fondées initiées par les autorités contre des associations qu’elles désapprouvent pour des raisons politiques.77ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, III.C.1. (36).

L’affaire International PEN et autres c. Nigéria concernait une série de meurtres à la suite d’un rassemblement du Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (MOSOP), en vue de la protection des personnes vivant dans des zones de production pétrolière sur les terres Ogoni. Certains membres de l’association avaient été arrêtés pour meurtre, au motif qu’ils auraient incité des membres du MOSOP à assassiner quatre leaders Ogoni rivaux. Ils avaient été condamnés à mort et exécutés avant que l’affaire ne soit soumise à la CafDHP par des organisations non gouvernementales. La CafDHP a fait valoir que l’article 10 de la Charte africaine avait été violé, car les personnes susvisées avaient été essentiellement déclarées coupables par le tribunal nigérien du fait de leur appartenance à une association, et non de leur comportement individuel :

(l)’article 10(1) a été violé parce que les victimes ont été jugées et condamnées pour des opinions exprimées dans le cadre de leur travail au MOSOP. Dans son jugement, le tribunal a considéré qu’en leur qualité de membres du MOSOP, les personnes condamnées étaient responsables des meurtres, littéralement coupables par association. En outre, à plusieurs occasions, les autorités gouvernementales ont déclaré, au cours du procès, que MOSOP et les accusés étaient coupables, avant même que le jugement ne soit rendu. Cela montre clairement les préjugés contre cette organisation et le gouvernement ne l’a ni contesté ni tenté de le justifier.78International Pen et autres c. Nigéria, CafDHP, 1998, point 108 ; voir également Malawi Africa Association et autres c. Mauritanie, ComADHP, communication du 27 avril - 11 mai 2000, point 107 : "Des sympathisants supposés du Parti socialiste arabe Ba'ath ont été emprisonnés pour leur appartenance à une association criminelle. Le gouvernement n'a fourni aucun argument établissant la nature ou le caractère criminel de ces groupes."

En outre, les membres d’une association ne devraient pas être pénalement sanctionnés même si un membre de cette dernière a commis un délit, sauf s’ils ont participé eux-mêmes au délit en question. Les lignes directrices de la ComADHP confirment ce principe juridique de base concernant la liberté d’association :

Les délits commis par des membres d’une association ne sauraient servir de prétexte pour pénaliser l’association en tant que telle, si l’organe décisionnel officiel de l’association n’a pas été mis à contribution pour traiter cette a aire. De même, les infractions commises par une association à travers les décisions de ses responsables, par exemple, ne peuvent être attribuées aux membres qui n’ont pas pris part à ces infractions.79ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, point 57.

En vertu du droit international, les obligations de l’État de promouvoir et de protéger la liberté d’association sont au nombre de deux. D’une part, il existe une obligation négative de ne pas entraver les droits [Lien vers les restrictions]. D’autre part, les États ont l’obligation positive de faciliter l’exercice du droit.80Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 63. ; ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 157. (uniquement disponible en anglais)

Les États doivent adopter des mesures pour que les citoyens qui souhaitent se rassembler pour fonder des associations puissent le faire facilement et s’y voient encouragés par le cadre social, juridique et politique général. Un environnement favorable à l’exercice du droit à la liberté d’association devrait être libre de toute crainte, menace ou intimidation.81Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai,Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 63.Il incombe à l’État de prévenir les attaques et d’enquêter sur les violations du droit.82Voir ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 157. (uniquement disponible en anglais) Comme cela a été souligné par des organismes régionaux (comme la CIDH et la CEDH), les obligations de l’État ne sauraient se limiter à la constitution de l’association, mais devraient également s’étendre à la capacité de cette dernière à réaliser les finalités pour lesquelles elle a été créée. La protection conférée par le droit à la liberté d’association s’étend à toute la durée de vie de l’association.83Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie,CEDH, arrêt du 30 janvier 1998, point 33 ; ComIDH,Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc 66, 31 décembre 2011, point 155. (uniquement disponible en anglais)

Dans une affaire afférente à la liberté d’association de défenseurs des droits de l’homme, la CIDH a libellé l’obligation positive comme suit :

La Cour a établi que les États étaient tenus de mettre à disposition des défenseurs des droits de l’homme les moyens nécessaires pour mener leurs activités librement ; de les protéger lorsqu’ils font l’objet de menaces afin d’éviter toute atteinte à leur vie ou à leur sécurité ; de s’abstenir d’imposer des restrictions susceptibles d’entraver la réalisation de leur travail, et de mener des enquêtes sérieuses et effectives concernant toutes violations perpétrées à leur encontre, évitant ainsi l’impunité.84Kawas-Fernández c. Honduras (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 3 avril 2009, point 146 (uniquement disponible en anglais) ; voir également Commission de Venise, Opinion on the Law on Non-Governmental Organisations (Public Associations and Funds) as Amended of the Republic of Azerbaijan, 15 décembre 2014, point 33.

De la même manière, la CEDH affirme que l’obligation positive est nécessaire pour que l’exercice du droit à la liberté d’association puisse être pratique et effectif :

(l)a Cour a souvent souligné que le but de la Convention ne consiste pas à protéger des droits théoriques et illusoires mais concrets et effectifs (…). De ce constat découle qu’un exercice réel et effectif de la liberté d’association ne se limite pas à un simple devoir de non-ingérence de l’État ; une telle conception négative ne cadrerait pas avec le but de l’article 11 ni avec celui de la Convention en général. Il peut ainsi exister des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la liberté d’association. 85Ouranio Toxo et autres c. Grèce, CEDH, arrêt du 20 octobre 2005, point 37.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a souligné que « [à] l’ère du numérique, l’obligation positive de faciliter l’exercice des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association consiste, entre autres, ’’à combler les fossés numériques, notamment le fossé numérique entre les sexes, et à renforcer l’utilisation des technologies de l’information et de la communication, afin de promouvoir la pleine jouissance des droits de l’homme pour tous’’ ».86Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/41/41, 17 mai 2019, point 14.

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a clairement établi les obligations des États de prendre des mesures appropriées pour garantir le respect de leurs obligations dans le cadre du PIDCP, et notamment la nécessité d’adopter la législation pertinente à de tels effets :

  1. En vertu de l’article 2, les États parties doivent prendre des mesures d’ordre législatif, judiciaire, administratif, éducatif et autres appropriées pour s’acquitter de leurs obligations juridiques.
  2. L’obligation énoncée au paragraphe 2 de l’article 2 de prendre des mesures afin de donner effet aux droits reconnus dans le Pacte a un caractère absolu et prend effet immédiatement. Le non-respect de cette obligation ne saurait être justifié par des considérations politiques, sociales, culturelles ou économiques internes.87Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 31 (La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte), CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, 26 mai 2004, point 8.

Ces mesures de régulation s’étendent tout au long du cycle de vie de l’association, des procédures d’enregistrement à l’accès aux ressources jusqu’à la dissolution. Les lignes directrices conjointes publiées par le BIDDH/OSCE et la Commission de Venise précisent les normes devant être respectées en matière de législation et de réglementation, en vue du respect de l’obligation de l’État susvisée :

les dispositions légales applicables aux associations doivent être parfaitement conçues. Elles doivent être claires, précises et certaines, et par ailleurs être adoptées dans le cadre d’un vaste processus inclusif et participatif, de manière à veiller à ce que toutes les parties concernées aient souscrit à leur contenu. Il importe en outre que ces dispositions fassent l’objet d’un examen régulier afin de s’assurer qu’elles continuent à répondre aux besoins des associations, et qu’elles soient adaptées en temps utile afin de refléter l’environnement en constante évolution dans lequel œuvrent les associations, y compris en fonction des progrès en matière de nouvelles technologies et de leur utilisation.88BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, point 22.

Dans l’affaire Kawas-Fernández c. Honduras, la CIDH a non seulement reconnu que les écologistes étaient des défenseurs des droits de l’homme, mais a également affirmé que l’État devait instaurer les conditions juridiques et pratiques permettant l’exercice du droit à la liberté d’association :

Au vu de l’importance du rôle joué par les défenseurs des droits de l’homme dans les sociétés démocratiques, l’exercice libre et plein de ce droit [le droit à la liberté d’association] impose à l’État l’obligation d’instaurer les conditions juridiques et factuelles leur permettant de s’acquitter librement de leur tâche.89Kawas-Fernández c. Honduras (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 3 avril 2009, point 146 (uniquement disponible en anglais) ; voir également Nogueira de Carvalho et autres c. Brésil (objections préliminaires et fond), CIDH, arrêt du 28 novembre 2006, point 77 (uniquement disponible en anglais) ("Les États ont l’obligation de fournir les ressources nécessaires pour permettre aux défenseurs des droits de l’homme de mener librement leurs activités ; de les protéger lorsqu'ils font l’objet de menaces et d’écarter ainsi toute atteinte à leur vie ou à leur sécurité ... .")

Les États ont l’obligation de créer un environnement favorable, sans craintes, menaces ou intimidations, afin de permettre l’exercice du droit à la liberté d’association.90Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 63.

Selon la Déclaration sur les droits des défenseurs des droits de l’homme, les États ont, au premier chef, la responsabilité de créer un environnement dans lequel les gens ne voient pas entravé l’exercice de leurs droits par la menace. Les États doivent

« instaurer les conditions sociales, économiques, politiques et autres ainsi que les garanties juridiques voulues pour que toutes les personnes relevant de sa juridiction puissent, individuellement ou en association avec d’autres, jouir en pratique de tous ces droits et de toutes ces libertés ». 91Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, A.G. Rés. 53/144, 9 décembre 1999 [connue sous le nom de Déclaration sur les droits des défenseurs des droits de l’homme], articles 2 et 12 ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 8.

Plus précisément, les États doivent adopter des mesures pour protéger les personnes des toute menaces ; il s’agit notamment de l’élimination de l’impunité.92Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, A.G. Rés. 53/144, 9 décembre 1999, article 12, point 2 ; voir également Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de la Représentante spéciale du Secrétaire général concernant la situation des défenseurs des droits de l’homme, Hina Jilani,Doc. des Nations Unies A/61/312, 5 septembre 2006, point 101.

Le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association souligne, lui aussi, l’obligation positive de l’État de créer un environnement favorable sans menaces et intimidations, au profit de l’ensemble des associations :

Il est crucial que les personnes qui exercent ce droit puissent agir librement sans craindre de faire l’objet de menaces, d’actes d’intimidation ou de violences, tels qu’exécutions sommaires ou arbitraires, disparitions forcées ou involontaires, arrestations ou placements en détention arbitraires, torture ou peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, campagnes de calomnie dans les médias, interdiction de voyager et licenciement arbitraire (…). 93Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 64.

Un environnement de menace, d’intimidation et d’impunité pourrait non seulement donner lieu à des cas individuels de violations du droit à la liberté d’association, mais avoir également un effet dissuasif général pour ce qui est de l’exercice dudit droit. La CIDH a reconnu spécifiquement que de tels effets dissuasifs constituaient une violation du droit à la liberté d’association.

Dans l’affaire Kawas Fernández c. Honduras, la CIDH a précisé ce qui suit :

les États ont l’obligation de fournir les ressources nécessaires pour permettre aux défenseurs des droits de l’homme de mener librement leurs activités ; de les protéger lorsqu’ils font l’objet de menaces et d’écarter ainsi toute atteinte à leur vie ou à leur sécurité (…).94Kawas-Fernández c. Honduras (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 3 avril 2009, point 145 (uniquement disponible en anglais) ; voir égalementValle-Jaramillo et autres c. Colombie (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 27 novembre 2008, point 91(uniquement disponible en anglais) ; et également Nogueira de Carvalho et autres c. Brésil (objections préliminaires et fond), CIDH, arrêt du 28 novembre 2006, point 77 (uniquement disponible en anglais) (« Les États ont l’obligation de fournir les ressources nécessaires pour permettre aux défenseurs des droits de l’homme de mener librement leurs activités ; de les protéger lorsqu'ils font l’objet de menaces et d’écarter ainsi toute atteinte à leur vie ou à leur sécurité ... ».)

La CIDH reconnaît clairement les effets dissuasifs de l’intimidation et estime que cette dernière restreint le droit à la liberté d’association non seulement d’une personne, mais aussi pour de tout le groupe de personnes ayant des intérêts similaires, comme dans l’affaire Cantoral Huamani et Garcia Santa Cruz c. Pérou :

La diligence raisonnable susvisée se trouve accentuée dans des contextes de violence à l’encontre du secteur syndical. (…) des exécutions telles que celles de la présente espèce ont non seulement restreint la liberté d’association d’un individu, mais également le droit et la liberté d’un groupe particulier de s’associer librement sans crainte (…) cet effet d’intimidation s’est vu accentué et aggravé par le contexte d’impunité entourant l’affaire.95Cantoral Huamani et Garcia Santa Cruz c. Pérou, CIDH, arrêt du 10 juillet 2007, points 146-148. (uniquement disponible en anglais)

L’obligation d’instaurer un environnement favorable comprend également le devoir d’adopter des mesures pour protéger les personnes et les associations vis-à-vis des actes des tiers.96Comité des droits de l’homme des Nations Unies, La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, observation générale n° 31, CCPR/C/21/Rev.1/Add. 1326, 29 mai 2004, point 8. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a indiqué que les États parties :

ne pourront pleinement s’acquitter de leurs obligations positives (…) que si les individus sont protégés par l’État non seulement contre les violations de ces droits par ses agents, mais aussi contre des actes commis par des personnes privées, physiques ou morales, qui entraveraient l’exercice des droits énoncés dans le Pacte.97Comité des droits de l’homme des Nations Unies, La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, observation générale n° 31, CCPR/C/21/Rev.1/Add. 1326, 29 mai 2004, point 8.

Le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a souligné que s’abstenir de prendre des mesures appropriées ou d’exercer la diligence nécessaire pour prévenir et punir de tels actes commis par des acteurs non étatiques, enquêter à leur sujet ou réparer le préjudice qui en résulte peut constituer une violation par un État du droit à la liberté d’association. Cette obligation positive d’éviter les violations consiste notamment à ne pas permettre ou laisser commettre des violations,98Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/32/36, 31 mai 2016, point 25. (uniquement disponible en anglais) et à « établir aux niveaux législatif et réglementaire des garanties protégeant les individus et les collectivités contre le harcèlement par des sociétés privées (par exemple, des industries extractives) ».99Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, Doc. des Nations Unies A/74/349, 11 septembre 2019, point 16.En cas d’ingérence dans les droits, les autorités doivent mettre à disposition des recours adéquats pour garantir ou rétablir l’exercice des droits de l’homme. [Lien vers les recours] Le Rapporteur spécial a spécifiquement noté qu’à l’ère du numérique, « [l’]obligation de protéger impose aux États de prendre des mesures pour éviter que les activités d’acteurs non étatiques, notamment les entreprises, puissent porter atteinte de manière injustifiée à l’exercice des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ».100Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/41/41, 17 May 2019, para. 14.

Les organismes régionaux de défense des droits de l’homme soulignent, eux aussi, les obligations positives de l’État d’éviter l’ingérence des tiers dans le droit.

La CEDH a souligné l’obligation d’un État de fournir une protection vis-à-vis des tiers qui tentent de perturber le droit à la liberté d’association. Dans l’affaire Ouranio Toxo et autres c. Grèce, la Cour a indiqué que les États étaient tenus d’adopter de telles mesures, notamment lorsque l’ingérence était prévisible :101Ouranio Toxo et autres c. Grèce, CEDH, arrêt du 20 octobre 2005, point 43.

(…) il incombe aux autorités publiques de garantir le bon fonctionnement d’une association ou d’un parti politique, même quand ceux-ci heurtent ou mécontentent des éléments hostiles aux idées ou revendications légales qu’ils veulent promouvoir.102Ouranio Toxo et autres c. Grèce, CEDH, arrêt du 20 octobre 2005, point 37.

Dans l’affaire Zhdanov et autres c. Russie, la CEDH a souligné que lorsqu’une organisation de personnes ayant des opinions impopulaires ou appartenant à des minorités demande à être enregistrée, il est du « devoir des … autorités de prendre des mesures raisonnables et appropriées pour permettre aux organisations candidates de mener leurs activités sans avoir à craindre de subir des actes de violence physique de la part de leurs opposants ».103Zhdanov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 16 juillet 2019, points 163-164 (uniquement disponible en anglais)

La ComIDH a, elle aussi, souligné que l’atteinte au droit à la vie, à l’intégrité ou au droit à la vie privée d’un défenseur des droits de l’homme violait également la liberté d’association si ladite personne appartient à une organisation ; la CIDH a énoncé expressément cette obligation des États « dans le cas de ceux qui se sont organisés pour défendre et promouvoir les droits de l’homme ».104ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders, OEA/Ser.L/V/II. Doc. 66, 31 décembre 2011, points 160-161. (uniquement disponible en anglais) La CIDH a expliqué ce qui suit :

la liberté d’association donne lieu également à des obligations positives, telles que celle d’éviter les atteintes à ladite liberté, de protéger ceux qui l’exercent et d’enquêter sur les violations. Ces obligations positives doivent être assumées, même dans la sphère des rapports entre les individus, si le cas le justifie.105Cantoral Huamani et Garcia Santa Cruz c. Pérou, CIDH, arrêt du 10 juillet 2007, point 144. (uniquement disponible en anglais)

Dans une affaire concernant une agression physique perpétrée par des tiers, la CEDH a jugé ce qui suit :

(…) dans le cas d’entraves à la liberté d’association par des actes individuels, il incombe de plus aux autorités compétentes de prendre des mesures efficaces d’enquête.106Ouranio Toxo et autres c. Grèce, CEDH, arrêt du 20 octobre 2005, point 43.

La CIDH a évoqué l’obligation d’enquêter dans plusieurs affaires concernant les meurtres extrajudiciaires d’activistes. Dans l’affaire Cantoral Huamani et Garcia Santa Cruz c. Pérou, la CIDH a conclu que le Pérou avait violé plusieurs articles de la Convention américaine, car le pays n’avait pas adopté de mesures ni mené d’enquêtes effectives concernant les évènements ayant entraîné l’enlèvement et l’assassinat de deux syndicalistes. Evoquant la violation du droit à la liberté d’association, la CIDH a expliqué ce qui suit :

La liberté d’association ne peut être exercée que dans une situation où les droits de l’homme fondamentaux sont pleinement respectés et garantis, notamment le droit à la vie et à la sécurité. La Cour souligne l’obligation de l’État d’enquêter effectivement et faisant preuve d’une diligence raisonnable sur les crimes commis à l’encontre des leaders syndicaux, tout en gardant à l’esprit que l’absence d’enquête sur de tels faits entraîne un effet d’intimidation qui fait obstacle au libre exercice des droits syndicaux.107Cantoral Huamani et Garcia Santa Cruz c. Pérou, CIDH, arrêt du 10 juillet 2007, points 146-148. (uniquement disponible en anglais)

De manière générale, toute restriction à la liberté d’association par un État doit être prévue par la loi, nécessaire et proportionnée par rapport à un but légitime. Les différents instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme qui garantissent la liberté d’association ont en commun le recours à une terminologie et à une jurisprudence similaires. Il existe donc une approche de plus en plus commune en la matière, à l’échelle mondiale.

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a expliqué le champ d’application de l’article 22, paragraphe 2 [sur les restrictions] dans l’affaire Belyatsky c. Bélarus. Il a précisé que toute restriction à la liberté d’association devait satisfaire aux trois conditions suivantes : (1) elle doit être prévue par la loi ; (2) la loi ne peut être imposée que pour protéger la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui, et enfin (3) elle doit être « nécessaire dans une société démocratique ».108Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, points 7.3. Le Comité des droits de l’homme a indiqué que la protection conférée par l’article 22 s’étendait à toutes les activités d’une association.109Korneenko, et autres c. Biélorussie, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/88/D/1274/2004, adoption de vues du 31 octobre 2006. Le cadre juridique et la jurisprudence de la CADHP, de la CIDH et de la CEDH indiquent également que les restrictions à la liberté d’association doivent passer avec succès le même test en trois volets susvisé.110Convention européenne des droits de l’homme, article 11 ; CADHP, article 16 ; voir également Koretskyy c. Ukraine, CEDH, 3 avril 2008, point 43 (uniquement disponible en anglais); Gorzelik c. Pologne, CEDH, 17 février 2004, point 53 ; Sidiropoulos et autres c. Grèce, CEDH, arrêt du 10 juillet 1998, point 32 ; Escher et autres c. Brésil (objections préliminaires, fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 6 juillet 2009, point 173 (uniquement disponible en anglais). Civil Liberties Organisation (pour le compte du Nigerian Bar Association) c. Nigéria, Comm. n° 101/93, CafDHP, arrêt du 22 mars 1995 ; ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, point 24 ;  ComADHP, Note explicative de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur les Lignes directrices sur la liberté d’association telles qu’applicables à la société civile et lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique 4 (2016) ; ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique para. 24. On observe seulement de légères variations dans la terminologie employée dans les conventions et tous les organismes compétents ont adopté le test de la proportionnalité stricte. [Lien vers la proportionnalité]

La Charte africaine déclare que la liberté d’association s’exerce :

(…) sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes.111CADHP, article 11.

De même, la Convention américaine relative aux droits de l’homme n’énonce que l’exercice du droit à la liberté d’association :

(…) ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui, prévues par la loi, sont nécessaires dans une société démocratique dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits ou les libertés d’autrui.112CADH, article 16, paragraphe 2. (uniquement disponible en anglais)

La Convention européenne des droits de l’homme, quant à elle, prévoit que l’exercice du droit à la liberté d’association ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui,

prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.113Convention européenne des droits de l’homme, article 11.

En tout état de cause, lorsqu’un État impose une restriction, c’est sur lui que pèse la charge de la preuve pour établir que ladite restriction a passé avec succès le test en trois volets.114Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Doc. des Nations Unies CCPR/C/115/D/2011/2010, adoption de vues du 29 octobre 2015, point 7.3.

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a expliqué que, pour satisfaire à l’exigence selon laquelle une restriction doit être « prévue par la loi », elle doit être « libellée avec suffisamment de précision pour permettre à un individu d’adapter son comportement en fonction de la règle [53] et elle doit être accessible pour le public ».115Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19 (Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 25.

En outre, pour satisfaire à cette condition, « (l)a loi elle-même doit fixer les conditions dans lesquelles les droits peuvent être limités ».116Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 27 : Article 12 (liberté de circulation),Doc. des Nations Unies CCPR/C/21/Rev.1/Add.9 (1999), point 12.Pour respecter ce principe de légalité, les lois ne doivent pas utiliser de définitions vagues, imprécises ou trop larges pour exposer les motifs retenus pour justifier des restrictions à la liberté d’association.117ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 65. (uniquement disponible en anglais) Enfin, les lois ne peuvent pas conférer des pouvoirs illimités aux personnes chargées de veiller à leur application.118Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19(Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 25.

Les cours africaine, interaméricaine et européenne ont toutes confirmé cette approche dans leurs arrêts.119Voir Tanganyika Law Society, Legal and Human Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, CafDHP, arrêt du 14 juin 2013 ; Kimel c. Argentine (fond, réparation et dépens). CIDH, arrêt du 2 mai 2008, point 63 (uniquement disponible en anglais); Uson Ramirez c. Venezuela (objection préliminaire, fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 20 novembre 2009, point 56 (uniquement disponible en anglais); Koretskyy c. Ukraine, CEDH, arrêt du 3 avril 2008, point 47. (uniquement disponible en anglais)

Des éclaircissements supplémentaires ont parfois été apportés :

(1) Sur l’instrument – la loi

La CIDH a considéré que, dans le contexte des restrictions légitimes aux droits, le terme de « loi » faisait référence à :

une règle générale liée au bien-être de la collectivité, adoptée par des organes législatifs démocratiquement élus établis par la Constitution, et formulée dans le respect des procédures prévues par les constitutions des États parties à de tels effets. 120CIDH, Le vocable "Lois" dans l’article 30 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, Avis consultatif OC-6/86, 9 mai 1986, point 38. (uniquement disponible en anglais)

Les restrictions à la liberté d’association ne peuvent donc être imposées par un décret gouvernemental ou administratif,121ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 165. (uniquement disponible en anglais)sauf si le pouvoir d’émettre ledit décret se fonde lui-même sur une loi satisfaisant aux conditions susmentionnées. La CIDH souligne que toute délégation de ce type doit être autorisée par la Constitution, que l’organe exécutif doit respecter les limites de ses pouvoirs délégués, et qu’elle doit faire l’objet de contrôles effectifs.122CIDH, Le vocable " Lois " dans l’article 30 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, Avis consultatif OC-6/86, 9 mai 1986, point 36. (uniquement disponible en anglais)

La CafDHP a expliqué que ces lois devaient être des lois d’application générale.123Tanganyika Law Society, Legal and Human Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, CafDHP, arrêt du 14 juin 2013, points 107.1, 112-113. Tanganyika Law Society, Legal and Human Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, CafDHP, arrêt du 14 juin 2013, points 107.1, 112-113.

La CEDH adopte une approche quelque peu différente. Elle prend le terme « loi » dans son sens « substantif », et pas nécessairement dans son sens formel. Ainsi, la CEDH inclut à la fois « le droit écrit », comprenant aussi bien des textes de rang infralégislatif que des actes réglementaires pris par un ordre professionnel, par délégation du législateur, dans le cadre de son pouvoir normatif autonome, et le « droit non écrit ». Selon la CEDH, la « loi » doit se comprendre comme englobant le texte écrit et le « droit élaboré par les juges ».124Gülcü c. Turquie, CEDH, arrêt du 19 janvier 2016, point 104. (uniquement disponible en anglais) Références à d’autres affaires dont la CEDH a eu à connaître.

Néanmoins, le principe 9 des lignes directrices conjointes sur la liberté d’association du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise énonce que la loi en question doit également être adoptée dans le cadre d’un processus démocratique, qui garantit la participation et l’examen du public et qui doit être largement accessible.125BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, point 34 (principe 9).

Dans les Lignes directrices sur la règlementation des partis politiques, le BIDDH/OSCE et la Commission de Venise précisent encore que toute restriction à la liberté d’association doit se fonder sur une disposition constitutionnelle ou législative et non pas sur un règlement d’application et doit être également conforme aux instruments internationaux pertinents.126BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la règlementation des partis politiques, 19 mai 2011, point 49. (uniquement disponible en anglais)

(2) Sur la prévisibilité et l’accessibilité

Divers instruments confirment le principe selon lequel, dans la mesure où les gens doivent adapter leur comportement en fonction des lois, l’incidence des lois doit être « prévisible ». Ce principe est souvent lié à la question de l’accessibilité des lois.

Dans son rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, la Commission africaine a précisé que l’expression « prévu par la loi » signifiait que la « loi doit être accessible, et formulée de manière claire et suffisamment précise pour permettre aux individus d’adapter leur comportement ».127ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, point 20.

La CEDH a souvent rappelé que la condition « prévue par la loi » ne signifiait pas uniquement qu’une restriction devait avoir une base en droit interne, mais également qu’elle devait satisfaire aux exigences de base d’accessibilité, de spécificité et de prévisibilité :

La Cour rappelle que les mots « prévues par la loi » figurant aux articles 8 à 11 de la Convention veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en question. La loi doit être accessible pour les personnes concernées, et elle doit être énoncée avec suffisamment de précision pour leur permettre (en s’entourant au besoin de conseils éclairés) de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences qui peuvent découler d’un acte déterminé.128Maestri c. Italie, CEDH, arrêt du 17 février 2004, point 41. Références à de nombreuses autres affaires.

En particulier, pour apprécier la légalité d’une ingérence, et notamment la prévisibilité du droit interne en question, la CEDH a déclaré qu’elle tient compte à la fois « du texte de la loi elle-même et de la manière dont elle a été appliquée et interprétée par » les autorités nationales.129Jafarov et autres c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 25 juillet 2019, point 70 (uniquement disponible en anglais).

Les lois comportant une restriction doivent être adoptées en vue de l’intérêt général et conformément au but pour lequel elles ont été mises en place. En outre, les États ne doivent pas promouvoir de lois et de politiques contenant des « définitions vagues, imprécises et trop larges ».130ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 165. (uniquement disponible en anglais)

(3) Sur le caractère vague et le pouvoir discrétionnaire

La CEDH a systématiquement appliqué le principe inscrit dans l’Observation générale n° 34 du Comité des droits de l’homme,131Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19(Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 25. selon lequel l’expression « prévue par la loi » signifie que la loi doit être libellée avec suffisamment de précision et ne pas conférer aux personnes chargées de son application un pouvoir illimité de décider de la restriction :

Pour répondre à ces exigences, le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention. Lorsqu’il s’agit de questions touchant aux droits fondamentaux, la loi irait à l’encontre de la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique consacrés par la Convention, si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites. En conséquence, elle doit définir l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante. …132Maestri c. Italie, CEDH, arrêt du 17 février 2004, point 41. Références à de nombreuses autres affaires.

Les États ne sont en droit d’imposer des restrictions à la liberté d’association que pour atteindre un nombre limité de buts légitimes. Il s’agit de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques et de protéger les droits et les libertés d’autrui.133Article 22, paragraphe 2 du PIDCP ; article 16, paragraphe 2 de la CADH ; article 11, paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (qui utilise les expressions "défense de l’ordre" et "prévention du crime" au lieu "d'ordre public"). Lorsqu’un État partie invoque un but légitime en tant que motif pour restreindre le droit d’association, il doit démontrer la nature précise de la menace,134Voir, par exemple, M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.3.et donner notamment une définition précise de ladite menace.

Notions essentielles

Dans l’Observation générale n° 34, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a apporté des éclaircissements sur les notions essentielles permettant de décrire les buts légitimes. L’ordre public a trait à l’ensemble des règles qui garantissent le fonctionnement pacifique et efficace de la société, alors que la sécurité nationale concerne l’indépendance politique et/ou l’intégrité territoriale de l’État.135Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19(Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 33.Dans un rapport conjoint, le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements des Nations Unies ont précisé que « (l)’intérêt national, politique ou gouvernemental et la sécurité publique ou l’ordre public ne sont pas synonymes ».136Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, 4 février 2016, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, point 31.

Concernant la moralité publique, le Comité observe que son contenu peut considérablement varier d’une société à l’autre. Néanmoins, il précise que la notion de moralité ne saurait découler exclusivement d’une tradition unique. 137Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19(Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 33. De même, la CEDH a fait valoir à maintes reprises que la démocratie ne signifiait pas simplement que les points de vue de la majorité (ou de la collectivité) devaient l’emporter. Un juste traitement des minorités doit être assuré et il faut éviter, en général, tout abus de positions dominantes.138Voir Young, James et Webster c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 13 août 1981, point 63.Par ailleurs, les intérêts économiques en tant que tels ne font pas partie des intérêts énumérés.139Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/32/36, 10 août 2016, point 33.

Évoquant la lutte contre le terrorisme, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a souligné que les gouvernements ne devaient pas utiliser ces buts/objectifs comme un paravent pour cacher le véritable but des limitations, comme pour justifier des mesures visant à supprimer l’opposition ou soumettre sa population à des pratiques répressives.140Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, Martin Scheinin, Doc. des Nations Unies A/61/267, 16 août 2006, point 20 ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 21 ; ComIDH, Second Report on the situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II doc. 66, 31 décembre 2011, point 167. (uniquement disponible en anglais)

Le besoin de précision

Partout dans le monde, on observe une tendance à la hausse, de la part des États, à abuser des intérêts légitimes susvisés pour restreindre les droits de l’homme, en fondant, par exemple, leurs mesures restrictives sur des interprétations larges des intérêts légitimes ou sur une terminologie vaguement liée à ces derniers. Concernant la sécurité nationale, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a mis notamment en garde vis-à-vis de

l’utilisation d’une notion imprécise de sécurité nationale pour justifier des restrictions invasives à l’exercice des droits de l’homme […]. Cette notion, définie de manière schématique, est donc propice aux manipulations de l’État pour justifier des actions qui ciblent les groupes vulnérables (…). 141Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/40, 17 avril 2013, point 60.

Les arguments avancés doivent donc être précis ; ils ne peuvent être invoqués in abstracto ou en citant des risques imprécis et généraux,142Alekseev c. Fédération de Russie, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/109/D/1873/2009, adoption de vues du 25 octobre 2013, point 9.6. (L'État a fait valoir que le but de la manifestation susciterait une réaction négative et qu’elle risquait de conduire à des troubles de l’ordre public. Le Comité a conclu qu'un « […] risque imprécis et général de contre‑manifestation violente ou la simple possibilité que les autorités ne soient pas en mesure de prévenir ou de neutraliser cette violence ne constitue pas un motif suffisant pour interdire une manifestation »). Voir également M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.3.mais doivent être individualisés et143Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19 (Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 33.utilisés dans un cas particulier144Schumilin c. Bélarus,Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/105/D/1784/2008, adoption de vues du 23 juillet 2012, point 9.4. (le Comité avait considéré que la restriction en cause violait le PIDCP car l'État partie n'avait pas expliqué « comment dans ce cas précis les actes de l’auteur avaient concrètement porté atteinte aux droits ou à la réputation d’autrui, ou constitué une menace pour la sécurité nationale, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques »). ou selon une justification spécifique.145Kim c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/64/D/574/1994, adoption de vues du 4 janvier 1999, point 12.5. Les restrictions à la liberté d’association fondées sur des préoccupations de sécurité nationale doivent par exemple avoir trait à des risques spécifiques posés par l’association. Il ne suffit pas que l’État fasse allusion, de manière générale, à la situation sécuritaire dans une zone donnée.146Voir Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. Turquie, CEDH, arrêt du 8 décembre 1999, points 44 à 48 ;Parti Nationaliste Basque-Organisation Régionale D’Iparralde c. France, CEDH, 7 juin 2007, point 47. Le Comité des droits de l’homme a considéré, à plusieurs reprises, qu’il y avait eu violation au simple motif qu’aucune information pertinente ou aucune information du tout n’avait été donnée par l’État pour justifier l’un des intérêts légitimes invoqués.147Kovalenko c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/108/D/1808/2008, adoption de vues du 17 juillet 2013, point 6. "(E)n l’absence d’explications utiles de la part de l’État partie, les restrictions à l’exercice du droit de l’auteur d’obtenir des informations détenues par des organismes publics ne peuvent pas être réputées nécessaires à la sauvegarde de la sécurité nationale ou de l’ordre public ou au respect des droits et de la réputation d’autrui. Le Comité conclut par conséquent que les droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont en l’espèce été violés (...)." Voir également Nurbek Toktakunov c. Kirghizistan, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/101/D1470/2006, adoption de vues du 28 mars 2011, points 7.7 et V. Evrezov et autres c. Bélarus, Doc. des Nations Unies CCPR/C/112/D/1999/2010, adoption de vues du 10 octobre 2014, points 8.7 à 8.8.

Sécurité nationale et terrorisme – Éviter les abus

Le recours à des mesures de lutte contre le terrorisme en vue de restreindre la liberté d’association n’a cessé d’augmenter dans le cadre des discussions afférentes à la sécurité nationale et publique.

Tout en reconnaissant que la lutte contre le terrorisme constituait un but légitime, les experts juridiques internationaux ont souligné que cet objectif avait aussi été utilisé à mauvais escient comme prétexte pour limiter de façon illégitime la liberté d’association.148Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 21.Le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a noté que si les États se doivent de lutter contre le terrorisme,

(c)ette lutte ne doit jamais être invoquée pour porter atteinte à la crédibilité de l’association concernée, ni pour entraver indument ses activités légitimes. Pour empêcher les organisations terroristes d’utiliser abusivement les associations, les États devraient recourir à d’autres moyens, par exemple leur législation bancaire et leurs lois antiterroristes. À cet égard, les organismes des Nations Unies, notamment ceux qui sont chargés de la lutte contre le terrorisme, ont un rôle clef à jouer et sont moralement responsables de veiller à ce que les réglementations antiterroristes et contre le blanchiment de capitaux ne portent pas atteinte aux droits de l’homme en général, et à la liberté d’association en particulier.149Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 70.

Le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a souligné que les gouvernements ne devaient pas utiliser ces buts/objectifs comme un paravent pour cacher le véritable but des limitations, comme pour justifier des mesures visant à supprimer l’opposition ou soumettre sa population à des pratiques répressives.150Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, Martin Scheinin, Doc. des Nations Unies A/61/267, 16 août 2006, point 20 ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 21. Voir aussi, dans le même sens, ComIDH, Second Report on the situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II doc. 66, 31 décembre 2011, point 167. (uniquement disponible en anglais) Le Rapporteur spécial a indiqué dans un rapport à l’Assemblée générale que « les États ne devraient pas avoir besoin de recourir à des mesures dérogeant aux droits à la liberté de rassemblement et d’association [et que les] mesures limitant ces droits prévues par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [étaient] suffisantes pour lutter de façon efficace contre le terrorisme ».151Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, Martin Scheinin, Doc. des Nations Unies A/61/267, 16 août 2006, point 53.

Le Comité des droits de l’homme du PIDCP a reconnu ce qui précède dans le cadre de son analyse d’une loi russe, « Lutte contre les activités extrémistes », expliquant craindre que « la définition de “ l’activité extrémiste ” (…) ne soit trop vague pour protéger les personnes et les associations contre une application arbitraire ».152Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 40 du Pacte (Observations finales du Comité des droits de l’homme : Fédération de Russie), Doc. des Nations Unies CCPR/CO/79/RUS, 1 décembre 2003, point 20. S’agissant du but légitime constitué par la sécurité nationale, le Comité a également précisé que l’État devait démontrer la nature précise de la menace, 153Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19(Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 33. ainsi que le fait que les restrictions « sont véritablement nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique, pour la sécurité nationale et l’ordre démocratique ».154M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2 ; depuis, le Comité a confirmé une telle position dans Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, 24 juillet 2007, point 7.3.

La ComIDH a affirmé, quant à elle, ce qui suit :

Dans le cas des organisations consacrées à la défense des droits de l’homme, lorsque l’on invoque la sécurité nationale, il n’est pas légitime d’avoir recours à la législation en matière de sécurité ou de lutte contre le terrorisme pour supprimer les activités visant à promouvoir et à protéger les
droits de l’homme. La notion de société civile doit être comprise par les États en des termes démocratiques, de sorte que les organisations dédiées à la défense des droits de l’homme ne fassent pas l’objet de restrictions déraisonnables ou discriminatoires. 155ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas,OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 167. (uniquement disponible en anglais)

But légitime et mesures de surveillance

Dans l’affaire Escher et autres c. Brésil, la CIDH a clairement indiqué que les associations devaient être protégées vis-à-vis des mesures de surveillance, soulignant que ces mesures constituaient une restriction à la liberté d’association. De telles mesures ne peuvent donc être mises en œuvre que lorsque cela s’avère strictement nécessaire, afin de protéger la démocratie et sous réserve que les garanties requises aient été mises en place pour éviter tout abus susceptible d’en découler. Dans l’affaire susvisée, la CIDH a conclu que la surveillance avait été utilisée de manière abusive pour contrôler les activités de l’association concernée :

[L]es forces de sécurité de l’État peuvent être amenées à effectuer des opérations de renseignements autorisées par la loi pour lutter contre la criminalité et protéger l’ordre constitutionnel (…) ces actions sont légitimes lorsqu’elles constituent des mesures strictement nécessaires pour protéger les institutions démocratiques, et sous réserve qu’il existe des garanties adéquates pour prévenir les abus.156Escher et autres c. Brésil, CIDH, arrêt du 6 juillet 2009. (uniquement disponible en anglais)

De même, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a souligné les risques spécifiques pour la liberté d’association posés par le recours à la surveillance :

L’extension des pouvoirs de surveillance a eu parfois des effets insidieux, lorsque des services de police ou de renseignements ont qualifié de terroristes certains groupes afin de pouvoir exercer des pouvoirs de surveillance qui ne leur étaient accordés qu’au titre de la lutte contre le terrorisme. 157Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Martin Scheinin, HRC/13/37, 28 décembre 2009, point 36.

Et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a déclaré que « [l]e recours à des techniques de surveillance aux fins de la surveillance indiscriminée et non ciblée des personnes qui exercent leurs droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association devrait être interdit, tant dans les espaces physiques que dans l’espace numérique ». Le Rapporteur a indiqué que la « [s]urveillance des individus exerçant leurs droits de réunion pacifique et d’association ne peut être menée que de manière ciblée » :

Pour être autorisées, les activités de surveillance ciblées doivent reposer sur des décisions adoptées en toute transparence, être limitées dans le temps, respecter les normes internationales établies en matière de légalité, d’objectif légitime, de nécessité et de proportionnalité, et être soumises à un contrôle indépendant permanent comprenant de solides mécanismes d’autorisation préalable, de contrôle opérationnel et d’examen..158Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, UN Doc. A/HRC/41/41, 17 mai 2019, points 57, 77.

La liberté d’association « est la condition d’une société civile active et d’une vraie démocratie ».159Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée d’étudier la question des défenseurs des droits de l’homme, Hina Jilani, Doc. des Nations Unies A/59/401, points 46 à 47. De même, les associations sont un mécanisme essentiel dans le cadre duquel les citoyens participent au processus démocratique.160Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 8 octobre 2009, point 53.Outre le fait qu’il s’agit d’un droit en tant que tel, la liberté d’association est aussi un droit permettant l’exercice d’autres droits et dont l’existence « est nécessaire pour la démocratie » dont il est « partie intégrante ».161ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 15, point15.Aussi, toute limitation à ce droit doit s’avérer nécessaire dans une démocratie, à savoir, répondre à un besoin social pressant et être proportionnée.

Besoin social impérieux

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a précisé que l’État devait démontrer que les restrictions imposées au droit étaient véritablement nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique.162Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, points 7.3.« Le simple fait qu’il existe des justifications raisonnables et objectives pour limiter le droit la liberté d’association ne suffit pas ».163M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2. En d’autres termes, la mesure adoptée par l’État doit répondre à un besoin impérieux, et elle doit constituer l’option la moins draconienne (en termes de portée, de durée et d’applicabilité) dont les autorités publiques disposent pour satisfaire ce besoin.164M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2.

La Cour africaine, tout comme la CEDH et la CIDH, adopte la même approche :

[L]a jurisprudence sur les limitations à la jouissance des droits a établi le principe que les restrictions doivent être non seulement nécessaires dans une société démocratique, mais aussi raisonnablement proportionelles à l’objectif légitime recherché.165Tanganyika Law Society, Legal and Human Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, CafDHP, arrêt du 14 juin 2013, point 106.1 ; ComADHP,Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 14.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association cite les lignes directrices de l’OSCE pour préciser que la définition de ce qui est nécessaire car constitutif d’un « besoin impérieux » ne peut être interprétée au sens large et être considérée comme l’équivalent de la notion d’« utile » ou de « pratique ». En outre, il ne saurait y avoir de société démocratique sans tolérance, pluralisme et ouverture d’esprit :

Comme l’a souligné l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le terme « nécessité » ne signifie pas « absolument nécessaire » ou « indispensable », mais il n’a pas non plus la souplesse de termes ou expressions tels que « utile » ou « pratique » : il signifie en revanche que l’intervention doit répondre à un « besoin social impérieux ». Lorsqu’un tel besoin social surgit, les États doivent faire en sorte que toute mesure restrictive reste dans les limites de ce qui est acceptable dans une « société démocratique ». À cet égard, la jurisprudence établie de longue date fait valoir qu’il n’y a pas de société démocratique sans « le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture ». Les États ne peuvent donc pas mettre en péril l’existence même de ces attributs lorsqu’ils imposent des restrictions à ces droits. 166Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 17.

En effet, « [n]écessaire dans une société démocratique » signifie également que la restriction ne doit pas porter atteinte aux valeurs démocratiques du pluralisme, de l’ouverture d’esprit et de la tolérance.167Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, Country report Rwanda, A/HRC/26/29/Add.2, 14 avril 2014, point 86(a) ; voir également, Manfred Nowak, UN Covenant on Civil and Political Rights: CCPR Commentary, Article 22, paragraphe 21, p. 394 (1993).La pluralité, en tant que caractéristique essentielle des sociétés démocratiques, est également affirmée par le Comité des droits de l’homme :

 (L)’existence et le fonctionnement d’une pluralité d’associations, y compris d’associations qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, constituent l’un des fondements d’une société démocratique. 168M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2 ; Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, point 7.3 ; Korneenko, et autres c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/88/D/1274/2004, adoption de vues du 31 octobre 2006, point 7.3.

La CafDHP, la CEDH et la CIDH ont toutes souligné, de manière similaire, l’importance des voix d’opposition pour le bon fonctionnement de la démocratie.169Manuel Cepeda Vargas c. Colombie (objections préliminaires, fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 26 mai 2010, point 173 (uniquement disponible en anglais) ; Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 8 octobre 2009, point 53. ("Une interaction harmonieuse entre personnes et groupes ayant des identités différentes est essentielle à la cohésion sociale. Il est tout naturel, lorsqu’une société civile fonctionne correctement, que les citoyens participent dans une large mesure au processus démocratique par le biais d’associations au sein desquelles ils peuvent se rassembler avec d’autres et poursuivre de concert des buts communs") ; Handyside c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 7 décembre 1976, point 49 ;Tanganyika Law Society, Legal and Human Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, CafDHP, arrêt du 14 juin 2013.

 

Le Comité des droits de l’homme a appliqué ces principes dans l’affaire Lee c. République de Corée, et a constaté une violation de l’article 22, car l’État partie n’avait pas démontré la menace spécifique pour sa sécurité nationale et l’ordre démocratique qui aurait justifié l’interdiction d’une organisation et la sanction pénale de ses membres [cliquer ici pour un exposé complet]. Dans le cadre de ladite espèce, il était question de la condamnation d’un étudiant, M. Joeng Eun Lee, en vertu de la loi sur la sécurité nationale de la Corée du Sud, en raison de son appartenance à Hanchongnyeon. Hanchongnyeon était un syndicat étudiant interdit par la Cour suprême de la République de Corée en vertu de la même loi sur la sécurité nationale au motif que ses objectifs semblaient s’aligner sur ceux du gouvernement de la Corée du Nord, de sorte qu’ils constituaient une menace pour la sécurité nationale du pays et l’ordre démocratique. Le Comité a conclu que l’État ne n’avait pas démontré que sa condamnation était nécessaire pour protéger la sécurité nationale, car il n’avait pas établi qu’il était nécessaire d’écarter un danger réel :

Il n’est donc pas suffisant qu’il y ait une justification raisonnable et objective quelconque pour limiter la liberté d’association. L’État partie doit démontrer aussi que l’interdiction de l’association et l’engagement de poursuites pénales contre des particuliers pour leur adhésion à cette association sont véritablement nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique, pour la sécurité nationale et l’ordre démocratique et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif. 170M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2.

Dans ses allégations, la République de Corée a justifié la condamnation en invoquant la nécessité de protéger sa sécurité nationale et son ordre démocratique. Le Comité des droits de l’homme a estimé qu’il y avait eu violation du droit à la liberté d’association :

7.2 (…) «Enfin, le Comité doit déterminer si la condamnation de l’auteur pour son appartenance au Hanchongnyeon a représenté une restriction déraisonnable de sa liberté d’association, et par conséquent une violation de l’article 22 du Pacte. Le Comité note que, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, toute restriction du droit à la liberté d’association, pour être valable, doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes : a) elle doit être prévue par la loi ; b) elle ne peut viser que l’un des buts énoncés au paragraphe 2 ; et c) elle doit être « nécessaire dans une société démocratique » pour la réalisation de l’un de ces buts. La référence à une « société démocratique » indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’une pluralité d’associations, y compris d’associations qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, constituent l’un des fondements d’une société démocratique. Il n’est donc pas suffisant qu’il y ait une justification raisonnable et objective quelconque pour limiter la liberté d’association. L’État partie doit démontrer aussi que l’interdiction de l’association et l’engagement de poursuites pénales contre des particuliers pour leur adhésion à cette association sont véritablement nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique, pour la sécurité nationale et l’ordre démocratique et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif.

7.3 L’auteur a été condamné sur la base des paragraphes 1 et 3 de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale. La question déterminante à examiner est donc de savoir si cette mesure était nécessaire pour la réalisation d’un des buts énoncés au paragraphe 2 de l’article 22. Le Comité note que l’État partie a invoqué la nécessité de protéger la sécurité nationale et l’ordre démocratique du pays contre la menace que représente la République populaire démocratique de Corée. L’État partie n’a cependant pas précisé la nature de la menace que constituerait l’adhésion de l’auteur au Hanchongnyeon. Le Comité relève que la décision de la Cour suprême de la République de Corée, déclarant en 1997 que cette association était un « groupement agissant dans l’intérêt de l’ennemi », s’appuyait sur le paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale qui interdit tout soutien à des associations qui « risquent » de mettre en danger l’existence et la sûreté de l’État ou son ordre démocratique. Il relève aussi que l’État partie et ses tribunaux n’ont pas montré qu’il était nécessaire de sanctionner pénalement l’auteur pour son appartenance au Hanchongnyeon, en particulier après qu’il a fait sienne la « Déclaration commune Nord Sud du 15 juin » (2000), pour écarter un danger réel pesant sur la sécurité nationale et l’ordre démocratique de la République de Corée. Le Comité considère donc que l’État partie n’a pas démontré que la condamnation de l’auteur était nécessaire à la protection de la sécurité nationale ni à aucune autre des fins énoncées au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Il conclut que la restriction du droit de l’auteur à la liberté d’association était incompatible avec les dispositions du paragraphe 2 de l’article 22, et violait donc le paragraphe 1 de l’article 22, du Pacte. 171M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005.

Dans l’affaire Zhdanov et autres c. Russie, les autorités ont refusé d’enregistrer les organisations de promotion des droits LGBT au motif que « les requérants pourraient potentiellement être victimes d’agressions de la part de personnes qui condamnent l’homosexualité ». La CEDH a déclaré que « le rôle des autorités dans de telles circonstances n’est pas de supprimer la cause de tension en éliminant le pluralisme, mais de s’assurer que les groupes rivaux se tolèrent les uns les autres ». En conséquence, la CEDH a conclu que le refus d’enregistrer les organisations candidates n’était pas « nécessaire dans une société démocratique».172Zhdanov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 16 juillet 2019, points 162-165. (uniquement disponible en anglais)

Proportionnalité

Pour satisfaire à l’exigence selon laquelle les restrictions ne peuvent être imposées que si elles sont « nécessaires dans une société démocratique », celles-ci doivent également être proportionnées, c’est-à-dire qu’« elles doivent être appropriées pour remplir leurs fonctions de protection, elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et elles doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger ».173Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 27 : Article 12 (liberté de circulation), Doc. des Nations Unies CCPR/C/21/Rev.1/Add.9, point 14.

La proportionnalité devrait être évaluée en fonction de plusieurs facteurs dont :

La nature du droit en question ; le but de la restriction envisagée ; la nature et l’étendue de la restriction envisagée ; la relation (de pertinence) entre la nature de la restriction et le but qu’elle poursuit ; la présence éventuelle de moyens moins restrictifs permettant d’atteindre le but déclaré dans les circonstances de l’espèce.174BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la règlementation des partis politiques, 19 mai 2011, point 52. (uniquement disponible en anglais)

Selon la même règle, la CEDH a jugé systématiquement que les restrictions vagues et potentiellement applicables à un nombre anormalement élevé de parties, et qui imposent des exigences onéreuses et pesantes aux associations, sont disproportionnées par rapport aux objectifs que l’État est censé poursuivre. En outre, les mesures qui infligent des sanctions punitives excessivement sévères aux associations qui ne respectent pas des formalités juridiques au demeurant raisonnables sont susceptibles d’être disproportionnées.175Voir Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Sabir Israfilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 8 octobre 2009, point 63.De même, des mesures drastiques, telles que la dissolution d’une ONG ou l’interdiction faite à cette dernière de mener à bien son activité principale, ne peuvent être considérées comme proportionnées que dans des cas extrêmes, par exemple lorsqu’une association incite à la violence ou appelle à la destruction de la démocratie.176Voir Refah Partisi (Parti de la prospérité) c. Turquie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 13 février 2003, points 98 á 100.

La CafDHP applique la même règle, tout en précisant que l’analyse de la proportionnalité repose sur une appréciation des « exigences de l’intérêt général » à l’origine de l’ingérence et de la nature de cette dernière. 177Tanganyika Law Society, Legal and Human Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, CafDHP, arrêt du 14 juin 2013, point 106.4.

La ComIDH et la CIDH appliquent, elles aussi, la même règle de proportionnalité et ont établi la pratique de vérifier (dans le cadre du test de proportionnalité) s’il existe effectivement une relation entre le but protégé invoqué et la mesure réelle. Dans l’affaire Escher et autres c. Brésil, la Cour a constaté une violation de la liberté d’association dans la mesure où les mesures de surveillance en cause n’avaient pas servi, dans les faits, le but proclamé d’une enquête pénale. Elle a déclaré ce qui suit :

Bien que l’État affirme que l’interception des communications n’allait pas à l’encontre de la liberté d’association, car elle poursuivait un but légitime (enquêter sur un délit), au vu des pièces du dossier, il n’a pas été démontré que les buts déclarés par les autorités policières dans le cadre de leur demande d’interception téléphonique, à savoir l’enquête sur le décès d’un membre de COANA et le prétendu détournement de fonds publics, étaient vraiment ceux recherchés. […] La Cour note également que dans les résumés des enregistrements, aucun des segments soulignés par les autorités policières n’a de rapport avec l’objectif d’enquête indiqué dans la demande d’interception.178Escher et autres c. Brésil, CIDH, arrêt du 6 juillet 2009, points 174 et 176. (uniquement disponible en anglais)

Plus l’incidence de la restriction pour une société démocratique est grande, plus il est nécessaire de préciser les circonstances particulières requiérant ces restrictions au droit. La proportionnalité nécessite donc un contrôle particulier dans les cas où une association est susceptible d’être interdite ou dissoute [Lien vers la suspension ou la dissolution]. De même, la jurisprudence a indiqué que les restrictions imposées à des associations qui sont essentielles pour une société démocratique, comme les défenseurs des droits de l’homme ou les partis politiques, doivent être particulièrement examinées.

Les mesures d’interdiction ou de dissolution devraient être prises en dernier recours et uniquement utilisées dans les cas de transgressions graves ; elles ne devraient jamais servir à régler des infractions mineures.179BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association,2015, point 114. La ComADHP a confirmé ce principe dans l’affaire Interights et autres c. Mauritanie, dans le cadre de laquelle l’Union des Forces Démocratiques-Ère nouvelle (UFD/EN), un parti politique mauritanien, avait été dissoute par le Premier ministre de la République de Mauritanie. Selon l’État, la mesure avait été imposée à la suite « une série d’actes et de conduites dont se sont rendus coupables les responsables de cette formation politique et qui ont : Porté atteinte à l’image de marque et aux intérêts du pays ; Incité des mauritaniens à l’intolérance et à la violence ; et Provoqué des manifestations qui ont pu compromettre l’ordre, la paix et la sécurité publique ».180Interights et autres c. Mauritanie, ComADHP, juin 2004, point 3. Néanmoins, la Commission a estimé que la dissolution n’était pas proportionnée à la nature des infractions commises car l’État disposait de toute une série d’autres options envisageables, et a donc constaté une violation du droit à la liberté d’association (article 10, paragraphe 1, de la Charte africaine) :

  1. Dans le cas d’espèce, il est évident que la dissolution de l’UFD/EN avait pour but principal d’empêcher les responsables du parti de continuer à se rendre responsables d’actes ou de déclarations ou de prises de positions qui ont, d’après le gouvernement mauritanien, troublé la paix publique et menacé gravement le crédit, la cohésion sociale et l’ordre public dans le pays.
  2. Toutefois, et sans vouloir substituer son appréciation à celle des autorités mauritaniennes, il apparaît à la Commission africaine que lesdites autorités disposaient d’un éventail de sanctions qui auraient pu ne pas conduire à la dissolution de ce parti. Il semble, en effet, que si l’État Défendeur voulait mettre un terme à la « dérive » verbale de l’UFD/EN et éviter la répétition par le même parti de ces comportements interdits par la loi, l’État Défendeur aurait pu faire usage d’une panoplie de mesures efficaces lui permettant, depuis la première incartade de ce parti politique, de contenir cette « menace grave à l’ordre public ».181Interights et autres c. Mauritanie, ComADHP, juin 2004, points 81 á 82.

La ComADHP a reconnu que le harcèlement et la persécution à l’encontre des salariés d’une organisation de défense des droits de l’homme constituait une violation du droit à la liberté d’association.182Huri c. Nigéria, ComADHP, Communication du 23 octobre-6 novembre 2000, points 47 á 48.

Il est bien établi En droit international que le droit à la liberté d’association protège aussi bien les associations enregistrées que celles non enregistrées. [Une association doit-elle être enregistrée pour bénéficier d’une protection ?]. Le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a souligné, à de nombreuses reprises, que le droit à la liberté d’association s’appliquait aux associations informelles ne nécessitait pas qu’un groupe soit enregistré.183Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 56 ; Conseil des droits de l’homme des Nations Unies,Quatrième rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai,Doc. des Nations Unies A/HRC/29/25, 28 avril 2015, point 59.

En fonction du contexte national, l’enregistrement et/ou la personnalité morale peu(ven)t être exigé(e)(s) pour accomplir certaines tâches ou accéder à certains avantages dont les associations pourraient souhaiter bénéficier.

L’enregistrement et l’obtention de la personnalité morale peuvent être (mais ne sont pas nécessairement) la même procédure dans différents systèmes juridiques.184Par exemple : dans certains pays les communautés religieuses officiellement reconnues et enregistrées peuvent jouir de certains avantages (par exemple, leurs dirigeants peuvent être rémunérés par l'État). Dans le même temps, ces communautés religieuses n’ont pas nécessairement une personnalité morale en tant que telle. Néanmoins, les règles et les principes appliqués en droit international aux deux procédures sont

Si les associations souhaitent obtenir la personnalité morale, elles devraient être autorisées à le faire. L’acquisition de la personnalité morale peut être importante pour les associations afin de jouir de droits supplémentaires, tels que les aides publiques, de solliciter des ressources et d’embaucher des salariés. La personnalité morale permet aussi aux associations de répondre à certains besoins, tels que la tenue de comptes bancaires, la signature de contrat ou la propriété ou la location de biens immobiliers.

Le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a confirmé que le droit à la personnalité morale constituait un aspect essentiel de la liberté d’association, et a appelé les États à garantir et à faciliter son acquisition par les associations.185Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 57 ; voir également Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Amicus curiae before the Constitutional Court of Bolivia, 30 avril 2015, point 22. (uniquement disponible en anglais)

La CEDH a systématiquement soutenu que les associations devaient être en mesure d’obtenir la personnalité morale si elles le souhaitaient :

(l)a possibilité pour les citoyens de former une personne morale afin d’agir collectivement dans un domaine d’intérêt commun constitue un des aspects les plus importants du droit à la liberté d’association, sans quoi ce droit se trouverait dépourvu de toute signification.186Gorzelik et autres c. Pologne, CEDH, arrêt du 17 février 2004, point 55.

La Commission interaméricaine souscrit à la même logique,187ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 172. (uniquement disponible en anglais)tout comme les lignes directrices de la Commission africaine.188ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, point 12.

Dans l’affaire Union nationale turque et Kungyun c. Bulgarie – lorsque la demande du requérant d’enregistrer une association a été rejetée au motif que les objectifs déclarés de l’association ne pouvaient être poursuivis que par une entité constituée en parti politique – la CEDH a en outre estimé qu’une association ne saurait être contrainte de prendre une forme juridique qu’elle ne demande pas.189Union nationale turque et Kungyun c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 8 juin 2017, point 161.

Au vu du rôle essentiel que la personnalité morale peut jouer pour permettre aux associations de poursuivre leurs objectifs et de mener leurs activités de manière efficace, les États qui refusent d’enregistrer les associations (ou qui imposent des conditions arbitraires ou onéreuses) peuvent s’avérer faire entrave à la liberté d’association. Comme l’a déclaré la CEDH :

La reconnaissance d’une association comme personne morale étant une composante inhérente de la liberté d’association, le refus d’enregistrement est également pleinement couvert par l’article 22 du PIDCP et par l’article 11 de la CEDH.190Commission de Venise, Avis sur la compatibilité avec les normes universelles des droits de l’homme de l’article 193-1 du code pénal de la République de Bélarus relatif aux droits des associations non enregistrées, 18 octobre 2011.

En général, les États ont recours à deux types de régimes en matière d’enregistrement/de reconnaissance de la personnalité morale d’une association : (i) la notification et (ii) l’autorisation préalable.

Les régimes de la notification offrent un niveau de protection plus élevé de la liberté d’association, et sont considérés comme les meilleures pratiques par les experts juridiques internationaux, y notamment le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association. Dans le cadre du régime de la notification, la personnalité morale d’une association ne dépend pas de l’autorisation de l’État ; les associations acquièrent automatiquement la personnalité morale lorsqu’elles notifient aux autorités leur constitution.191Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 58(e).

Les États qui imposent le régime de l’autorisation préalable ne reconnaissent ou n’accordent la personnalité morale qu’aux associations qui ont déposé une demande et obtenu l’autorisation de l’État.192Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 61.Si les États exigent une autorisation, ils doivent veiller à éviter les conditions arbitraires ou les longs délais pour leur obtention. Le Rapporteur spécial a ainsi appelé les États à suivre les meilleures pratiques pour permettre à la procédure d’être simple, non onéreuse et rapide.193Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 57.

La ComIDH a noté que les États étaient tenus de garantir que les lois et les règlements en la matière soient clairs et sans ambiguïté, et que l’organisme chargé de l’enregistrement ne se réserve pas le droit d’interpréter les dispositions d’une façon susceptible de limiter la liberté d’expression.194ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 172. (uniquement disponible en anglais) La CEDH accepte le recours à certaines procédures formelles, mais suit la même logique. En pratique, la CEDH apprécie systématiquement si les exigences de procédure, ainsi que les délais et les pouvoirs excessivement discrétionnaires, violent le droit à la liberté d’association.195Voir Koretskyy c. Ukraine, CEDH, arrêt du 3 avril 2008, point 48 et points 53 à 55. (uniquement disponible en anglais)

En général, les règles internationales affichent une nette préférence pour la notification, au lieu de l’autorisation. Les lignes directrices de la ComADHP déclarent ce qui suit :

La déclaration relève du régime de notification et non d’autorisation, ce qui laisse présumer l’obtention du statut juridique dès réception de la notification. La procédure de déclaration est normalement simple, claire, non discriminatoire, ni fastidieuse, une formalité ne revêtant pas de caractère discrétionnaire.196ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, point 13.

Le Rapporteur spécial a souligné que durant la période d’attente de la décision d’autorisation, les associations devraient être réputées opérer légalement.197Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 60. Les lignes directrices conjointes sur la liberté d’association du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise reflètent, elles aussi, cette présomption de légalité :

Il convient de présumer de la légalité de la constitution des associations, ainsi que de la légalité de leur création, de leurs objectifs, de leurs actes constitutifs, de leurs buts, de leurs intentions et de leurs activités. Cela signifie que, sauf preuve contraire, l’État doit présumer qu’une association donnée a été constituée de manière légale et adéquate et que ses activités sont légales. Toute mesure à l’encontre d’une association et/ou de ses membres ne peut être prise que si les articles de son instrument fondateur (y compris les actes constitutifs, les statuts et les règlements) sont manifestement illégaux, ou lorsque des activités illégales précises ont été entreprises.

Il convient de veiller au respect de cette présomption même lorsque la législation prévoit qu’un certain nombre d’exigences, telles que des formalités d’enregistrement, doivent être satisfaites pour la création d’une association. Il est cependant important de rappeler qu’une association non enregistrée peut également bénéficier de la protection conférée par l’article 22 du PIDCP et l’article 11 de la CEDH, ainsi que par d’autres instruments internationaux et régionaux qui réaffirment cette liberté.198BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, points 68 á 69.

Les associations ont le droit de s’enregistrer et de constituer une personnalité morale afin d’atteindre leurs objectifs. Lorsqu’un État refuse l’enregistrement d’une association ou la personnalité morale à cette dernière, il doit se conformer au test en trois volets pour restreindre le droit à la liberté d’association.

Dans un arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que le fait, pour les autorités, de ne pas répondre à une demande d’enregistrement dans les délais légaux impartis revient, de facto, à refuser l’enregistrement. En général, selon la CEDH, un retard important dans la procédure d’enregistrement imputable aux autorités constitue une ingérence dans le droit à la liberté d’association.199Ismayilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 17 janvier 2008, point 48 (uniquement disponible en anglais) :"des retards importants dans la procédure d’enregistrement, si imputables au Ministre de la justice, constituent une ingérence dans l’exercice du droit d’association des fondateurs de l’association."

Les tribunaux ont fait valoir que l’incidence sur l’association (et notamment sur sa capacité à poursuivre l’exercice de ses activités) était un facteur clé pour déterminer si les États poursuivaient un but légitime. Dans d’autres affaires, une distinction a été opérée entre le simple soupçon d’illégalité et des actions concrètes qui sont contraires à la loi. Dans plusieurs espèces, les tribunaux n’ont pas retenu l’existence d’une violation de la liberté d’association lorsque l’association concernée aurait pu se conformer aisément aux exigences en matière d’enregistrement et/ou aurait pu poursuivre ses activités malgré le refus d’enregistrement de l’État.

La CEDH a déclaré que les États ne sauraient refuser d’enregistrer ou de reconnaître une association au motif qu’elle était financée par des « étrangers » ou qu’il s’agissait d’une filiale d’une association internationale.200Branche de Moscou de l’Armée du salut c. Russie, CEDH, arrêt du 5 octobre 2006, point 86 ; voir également, Partidul Comunistilor Nepeceristi et Ungureanu c. Roumanie, CEDH, arrêt du 2 février 2005, point 49.

L’incidence sur l’association

Dans plusieurs affaires de premier plan, l’incidence du refus sur l’association a été un élément essentiel pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du droit.

Dans l’affaire Romanovsky c. Bélarus, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a conclu que l’incidence du refus d’enregistrement était grave dans la mesure où il signifiait, en vertu de la législation du Bélarus, que le fonctionnement de l’association était illégal. L’affaire concernait un groupe de retraités qui, à la suite d’un rassemblement, avaient décidé de fonder et d’enregistrer une organisation. Le ministre de la justice avait rejeté leur demande au motif que le rassemblement était illégal et que toutes les décisions adoptées dans son cadre étaient juridiquement nulles. Le Comité des droits de l’homme a considéré que l’État partie n’avait donné aucun argument pour expliquer pourquoi le refus d’enregistrer l’association était nécessaire ou proportionné, soulignant son incidence grave :

Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’enregistrement de l’association a été refusé sur la base d’un certain nombre de motifs exposés par l’État partie, qui doivent être appréciés à la lumière des conséquences en découlant pour l’auteur et son association. Le Comité note également que même si les motifs exposés sont prévus dans la loi pertinente, comme il ressort des documents dont il dispose, l’État partie n’a pas avancé d’arguments montrant en quoi le refus était nécessaire dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui, ni même pourquoi le refus d’enregistrer l’association était une réponse proportionnée aux circonstances. Le Comité note en outre que, dans les décisions des autorités nationales qui ont été communiquées, les autorités, en particulier la Cour suprême, n’ont pas exposé les raisons pour lesquelles il était nécessaire de restreindre le droit de l’auteur à la liberté d’association, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte.

Le Comité fait observer que le refus d’enregistrement a eu pour conséquence directe de rendre illégal le fonctionnement de l’association sur le territoire de l’État partie et d’empêcher l’auteur d’exercer son droit à la liberté d’association.201Romanovsky c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/115/D/2011/2010, adoption de vues du 29 octobre 2015, points 7.3 à 7.5.

De même, dans l’affaire Parti présidentiel de la Mordovie c. Russie, la CEDH a retenu la violation de l’article 11 en raison de l’incidence du refus sur le requérant. Dans le cadre de l’espèce, un parti politique régional avait tenté de renouveler son enregistrement, conformément à une nouvelle loi. La demande avait été rejetée pour des motifs litigieux. Environ trois ans plus tard, la Cour suprême russe a jugé que le parti pouvait être réenregistré. Néanmoins, la loi avait de nouveau changé, empêchant ainsi le parti de participer aux élections régionales. Compte tenu de cette incidence et du préjudice irréparable causé, la CEDH a conclu à l’existence d’une violation de l’article 11 :

dans la mesure où [le requérant] n’a pas pu fonctionner pendant une période considérable et n’a pas pu participer aux élections régionales. En outre, le préjudice causé semble irréparable étant donné que, en vertu de la législation actuellement en vigueur, le parti ne peut pas être reconstitué sous sa forme originale.202Parti présidentiel de la Mordovie c. Russie, CEDH, arrêt du 5 octobre 2004, point 31. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Mouvement pour un Royaume démocratique c. Bulgarie, la ComEDH a considéré que le refus d’enregistrer l’association ne constituait pas une violation de la liberté d’association, car l’association en question pouvait toujours participer à des activités politiques. L’incidence de la restriction ne s’était donc pas avérée disproportionnée :

La Commission rappelle sa jurisprudence selon laquelle le refus des autorités d’enregistrer une association n’implique pas nécessairement une ingérence dans ses droits au sens de l’article 11 (art. 11) de la Convention, si l’association demeure néanmoins libre de poursuivre ses activités (…). La Commission observe qu’une association non enregistrée, telle que celle de la requérante en l’espèce, est autorisée par la loi à participer à des « activités politiques », mais ne peut participer à des élections.203Mouvement pour un Royaume démocratique c. Bulgarie, ComEDH, arrêt du 29 novembre 1995. (uniquement disponible en anglais)

Le soupçon d’intentions ne suffit pas

Le simple soupçon que les véritables intentions ou activités d’une association puissent être illégales ne suffit pas à justifier le refus d’enregistrer ou d’accorder la personnalité morale à une association.

Dans l’affaire emblématique Sidiropoulos c. Grèce, la CEDH a considéré que le refus par les tribunaux grecs d’enregistrer l’association des requérants sur la base de soupçons quant aux véritables intentions des fondateurs de l’association était disproportionné. L’objet de l’association était légitime et clair, à savoir préserver et développer les traditions et la culture folklorique de la région de Florina. La CEDH a ajouté que si les activités avaient soulevé des questions de légalité, elles auraient dû être traitées en temps voulu et non par un refus préventif d’enregistrement :204British Broadcasting Corporation c. Royaume-Uni, ComEDH, décision du 18 janvier 1996 ; Nordisk Film & TV A/S c. Danemark, CEDH, décision du 8 décembre 2005.

l’association, une fois fondée, aurait pu, sous le couvert des buts mentionnés dans ses statuts, se livrer à des activités inconciliables avec ceux-ci. Toutefois, une telle éventualité, (…) à supposer qu’elle fût confirmée, les autorités ne se trouveraient pourtant pas désarmées : en vertu de l’article 105 du code civil, le tribunal de grande instance pourrait ordonner la dissolution de l’association si elle poursuivait par la suite un but différent de celui fixé par les statuts ou si son fonctionnement s’avérait contraire à la loi, aux bonnes mœurs ou à l’ordre public.1. 205Sidiropoulos et autres c. Grèce, CEDH, arrêt du 10 juillet 1998, point 46.

Plus récemment, dans l’affaire Association des victimes des juges roumains et autres c. Roumanie [cliquer ici pour un exposé complet], la CEDH a conclu, de manière similaire, que les simples soupçons d’illégalité concernant les buts ou les activités ne sauraient motiver un refus d’enregistrement. La Cour a considéré que le refus d’enregistrer l’Association des victimes des juges roumains se fondait sur de simples soupçons selon lesquels les véritables intentions des fondateurs de l’association visaient à saper l’autorité du pouvoir judiciaire du pays. La CEDH a conclu que le droit à la liberté d’association avait été violé dans la mesure où le refus n’était pas fondé sur l’illégalité réelle des buts de l’association.

L’affaire concernait des personnes physiques qui souhaitaient créer une association pour promouvoir les intérêts de ceux qui s’estimaient victimes du système judiciaire roumain ; l’association entendait avoir recours à des moyens légaux pour rendre publiques de prétendues injustices, irrégularités ou illégalités, y compris par des actes de protestation légaux.

Les tribunaux nationaux roumains avaient jugé que le refus d’enregistrement était légitime, car le but de l’association allait à l’encontre de la Constitution roumaine (les principes d’un État régi par l’État de droit).

La CEDH a conclu ce qui suit :

« Seules des raisons convaincantes et impérieuses sauraient justifier les restrictions à la liberté d’association. Toutes ces restrictions sont soumises à un contrôle rigoureux (…). En conséquence, pour déterminer l’existence d’une nécessité au sens de l’article 11, paragraphe 2, les États ne disposent que d’une marge d’appréciation limitée, qui va de pair avec un contrôle européen rigoureux, couvrant aussi bien la législation que les décisions qui l’appliquent, y compris celles prononcées par des tribunaux indépendants (…).

La Cour estime que les affirmations des tribunaux nationaux se fondaient sur des simples soupçons concernant les véritables intentions des fondateurs de l’association et sur les activités que cette dernière aurait pu mener une fois en fonctionnement (…).

En outre, la Cour observe que le droit intérieur prévoit la possibilité de dissoudre une association s’il est établi que ses buts sont contraires à l’ordre public ou que ses actes sont contraires aux dispositions de ses articles (…).
Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les raisons invoquées par les autorités pour refuser d’enregistrer l’association requérante n’ont pas été dictées par un « besoin social impérieux », et qu’elles n’étaient ni convaincantes ni pressantes. Par ailleurs, une mesure aussi radicale que le refus d’enregistrement, adoptée avant-même que l’association n’ait commencé à fonctionner, semble disproportionnée par rapport au but poursuivi. 206Association des victimes des juges roumains et autres c. Roumanie, CEDH, arrêt du 14 janvier 2014, points 25, 30, 32, 34. (uniquement disponible en anglais)

La capacité à respecter les exigences

Dans les cas où les requérants auraient pu prendre des mesures raisonnables pour modifier leurs demandes, la CEDH (et avant elle la Commission européenne) a considéré que la procédure d’enregistrement n’était pas excessivement contraignante et n’a donc pas conclu à la violation de la liberté d’association lorsque l’État n’a pas enregistré l’organisation.

L’affaire Mouvement pour un Royaume démocratique c. Bulgarie concernait un parti politique dont la demande d’enregistrement avait été rejetée car sa requête initiale n’était pas conforme aux critères prévus par la législation et que le requérant n’avait pas respecté les instructions des tribunaux lui demandant de rectifier les irrégularités. Les tribunaux bulgares avaient indiqué que des amendements devaient être adoptées lors d’une assemblée générale de l’association, que les requérants n’avaient pas convoquée.

La ComEDH a considéré que le refus d’enregistrer l’association n’était pas une violation de l’article 11, car : (i) l’association pouvait toujours participer à des activités politiques et (ii) elle aurait pu se conformer à la demande de convoquer une assemblée générale :

En outre, la Commission observe que le requérant pouvait, à tout moment, rectifier les omissions de procédure en convoquant une assemblée générale en vue de modifier ses statuts. Cette exigence formelle n’était ni arbitraire, ni un obstacle onéreux.

De plus, la possibilité pour le requérant de soumettre une nouvelle demande d’enregistrement, une fois les exigences pertinentes prévues par la loi respectées, demeurait ouverte.

En conséquence, la Commission estime que le refus des tribunaux bulgares de la demande d’enregistrement du requérant en l’espèce ne constitue pas une ingérence dans ses droits prévus à l’article 11 (article 11) de la Convention.207Mouvement pour un Royaume démocratique c. Bulgarie, ComEDH, arrêt du 29 novembre 1995.

Dans l’affaire Gorzelik et autres c. Pologne [cliquer ici pour un exposé complet], la CEDH a conclu qu’en l’espèce, la législation nationale polonaise prévoyait que le moment approprié pour intervenir était effectivement celui de l’enregistrement et que l’État n’avait pas agi en se fondant sur de simples soupçons. L’affaire concernait le refus des autorités polonaises d’enregistrer une association dénommée « Organisation de la minorité nationale silésienne » et dont le but principal était de renforcer la conscience nationale des Silésiens. En vertu de la législation polonaise, une association reconnue comme une minorité nationale (tel que mentionné dans la dénomination et les documents de constitution de l’association) susciterait automatiquement des privilèges en ce qui concerne le élections. En conséquence, le risque que l’enregistrement soit utilisé pour acquérir un statut particulier en vertu de la loi électorale se poserait automatiquement avec l’enregistrement de l’association. Dans le cas d’espèce, la CEDH a conclu qu’il n’y avait pas eu de violation de l’article 11. Le moment d’agir pour l’État était celui de l’enregistrement. Par ailleurs, les requérants auraient pu modifier les statuts de l’organisation pour en supprimer les dispositions posant problème concernant les ambitions électorales, et ce faisant, elles auraient pu continuer de mener leurs activités culturelles et autres.

Dans l’affaire Gorzelik et autres c. Pologne, la CEDH n’a pas conclu à la violation de l’article 11. La Cour a fait droit à l’argumentation développé par l’État selon laquelle il avait dû agir au moment de l’enregistrement et que, ce faisant, il n’était pas intervenu se fondant sur de simples soupçons.

  1. . L’ingérence dans la jouissance par les requérants de leur liberté d’association qui en est ainsi résultée était principalement motivée par le souci de couper court à l’intention qu’on leur prêtait de revendiquer des privilèges spéciaux au titre de la loi de 1993 sur les élections, en particulier une dispense de l’obligation d’atteindre le seuil de 5 % des suffrages normalement requis pour obtenir des sièges au Parlement et des avantages concernant l’enregistrement des listes électorales. Les requérants soutiennent quant à eux que la restriction dénoncée était prématurée et que les autorités ont pris leurs décisions sur la base de soupçons infondés quant aux véritables intentions qu’ils nourrissaient et de spéculations concernant les activités auxquelles ils se livreraient à l’avenir. Ils soulignent que la présentation de candidats à des élections n’était pas l’un des buts déclarés dans les statuts de leur association (…).
    1. La Cour partira donc de l’idée (…) le risque que l’association et ses membres revendiquent des privilèges électoraux était inhérent à toute décision qui les autoriserait à constituer l’association sans qu’ils modifient au préalable l’article 30 des statuts.
    2. Dans ces conditions, le moment opportun pour écarter le risque de voir se concrétiser les conséquences négatives envisagées et pour mettre ainsi à l’abri d’atteintes les droits d’autres personnes ou entités participant aux élections législatives était celui de l’enregistrement de l’association et non un moment ultérieur. En réalité, en imposant comme condition à l’enregistrement la suppression, à l’article 30 des statuts de l’association, de la mention d’une « organisation d’une minorité nationale », les tribunaux n’ont fait qu’exercer légitimement leur pouvoir de contrôler la légalité des statuts de l’association, y compris celui de refuser toute disposition ambiguë ou trompeuse susceptible d’aboutir à un abus de droit (…).
    3. Toutefois, le degré d’ingérence autorisé par le paragraphe 2 de l’article 11 ne saurait être considéré dans l’abstrait, mais doit être apprécié dans le contexte particulier de l’affaire. Il n’a en aucun cas constitué un déni de l’identité ethnique et culturelle distinctive des Silésiens ou méconnu le but premier de l’association, qui était « d’éveiller et de renforcer la conscience nationale des Silésiens ».208Gorzelik c. Pologne, CEDH, arrêt du 17 février 2004, point 97 et points 102 à 105.

Lorsqu’un État refuse l’enregistrement, il doit fournir un raisonnement clair et garantir l’accès à un contrôle judiciaire de sa décision :

Toute décision rejetant la déclaration ou la demande d’enregistrement doit être clairement motivée et dûment communiquée par écrit au déclarant ou demandeur. Les associations dont les déclarations ou demandes d’enregistrement ont été rejetées devraient avoir la possibilité de contester la décision de rejet devant un tribunal indépendant et impartial. À cet égard, le Rapporteur spécial tient à citer une décision du Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du Travail (OIT), qui a jugé que « [l]’absence de recours auprès d’une instance judiciaire contre le refus éventuel du ministère d’accorder une autorisation pour constituer des syndicats est en violation des principes de la liberté syndicale ».209Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 61.

Le contrôle judiciaire est également essentiel pour garantir que le refus d’enregistrement ne sert pas à limiter la liberté d’association :

Les États devraient garantir le droit d’une association de faire appel de tout refus d’enregistrement. Il est nécessaire de prévoir un moyen de recours efficace et rapide contre tout rejet de demande ainsi qu’un examen judiciaire indépendant concernant les décisions de l’autorité responsable de l’enregistrement afin de faire en sorte que les lois régissant l’enregistrement ne soient pas utilisées comme obstacle au droit à la liberté d’association.210Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Margaret Sekaggya, Doc. des Nations Unies A/64/226, 4 août 2009, point 113.

La liberté d’association exige qu’une association soit libre de déterminer ses propres objectifs, quels qu’ils soient, à condition qu’ils ne soient pas illicites au regard du droit international.

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a clairement affirmé ce principe dans l’affaire Victor Korneenko et autres c. Bélarus, expliquant ce qui suit :

 […] le droit à la liberté d’association ne comprend pas uniquement le droit de créer une association, mais garantit aussi le droit de cette association d’accomplir librement les activités pour lesquelles elle a été créée. La protection conférée par l’article 22 s’étend à toutes les activités d’une association […].211Viktor Korneenko et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/88/D/1274/2004, adoption de vues du 31 octobre 2006.

Ce principe a été confirmé par l’article 16, paragraphe 1, de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, qui stipule que les associations peuvent participer à diverses activités à des fins idéologiques, religieuses, politiques, économiques, professionnelles, sociales, culturelles, sportives ou à toute autre fin.212CADH, article 16, paragraphe 1. De même, la ligne directrice 23 des lignes directrices de la ComADHP dispose que les associations définissent librement leurs objectifs et activités.

La liberté pour déterminer les buts et les objectifs fait donc partie intégrante de la liberté d’association :

Au cœur de la liberté d’association se trouve la possibilité, pour une personne ou un groupe de personnes, de créer librement une association, d’en définir l’organisation et les objectifs légitimes et de mettre ces objectifs en pratique en accomplissant les activités essentielles au fonctionnement de l’association.213Commission de Venise, Avis sur la compatibilité avec les normes universelles des droits de l’homme de l’article 193-1 du code pénal de la République de Bélarus relatif aux droits des associations non enregistrées, 18 octobre 2011, point 65.

Cette liberté s’applique non seulement aux buts, mais également aux activités. Comme l’a souligné la CIDH, la liberté d’association comprend le droit des associations :

à mettre en œuvre leur structure interne, leurs activités et leur programme d’action, sans aucune intervention des autorités publiques susceptible de limiter ou d’entraver l’exercice du droit respectif.214Baena-Ricardo et consorts Panama (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 2 février 2001, point 156 (uniquement disponible en anglais) ; see also Conseil des droits de l’homme des Nations Unies,Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 65.

Les États doivent présumer que les buts et les activités des associations sont légaux.215Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 18.Si un État cherche à imposer des restrictions au droit d’association sur la base de l’objectif d’une association, le motif invoqué doit passer avec succès le même test que n’importe quelle autre mesure restrictive du droit.

La légalité doit être appréciée au sens du droit international, et non pas dans le cadre du droit national. Seuls sont interdits par la loi, toute propagande en faveur de la guerre ou tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence (art. 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) ou tout acte visant à la destruction des droits et des libertés consacrés par le droit international des droits de l’homme (art. 5).216Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 18 ; see also BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, principe 4, point 88.

Aussi bien le Comité des droits de l’homme des Nations Unies que la CEDH ont reconnu l’existence de situations de restrictions légales au vu des objectifs ou des activités d’une association, notamment dans des cas où les buts des associations mettaient en évidence l’intention de renverser un gouvernement démocratique et/ou d’inciter à la violence raciale ou ethnique.

Dans l’affaire MA c. Italie, le Comité des droits de l’homme a conclu à l’irrecevabilité d’une communication soumise au nom et pour le compte d’un fasciste déclaré qui se trouvait en situation de détention car, entre autres, il n’avait pas établi que l’interdiction de la reconstitution du parti fasciste italien par le droit national italien constituait une violation des obligations mises à la charge de l’Italie par le PIDCP. Au lieu de cela, le Comité a observé que les actes pour lesquels le requérant avait été condamné ne bénéficiaient pas de la protection de l’article 5 du PIDCP (actes visant à détruire d’autres droits) et étaient interdits à juste titre en tant que restriction illégitimes, entre autres, aux droits prévus à l’article 22.

Plus récemment, dans l’affaire Vona c. Hongrie [cliquer ici pour un exposé complet], la CEDH a conclu qu’il n’y avait pas eu de violation de l’article 11, dans une espèce concernant l’Association de la Garde hongroise, qui avait fondé à son tour le Mouvement de la Garde hongroise. Parmi ses activités, elle organisait des rassemblements dans les communautés Rom, sur le thème de la « criminalité tsigane », avec des participants portant des brassards similaires à ceux portés par les membres du mouvement des Croix fléchées, un parti nationaliste socialiste de l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Le ministère public avait intenté un recours contre le Mouvement et l’Association, soutenant que leurs activités constituaient des manœuvres d’intimidation à caractère raciste. Les activités spécifiques (désignées par la Cour comme étant des « actes concrets ») avaient joué un rôle dans l’appréciation de cette dernière.

Dans l’affaire Vona c. Hongrie, la CEDH n’a pas conclu à la violation de l’article 11 concernant la dissolution de l’Association de la Garde hongroise, et a déclaré à ce propos ce qui suit :

57… l’État a également le droit de prendre des mesures préventives pour protéger la démocratie face à des entités autres que des partis lorsqu’un préjudice menaçant de manière suffisamment imminente les droits d’autrui risque de saper les valeurs fondamentales sur lesquelles se fonde une société démocratique. L’une de ces valeurs est la coexistence, au sein de la société, des membres qui la composent hors de toute ségrégation raciale ; en effet, on ne peut concevoir une société démocratique dépourvue de cette valeur. (…) l’État a le droit de prendre des mesures préventives s’il est établi que pareil mouvement a commencé à adopter des actes concrets dans la vie publique pour mettre en pratique un projet politique incompatible avec les normes de la Convention et la démocratie.

La CEDH a toutefois conclu a une violation de l’article 11 dans l’affaire Union nationale turque et Kungyun c. Bulgarie, les autorités ayant refusé d’enregistrer une association d’une minorité musulmane, alors que rien ne permettait de penser que l’association préconisait l’usage de la violence ou de moyens antidémocratiques.218Union nationale turque et Kungyun c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 8 juin 2017, points 44-45.

Les associations sont libres de choisir leurs objectifs et leurs buts : les États ne peuvent restreindre les associations même si celles-ci vont à l’encontre des politiques gouvernementales. L’Assemblée générale des Nations Unies a reconnu expressément le droit de critiquer le gouvernement tout particulièrement dans le contexte de la liberté d’association :

Ce droit comporte notamment le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de soumettre aux organes et institutions de l’État, ainsi qu’aux organismes s’occupant des affaires publiques, des critiques et propositions touchant l’amélioration de leur fonctionnement, et de signaler tout aspect de leur travail qui risque d’entraver ou empêcher la promotion, la protection et la réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales.219Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, Doc. des Nations Unies A.G. Rés. 53/144, 9 décembre 1998, point 8.

Les points de vue ou les activités impopulaires ne suffisent pas pour motiver des limitations à ce droit. Le Conseil des droits de l’homme a rappelé que le droit à la liberté d’association :

 est indispensable […], en particulier là où des individus professent des convictions religieuses ou politiques minoritaires ou dissidentes (…). 220Conseil des droits de l’homme, Résolution 15/21, octobre 2010, p. 2.

La Commission de Venise a, elle aussi, réaffirmé expressément ce droit, déclarant que :

l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris de celles qui prônent pacifiquement des idées qui ne plaisent pas nécessairement au gouvernement ou à la majorité de la population, sont l’une des pierres angulaires d’une société démocratique. 221Commission de Venise, Avis sur la compatibilité avec les normes universelles des droits de l’homme de l’article 193-1 du code pénal de la République de Bélarus relatif aux droits des associations non enregistrées, 18 octobre 2011, point 58.

Les lignes directrices de la ComADHP protègent clairement les associations qui critiquent les actions du gouvernement et des agents étatiques:

  1. La liberté d’association garantit, inter alia, la liberté d’expression; la possibilité d’émettre des critiques sur la gestion publique [‘state action’ en anglais] ; la promotion des droits des victimes de discrimination, des communautés marginalisées et socialement vulnérables, y compris les droits de la femme et de l’enfant ; et toute autre démarche permise à la lumière des normes régionales et internationales relatives aux droits humains.
  2. Les États sont appelés à respecter [‘shall respect’en anglais], en droit et en fait, la liberté d’action des associations, notamment comme indiqué ci-dessus, sans menaces, ni harcèlement, ingérence, intimidation, ni représailles quelconques.222ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, points 28-29.

De même, les associations sont en droit de soutenir des objectifs impopulaires aux yeux de la majorité de la population et/ou du gouvernement. Dans une affaire concernant l’homosexualité et la liberté d’expression, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a conclu que l’État n’avait pas montré pourquoi, au vu des faits de la cause, il était nécessaire de restreindre le droit de la requérante d’exprimer son identité sexuelle, de chercher à la faire comprendre et même de discuter avec des enfants de la question de l’homosexualité.223Irina Fedotova c. Russie, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/106/D/1932/2010, point 10.8. Cette espèce concernait une affaire relative à la liberté de réunion, mais les buts légitimes s’appliquent aussi bien au droit d’association qu’à celui de réunion.

Le droit international des droits de l’homme a confirmé à de nombreuses reprises que la liberté d’association comprenait la liberté, pour une association, de déterminer ses propres objectifs. Une association nouvellement constituée peut donc choisir les mêmes objectifs ou des objectifs similaires à ceux d’autres associations déjà existantes. Sachant que les restrictions à la liberté d’association doivent passer avec succès des tests stricts, une simple duplication ne peut justifier le fait d’empêcher une association de fixer ses propres objectifs.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a évoqué ces principes à la suite de sa visite dans le Sultanat d’Oman. Exprimant son inquiétude quant au fait que le pouvoir exécutif dispose d’un pouvoir discrétionnaire incontrôlé pour décider de qui peut fonder et gérer une association, et des sujets sur lesquels les associations peuvent se concentrer, le Rapporteur spécial a souligné tout particulièrement certains cas où des organisations se sont vues refuser l’enregistrement car leur travail était « déjà couvert » par d’autres associations.224Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, sur sa mission à Oman, A/HRC/29/25/Add.1, 27 avril 2015, point 43 ; voir également Déclaration du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association lors de la conclusion de sa visite au Sultanat d’Oman, 13 septembre 2014. Le Rapporteur spécial a de nouveau souligné l’importance de l’indépendance du gouvernement, en tant qu’aspect fondateur du droit à la liberté d’association, déclarant ce qui suit :

(L)e droit est censé permettre aux personnes physiques de se rassembler et d’œuvrer pour leurs intérêts, sous réserve de le faire à des fins licites et pacifiques. Le Rapporteur spécial exhorte le Gouvernement à accorder aux acteurs de la société civile la même liberté pour se constituer qu’aux entreprises, même s’ils travaillent sur des questions identiques. Il semble peu probable (…) que le Gouvernement interdise, par exemple, la création d’un hôtel car il en existe déjà un dans la même zone. Il n’existe pas de raison susceptible de justifier que l’on opère une distinction entre les organisations de la société civile et celles du secteur des affaires, lesquelles sont toutes des acteurs non étatiques.225Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai,sur sa mission à Oman, A/HRC/29/25/Add.1, 27 avril 2015, point 47.

Le Rapporteur spécial a fait une déclaration similaire à l’issue de sa visite dans la République du Kazakhstan et a de nouveau exprimé son inquiétude quant au fait que les associations se voient refuser l’enregistrement au motif qu’il existe déjà des associations similaires.226Déclaration du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association lors de la conclusion de sa visite dans la République du Kazakhstan, 27 janvier 2015.

Dans l’affaire Metodiev et autres c. Bulgarie, la CEDH a jugé inadmissible le refus d’enregistrer une association cultuelle au motif qu’elle n’aurait pas démontré que ses adeptes partagent des convictions distinctes de celles des cultes déjà enregistrés.227Metodiev et autres c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 15 juin 2017, points 45-46.

La liberté d’une association de déterminer ses propres activités comprend la liberté de choisir le lieu où elle mènera ses activités.

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a évoqué cette question dans l’affaire Kungurov c. Ouzbékistan, dans laquelle le ministère de la justice de l’Ouzbékistan avait refusé l’enregistrement d’une organisation dénommée « Démocratie et Droits » invoquant que les éléments fournis par cette dernière en vue de son enregistrement ne démontraient pas qu’elle était physiquement présente dans toutes les régions d’Ouzbékistan, ce qui, d’après l’État, était obligatoire pour les associations publiques. Dans sa décision, le Comité des droits de l’homme a conclu qu’une telle exigence n’était pas conforme aux règles strictes devant être respectées pour restreindre la liberté d’association :

Il note ensuite que l’auteur et l’État partie ne sont pas d’accord sur la question de savoir si la loi ouzbèke exige effectivement une présence physique dans chacune des régions du pays pour pouvoir prétendre au statut d’association publique nationale, ce qui l’autorise à diffuser des informations partout dans le pays. Le Comité estime que même si ces restrictions et d’autres étaient précises et prévisibles et étaient bien prévues par la loi, l’État partie n’a pas avancé d’arguments montrant pourquoi ces restrictions subordonnant l’enregistrement d’une association (…) à l’existence de sections régionales de « Démocratie et Droits » seraient nécessaires, aux fins du paragraphe 2 de l’article 22.228Nikolay Kungurov c. Ouzbékistan, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/102/D/1478/2006, adoption de vues du 20 juillet 2011, point 8.5.

Les associations doivent pouvoir déterminer leurs propres règlements et procédures internes. Cela implique également que les autorités doivent respecter les décisions afférentes à la composition des conseils d’administration, aux élections et aux procédures internes de résolution des conflits, et ne pas s’y immiscer.231Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 65(e).

Dans l’affaire Baena Ricardo et autres c. Panama, la Cour interaméricaine a précisé que le droit à la liberté d’association comprenait le droit :

 de mettre en œuvre leur structure interne, leurs activités et leur programme d’action, sans intervention des autorités publiques susceptible de restreindre ou d’entraver l’exercice du droit respectif.232Baena Ricardo et consorts Panama (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 2 février 2001, point 156 (uniquement disponible en anglais) ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 65.

Dans l’article 36 des lignes directrices, la Commission africaine a affirmé la liberté d’autogestion des associations et recommande entre autres que:

Les associations sont autonomes et libres de décider de leur structure de fonctionnement interne, des règles à observer pour le choix de leurs responsables, des mécanismes de comptabilité interne et des autres questions de gouvernance interne.
Ni la loi, ni la réglementation ne sauraient dicter l’organisation interne des associations, au-delà des dispositions fondamentales consacrant les principes de non-discrimination et de respect des droits.
Les associations ne sont pas tenues d’obtenir la permission des autorités compétentes pour modifier leur structure de fonctionnement interne ou d’autres éléments de leur règlement intérieur.
Les autorités publiques ne sont pas censées intervenir dans le choix des responsables des associations, à moins qu’il ne s’agisse de personnes frappées par la loi nationale d’incapacité à occuper les postes en question pour des motifs légitimes tels qu’interprétés par les normes régionales et internationales relatives aux droits humains.233ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, point 36.

De même, la Commission africaine a confirmé que les États n’étaient pas en droit de s’immiscer dans les affaires internes des associations. Dans une affaire concernant l’Association du Barreau du Nigéria, la Commission a conclu à la violation du droit à la liberté d’association car le gouvernement nigérien avait tenté de déterminer la composition de l’organe d’administration dudit barreau.234Civil Liberties Organisation (au nom du Nigerian Bar Association) c. Nigéria, ComADHP, 25 mars 1995. Voir également la référence dans Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Margaret Sekaggya, Doc. des Nations Unies A/64/226, 4 août 2009, point 34.

Dans l’affaire Civil Liberties Organisation (au nom du Nigerian Bar Association) c. Nigéria, la ComADHP a conclu à la violation du droit à la liberté d’association car l’État avait créé un nouvel organe d’administration de l’Association du Barreau du Nigéria, le « Body of Benchers », presque entièrement composé de membres désignés par le gouvernement, l’Association du Barreau ne pouvant nommer que 31 membres sur 128 :

  1. . L’article 10 de la Charte prévoit que : « Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d’autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi (…) ». La liberté d’association est considérée comme un droit de l’individu mais d’abord et avant tout un devoir de l’État de s’abstenir de s’ingérer dans la libre constitution des associations. Il doit toujours y avoir la possibilité pour les citoyens de s’associer sans aucune ingérence de l’État, en vue de réaliser divers objectifs.
  2. En réglementant la jouissance de ce droit, les autorités compétentes ne devraient pas promulguer des dispositions qui limitent l’exercice de cette liberté. Les autorités compétentes ne devraient pas méconnaître les dispositions constitutionnelles ou saper les droits fondamentaux garantis par la Constitution et les normes internationales des droits de l’homme.
  3. Le Body of Benchers, est dominé par des représentants du gouvernement et jouit d’un grand pouvoir discrétionnaire. Cette ingérence au droit de libre association du Barreau Nigérian n’est pas conforme au préambule de la Charte Africaine et des principes fondamentaux des Nations Unies sur l’indépendance du pouvoir judiciaire et constitue donc une violation de l’article 10 de la Charte Africaine.235Civil Liberties Organisation (au nom du Nigerian Bar Association) c. Nigéria, ComADHP, 25 mars 1995.

De même, la CEDH a conclu que les associations jouissaient de la liberté de déterminer leurs propres règles, dans le cadre d’une affaire relative à l’Associated Society of Locomotive Engineers and Firemen, au Royaume-Uni :

A priori, les syndicats sont libres d’établir leurs propres règles concernant les conditions d’adhésion, y compris les formalités administratives et le versement de cotisations, ainsi que d’autres critères matériels, tels que la profession ou le métier exercés par l’adhérent potentiel. 236Associated Society of Locomotive Engineers & Firemen (ASLEF) c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 27 février 2007, point 38.

En outre, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a précisé que la protection de la vie privée s’étendait aussi aux associations. Dans le cadre de l’exercice de leur droit à la vie privée, les associations devraient pouvoir librement décider de leurs propres affaires internes, et les États ne devraient pas avoir le droit d’y immiscer : de subordonner les décisions et activités de l’association à une quelconque condition ; d’annuler l’élection des membres de son conseil d’administration ; de subordonner la validité des décisions de ce conseil à la présence d’un représentant du gouvernement à la réunion ni de demander qu’une décision soit abrogée (…).237Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, point 65.

Des organes indépendants, instaurés par la loi, peuvent être en droit d’examiner légitimement les actes des associations afin d’assurer la transparence et la responsabilité. Néanmoins, de telles exigences légales devraient être le moins intrusives et restrictives possible, et toute procédure établie à de tels effets doit respecter le droit à la vie privée et ne pas être arbitraire et discriminatoire.238Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, point 65.

D’une manière générale, les associations peuvent défendre les droits des personnes qui n’en sont pas membres. Dans l’ affaire Zvozskov c. Bélarus, la question clé soumise au Comité des droits de l’homme des Nations Unies était de savoir si le Bélarus avait violé les droits à la liberté d’association des requérants en refusant d’enregistrer l’organisation « Helsinki XXI » car celle-ci entendait représenter et défendre les intérêts de citoyens vulnérables qui n’étaient pas « membres » de l’organisation, ce qui était interdit par la législation du pays.

Le Comité a observé que même si de telles restrictions étaient effectivement prévues par la loi, l’État partie n’avait fourni aucun argument justifiant la nécessité de conditionner l’enregistrement d’une association à la limitation du champ de ses activités à la représentation et à la défense des droits de ses membres exclusivement. Le Comité avait ainsi conclu que le refus de reconnaître une organisation qui défendait les intérêts de tiers constituait une restriction inadmissible au droit à la liberté d’association :

Le Comité estime que, même si la législation prévoit effectivement de telles restrictions, l’État partie n’a fourni aucun argument justifiant la nécessité, au sens du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, de conditionner l’enregistrement d’une association à la limitation du champ de ses activités à la représentation et à la défense des droits de ses membres exclusivement. Compte tenu des conséquences du refus d’enregistrement, qui rend illégal le fonctionnement sur le territoire de l’État partie des associations qui n’ont pas été enregistrées, le Comité conclut que le refus d’enregistrement ne satisfait pas aux conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. 239Boris Zvozskov et consorts c Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/88/D/1039/2001, 17 octobre 2006, point 7.4.

La Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme adhère pleinement à ce principe : les gens sont en droit d’œuvrer à la défense et à la promotion des droits de l’homme de tous, et non pas uniquement des membres de leur organisation.240Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus.

Néanmoins, lorsqu’une personne ou une association représente officiellement une autre personne, le consentement de cette dernière s’avère nécessaire.241Voir, par exemple Boris Zvozskov et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/88/D/1039/2001, 17 octobre 2006, le Comité avait conclu que le requérant disposait de la qualité nécessaire pour introduire une réclamation au nom et pour le compte des personnes dont il avait produit des lettres l’autorisant à ce faire et avait rejeté les accusations concernant le reste des personnes désignées dans la réclamation, pour lesquelles le requérant n’avait pas présenté une telle autorisation.

Toute restriction apportée à la dénomination choisie par une association doit passer avec succès le même test en trois volets prévu par le droit international, à savoir : elle doit être prévue par la loi, nécessaire et proportionnée. La CEDH a par exemple jugé que l’utilisation d’un terme particulier dans la dénomination d’une association n’était pas une raison pour refuser son enregistrement. L’association grecque en question avait pour dénomination « Maison de la civilisation macédonienne » et son enregistrement avait été refusé au motif que le terme « macédonienne » pouvait semer la confusion, et cela aussi bien vis-à-vis des États désireux de contacter l’association requérante dans le cadre de l’exercice de ses activités que de toute personne physique souhaitant y adhérer.

Les tribunaux nationaux avaient ajouté qu’il y avait aussi un risque pour l’ordre public puisque l’existence de l’association requérante pourrait être exploitée par tous ceux qui souhaiteraient promouvoir la création d’une « nation macédonienne », qui pour autant n’avait jamais historiquement existé. La CEDH a observé que les objectifs de l’association, tels que définis dans ses documents, étaient légitimes en vertu du droit international et que, par voie de conséquence, il n’y avait pas de raison de ne pas l’enregistrer. La CEDH n’a donc pas fait droit aux restrictions que l’État souhaitait imposer à la dénomination de l’association et a jugé que le défaut d’enregistrement constituait une violation de la liberté d’association.242Maison de la civilisation macédonienne et autres c. Grèce, CEDH, arrêt du 9 juillet 2015, points 27 á 44. Disponible en français.

Bien que la CEDH considère qu’il peut être en principe légitime pour les autorités de veiller à ce qu’une association culturelle qui demande son enregistrement puisse être distinguée des associations préexistantes afin de ne pas induire le public en erreur, elle a appliqué ce principe avec prudence. Dans des décisions récentes dans lesquelles les autorités ont invoqué ce principe pour refuser l’enregistrement, la CEDH a estimé que le nom demandé par l’association requérante était suffisamment spécifique pour la distinguer des associations existantes. 243Metodiev et autres c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 15 juin 2017, points 43-44 ; Archevêché orthodoxe d’Ohrid (Archevêché orthodoxe grec d’Ohrid de la patriarchie Pec) c. l’ancienne République de Macédoine, CEDH, arrêt du 16 novembre 2017, point 111 (uniquement disponible en anglais) (uniquement disponible en anglais) ; Communauté Bektashi et autres c. l’ancienne République de Macédoine, CEDH, arrêt du 12 avril 2018, point 71 (uniquement disponible en anglais).

Les partis politiques sont essentiels pour une démocratie pluraliste. La création et l’adhésion à des partis politiques constitue l’un des moyens les plus courants pour les personnes physiques de participer au dialogue et à la prise de décision publics, ainsi que d’exercer leur droit de « prendre part à la direction des affaires publiques ».244L’article 25 du PIDCP garantit à tout citoyen « le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables :

  1. a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ;
  2. b) de voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs ;
c) d'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays ».

Dans ses Lignes directrices sur la règlementation des partis politiques, la Commission de Venise définit un parti politique comme étant

« une association libre de personnes dont l’un des buts est de participer à la gestion des affaires publiques par le biais de la présentation de candidats à des élections libres et démocratiques ». Les partis politiques sont une plate-forme collective favorisant l’exercice des droits fondamentaux de l’individu en matière d’association et d’expression et ils sont reconnus par la Cour européenne des droits de l’homme comme des acteurs à part entière du processus démocratique. De plus, ils constituent le moyen le plus largement utilisé de participation politique et d’exercice des droits connexes. 245Commission de Venise/OSCE, Lignes directrices sur la règlementation des partis politiques, points 9-10 (2010).

La Commission de Venise y explique aussi ce qui suit :

Bien que la capacité et le statut juridiques d’un parti politique puissent varier d’un État à l’autre, les partis politiques ont des droits et des responsabilités. Même s’ils peuvent être régis par des lois distinctes de celles visant les associations en général, ils conservent au minimum les droits fondamentaux accordés à ces dernières.246Commission de Venise/OSCE, Lignes directrices sur la règlementation des partis politiques, point 27 (2010).

Lorsqu’elle évoque la règlementation par le gouvernement des partis politiques, la Commission note que :

Les réglementations adoptées ne doivent pas affecter indûment les activités ou les droits des partis politiques. En revanche, la législation pertinente doit se concentrer sur la facilitation du rôle des partis en tant qu’acteurs potentiellement essentiels de toute société démocratique et veiller à la protection intégrale des droits garantissant leur bon fonctionnement. Si une loi spécifique pour les partis politiques n’est pas nécessaire, les partis politiques doivent au minimum conserver les mêmes droits fondamentaux que ceux bénéficiant aux autres associations ainsi que le droit de présenter des candidats et de participer aux élections.247British Broadcasting Corporation c. Royaume-Uni, ComEDH, décision du 18 janvier 1996 ; Nordisk Film & TV A/S c. Danemark, CEDH, décision du 8 décembre 2005.

Les partis politiques sont en droit de poursuivre toutes sortes d’objectifs politiques, y compris la modification de la législation et des politiques de l’État, tant qu’ils utilisent des moyens licites effectuent des changements qui ne sont pas contraires aux principes démocratiques fondamentaux.

La CEDH a expliqué, à ce propos, ce qui suit :

un parti politique peut mener campagne en faveur d’un changement de la législation ou des structures légales ou constitutionnelles de l’État à deux conditions : 1) les moyens utilisés à cet effet doivent être à tous points de vue légaux et démocratiques ; 2) le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes démocratiques fondamentaux. Il en découle nécessairement qu’un parti politique dont les responsables incitent à recourir à la violence ou proposent un projet politique qui ne respecte pas une ou plusieurs règles de la démocratie ou qui vise la destruction de celle-ci ainsi que la méconnaissance des droits et libertés qu’elle reconnaît, ne peut se prévaloir de la protection de la Convention contre les sanctions infligées pour ces motifs (…).248Yazar et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 9 avril 2002, point 49.

Dans l’affaire Yatama c. Nicaragua, la CIDH a souligné l’importance des partis politiques qui sont essentiels à la démocratie, ainsi qu’à la protection explicite dont ces derniers bénéficient. Toutefois, elle a constaté que le Nicaragua avait violé la Convention car sa loi électorale : (1) interdisait aux citoyens de se présenter aux élections, sauf s’ils bénéficiaient du soutien d’un parti politique enregistré, et (2) exigeait, pour les élections municipales, que les parties présentent des candidats dans au moins 80 % des municipalités d’un même district. Ces exigences entravaient la possibilité de présenter des candidats pour les communautés autochtones locales.249Yatama c. Nicaragua, CIDH, arrêt du 23 juin 2005, points 215 à 224. (uniquement disponible en anglais) Dans une décision ultérieure, la CIDH a limité la portée de l’arrêt Yatama c. Nicaragua et a accepté que pour les élections fédérales au Mexique, les candidats doivent appartenir à un parti politique.250Castañeda Gutman c. Mexique, CIDH, arrêt du 6 août 2006. (uniquement disponible en anglais)

Les États doivent garantir le droit de fonder des partis politiques et d’y adhérer. Toute interdiction générale portant sur le droit de fonder un parti politique constitue, per se, une violation du droit à la liberté d’association, ainsi que d’autres droits fondamentaux. Dans l’affaire Jawara c. Gambie, par exemple, la ComADHP a conclu à l’existence de violations car le gouvernement avait interdit des partis politiques et interdit par la suite à des fonctionnaires gouvernementaux d’un régime précédent de se présenter aux élections ou d’adhérer à un parti politique, entre autres restrictions :

  1. L’imposition de cette interdiction aux anciens ministres et membres du Parlement constitue une violation de leur droit à participer librement à la direction politique de leur pays tel que reconnu par l’article 13 (1) de la Charte qui dispose que :« tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi ».
  2. De même, l’interdiction des partis politiques est une violation du droit des plaignants à la liberté d’association reconnu par l’article 10 (1) de la Charte. Dans sa décision sur la communication 101/93, la Commission a établi un point de référence en ce qui concerne la liberté d’association, que « les autorités compétentes ne devraient pas édicter des lois qui limitent l’exercice de cette liberté. Les autorités compétentes ne devraient pas outrepasser les dispositions de la Constitution ou amoindrir les règles de droit international ». Et plus important, par sa Résolution relative au droit d’association, la Commission avait précisé que « la réglementation de l’exercice de ce droit à la liberté d’association devrait être conforme aux obligations des États à l’égard de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ».251Sir Dawda K. Jawara c. Gambie, ComADHP, Communication n° 147/95 and 149/96, points 67 á 68 (2000). (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire Lawyers for Human Rights c. Swaziland, la ComADHP a de nouveau estimé que l’interdiction de l’ensemble des partis politiques constituait une violation per se du droit à la liberté d’association.252Lawyers for Human Rights c. Swaziland, ComADHP, Communication n° 251/02, points 60 á 62 (2005).

Un État ne peut interdire que dans de rares cas un parti politique en particulier, si les objectifs et les activités de ce dernier sont totalement aux antipodes de la démocratie et posent un risque grave pour les droits d’autrui, mais de telles restrictions font l’objet d’un contrôle le plus strict.

Un contrôle strict doit être assuré et nulle attribution mensongère ne saurait être avancée concernant les intentions du parti. Dans l’affaire HADEP et Demir c. Turquie, la CEDH a retenu l’existence d’une violation à la suite de la dissolution, par l’État, d’un parti politique car il avait estimé que les critiques publiques de ses membres au sujet de la politique du gouvernement prônaient la violence, alors que l’objectif du parti, tel qu’indiqué dans son programme, était de résoudre les problèmes de manière démocratique.

 Dans l’affaire HADEP et Demir c. Turquie, le Parti pour la démocratie du peuple, « HADEP », plaidait pour « une solution démocratique au problème kurde ». L’HADEP avait été dissout en 2003, à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle turque, qui avait estimé que le parti était devenu un centre d’activités illicites, qui comprenaient notamment l’aide et la complicité au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), illégal. La Cour constitutionnelle avait, en outre, interdit à plusieurs membres du parti HADEP de fonder ou d’adhérer à d’autres partis politiques pendant une durée de cinq ans. La CEDH a conclu à la violation de l’article 11 de la Convention. Elle a considéré que certaines déclarations faites par les membres du parti (qualifiant les interventions des forces de sécurité turques dans le sud-est de la Turquie, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, de « guerre sale ») auxquelles la juridiction turque s’était référée pour conclure que le parti HADEP s’était rendu coupable d’aide au PKK et de complicité avec ce dernier, constituaient des critiques acerbes de la politique gouvernementale mais n’incitaient ni à la violence, ni à la résistance armée ou à l’insurrection. Ces déclarations ne pouvaient donc pas, en tant que telles, constituer une preuve suffisante permettant d’assimiler le parti aux groupes armés qui perpétuent des actes de violence. En outre, la CEDH a fait valoir, en particulier, que les déclarations des membres du HADEP considérant la nation kurde différente de la nation turque devaient être interprétées à la lumière des objectifs indiqués dans son programme, à savoir que le parti avait été créé afin de résoudre les problèmes du pays de manière démocratique. Même si le HADEP plaidait pour le droit à l’auto-détermination des Kurdes, il ne s’agissait pas en soi d’une position contraire aux principes démocratiques et elle ne pouvait être assimilée au fait de soutenir des actes de terrorisme.253HADEP et Demir c. Turquie, CEDH, arrêt du 14 décembre 2010.

Dans l’affaire Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu c. Roumanie [veuillez cliquer ici pour un exposé complet de l’affaire], la CEDH conclu à la violation du droit à la liberté d’association dans une espèce où un État avait refusé d’autoriser l’enregistrement d’un parti communiste. La CEDH a considéré que l’enregistrement avait été refusé uniquement sur la base du programme politique du parti, alors que le programme soulignait en fait l’importance du respect de l’ordre constitutionnel et ne comportait pas de passages appelant à la violence ou rejetant les principes démocratiques.

Dans l’affaire Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu c. Roumanie, le Partidul Comunistilor (Nepeceristi), un parti constitué par des communistes qui n’avaient pas été membres du Parti communiste roumain, « le PCN », avait été constitué en mars 1996. Son enregistrement en tant que parti avait été refusé par les tribunaux roumains dans une décision confirmée en août 1996 au motif qu’il cherchait à conquérir le pouvoir politique afin d’instaurer un « État humain » fondé sur une doctrine communiste, ce qui signifiait qu’il considérait l’ordre constitutionnel et juridique en place depuis 1989 comme inhumain et ne reposant pas sur une réelle démocratie. La CEDH a conclu à la violation de l’article 11 de la Convention. Après analyse des statuts et du programme politique du PCN – sur la seule base desquels les tribunaux roumains avaient rejeté la demande d’enregistrement du parti –, elle a observé que ces textes insistaient sur le respect de la souveraineté nationale, de l’intégrité territoriale et de l’ordre juridique et constitutionnel du pays, ainsi que sur les principes de la démocratie, parmi lesquels le pluralisme politique, le suffrage universel et la libre participation à la vie politique. Ils ne renfermaient aucun passage qui puisse passer pour un appel à la violence, au soulèvement ou à toute autre forme de rejet des principes démocratiques. Ces passages critiquaient effectivement tant les abus de l’ancien parti communiste avant 1989, avec lequel il prenait ses distances, que la politique menée ultérieurement. Cependant, la Cour a estimé qu’une formation politique qui respecte les principes fondamentaux de la démocratie ne peut se voir inquiétée pour le seul fait d’avoir critiqué l’ordre constitutionnel et juridique du pays et d’en vouloir débattre publiquement sur la scène politique. L’expérience du communisme totalitaire en Roumanie avant 1989 ne pouvait à elle seule justifier la nécessité de l’atteinte à la liberté d’association du parti. 254Unité de la presse de la CEDH, Fiche thématique - Partis et associations politiques, (4 octobre 2016), évoquant l’arrêt de la CEDH Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu c. Roumanie (3 février 2005 (emphase ajoutée)). (uniquement disponible en anglais)

Par contre, dans l’affaire Ignatencu et le parti communiste roumain c.Roumanie, la CEDH a déclaré que le refus d’enregistrer le parti requérant – qui se réclamait être le successeur du Parti communiste qui avait régi le pays pendant la période de communisme totalitaire – était justifié. La CEDH a estimé que le refus d’enregistrement avait donc pour finalité de contrer un abus potentiel particulièrement grave aux principes de l’État de droit et aux fondements de la démocratie.255Ignatencu et le parti communiste roumain c. Roumanie, CEDH, arrêt du 5 mai 2020, points 103-104.

Voir également Destruction de la démocratie et incitation à la violence et Suspension ou dissolution des associations.

Bien qu’en général, le droit à la liberté d’association comprenne le droit d’accéder au financement [partis politiques et financements étrangers], y compris des financements de sources étrangères, certaines restrictions à l’accès aux financements étrangers pour les partis politiques (ceux qui se disputent le pouvoir) peuvent passer avec succès le test en trois volets en vertu du droit international et servir à éviter « une influence indue des intérêts étrangers sur les affaires politiques intérieures ».256OSCE/Commission de Venise, Lignes directrices sur la règlementation des partis politiques, point 172. (uniquement disponible en anglais)La CEDH a par exemple maintenu des restrictions à l’accès des partis politiques à des financements en provenance de partis politiques étrangers lorsque le parti national en question avait accès au même mécanisme de financement public que les autres partis politiques du pays et n’était pas en mesure de démontrer une incidence disproportionnée sur sa capacité à mener à bien ses activités. 257Parti nationaliste basque – Organisation régionale d’Iparralde c. France, CEDH, arrêt du 7 juin 2007. Évoquant lesdites règlementations, la Commission de Venise a indiqué que ces restrictions devaient être établies avec prudence afin d’éviter de violer la liberté d’association et a notamment souligné que « le législateur devrait soigneusement mettre en balance la protection des intérêts nationaux d’une part et les droits des individus, des groupes et des associations de coopérer et de partager des informations d’autre part ».258OSCE/Commission de Venise, Lignes directrices sur la règlementation des partis politiques, point 172. (uniquement disponible en anglais)Elle a également souligné le rôle de plus en plus important du soutien étranger pour les personnes physiques, les groupes et les organisations qui défendent les droits de l’homme et les libertés fondamentales, ainsi que la nécessité de règlementations pour éviter de restreindre indûment cette coopération et ce soutien.259OSCE/Commission de Venise, Lignes directrices sur la règlementation des partis politiques, point 172. (uniquement disponible en anglais)

Les organismes régionaux et internationaux ont adopté des résolutions explicites sur le rôle essentiel de la liberté d’association dans le contexte des élections.260Assemblée générale des Nations Unies, Renforcement du rôle des organisations et mécanismes régionaux, sous-régionaux et autres en vue de promouvoir et de consolider la démocratie, A.G. Rés. 59/201 (20 décembre 2004) ; Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (2011).Le Conseil des droits de l’homme a par exemple demandé à tous les États de :

respecter et protéger le droit de réunion pacifique et de libre association dont jouissent tous les individus, y compris en ce qui concerne les élections et les personnes professant des opinions ou des croyances minoritaires ou dissidentes, ou défendant la cause des droits de l’homme, des syndicalistes et de tous ceux, y compris les migrants, qui cherchent à exercer ou promouvoir ce droit, et de faire en sorte que les restrictions éventuellement imposées au libre exercice du droit de réunion et d’association pacifiques soient conformes aux obligations que leur impose le droit international des droits de l’homme.261Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Doc. des Nations Unies A/HRC/RES/15/21, 6 October 2010, point 1.

La protection de la liberté d’association est particulièrement importante dans le contexte des élections compte tenu des vulnérabilités et des risques associés à cette période.262Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/68/299, 7 août 2013, point 15(e).Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a souligné que toutes les associations étaient en droit de participer à des activités électorales, et cela indépendamment de leur caractère ou de leur position, « qu’elles soient apolitiques, compte tenu de leurs moyens et de leur fonctionnement, totalement ou en partie favorables au gouvernement, ou critiques à l’égard des politiques des pouvoirs publics ».263Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/68/299, 7 août 2013, point 46.

Le droit à la liberté d’association est une composante essentielle de la démocratie, qui donne des moyens d’agir aux hommes et aux femmes et revêt donc une importance particulière là où des individus professent des convictions religieuses ou politiques minoritaires ou dissidentes (…). Par conséquent, aucune restriction ne devrait être imposée aux associations au seul motif qu’elles ne partagent pas les opinions des détenteurs du pouvoir.264Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/68/299, 7 août 2013, point 47.

Le Rapporteur spécial a également demandé aux États de relever le seuil d’application de restrictions légitimes aux droits de réunion pacifique et d’association, c’est-à-dire de veiller à ce qu’il soit particulièrement difficile de correspondre aux stricts critères de nécessité et de proportionnalité dans une société démocratique, parallèlement au principe de non-discrimination.265Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/68/299, 7 août 2013, point 58(f).

Le Rapporteur spécial considère que le seuil des critères devrait être relevé en période électorale. Il ne suffit donc pas qu’un État invoque la protection de l’intégrité du processus électoral, la nécessité de garantir des élections non partisanes et impartiales et de préserver la paix et la sécurité pour demander la limitation de ces droits, dans la mesure où les élections représentent un moment crucial où les individus s’expriment sur l’avenir de leur pays.266Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/68/299, 7 août 2013, point 49.

Le droit à la liberté d’association comprend le droit de mobiliser des ressources, y compris des ressources humaines et financières.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a expliqué que le droit à la liberté d’association comprenait la capacité de solliciter et de recevoir, de sources nationales, étrangères et internationales, et d’utiliser, des ressources, humaines, matérielles et financières.267Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 8(e).

Le terme « ressources » englobe à la fois les transferts financiers (donations, dons, contrats, parrainages, investissements sociaux, etc.), les garanties de prêts et autres formes d’aide financière accordée par des personnes physiques ou juridiques, les donations en nature (biens, services, logiciels et autres formes de propriété intellectuelle, biens immobiliers, etc.), les ressources matérielles (fournitures de bureau, matériel informatique, etc.), les ressources humaines (personnel rémunéré, bénévoles, etc.), l’accès à l’aide internationale, la solidarité, la possibilité de voyager et de communiquer sans ingérence indue et le droit de bénéficier de la protection de l’État.268Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 10.

Le droit d’accéder au financement est une composante directe et essentielle du droit à la liberté d’association, comme l’ont confirmé plusieurs sources aux niveaux régional et international.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a consacré un rapport spécifique à l’accès aux ressources et a conclu que la capacité à accéder aux financements et aux ressources était une composante intégrante et essentielle du droit à la liberté d’association, 269Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 8. expliquant à ce propos :

Pour exister et fonctionner efficacement, toute association, aussi petite soit-elle, doit pouvoir solliciter, recevoir et utiliser des ressources. La liberté d’association inclut non seulement la capacité pour des personnes ou des entités juridiques de constituer une association et d’y adhérer mais aussi celle de solliciter et de recevoir, de sources nationales, étrangères et internationales, et d’utiliser, des ressources, humaines, matérielles et financières. 270Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 8.

Nombreuses sont les associations, notamment celles fondées dans le but de défendre les droits de l’homme, qui fonctionnent sous la forme d’entités « à but non lucratif » et qui dépendent donc quasiment exclusivement de sources extérieures de financement pour mener à bien leurs activités. Par conséquent, le fait de restreindre excessivement les ressources dont disposent les associations « a des répercussions sur l’exercice du droit à la liberté d’association et porte atteinte aux droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux dans leur ensemble ».271Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 9.

De la même manière, le Comité des droits de l’homme s’est régulièrement inquiété des restrictions au financement, en tant qu’entrave à la pleine réalisation du droit à la liberté d’association. Après analyse de la législation égyptienne, qui exigeait des ONG percevant des financements étrangers de s’enregistrer auprès du gouvernement, le Comité a par exemple déclaré ce qui suit :

L’État partie devrait revoir sa législation et sa pratique pour permettre aux organisations non gouvernementales d’exercer leurs attributions sans entraves incompatibles avec les dispositions de l’article 22 du Pacte, telles que l’autorisation préalable, le contrôle du financement et la dissolution administrative.272Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observations finales du Comité des droits de l’homme : Égypte, Doc. des Nations Unies CCPR/CO/76/EGY, 28 novembre 2002, point 21.

Dans l’affaire Ramazanova c. Azerbaïdjan, la CEDH a considéré que des mesures de l’État qui entravaient l’accès d’une ONG au financement étaient susceptibles de porter atteinte au droit à la liberté d’association, soulignant ainsi que l’accès aux ressources faisait partie intégrante de la liberté d’association. La Cour a fait valoir ce qui suit :

Même en supposant que, théoriquement, l’association avait le droit d’exister dans l’attente de son enregistrement par l’État, le droit intérieur a effectivement restreint la capacité de l’association à fonctionner correctement sans personnalité morale. Elle ne pouvait, entre autres, percevoir de « subventions » ou de dons financiers, qui constituaient l’une des principales sources de financement des organisations non gouvernementales en Azerbaïdjan. Privée d’un financement approprié, l’association ne pouvait donc pas participer à des activités caritatives, lesquelles étaient sa principale raison d’être. 273Ramazanova c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 1er février 2007, point 59. (uniquement disponible en anglais)

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, la Cour et la Commission interaméricaines des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme ont tous reconnu que la restriction de l’accès aux financements étrangers pouvait constituer une violation du droit à la liberté d’association, consacrant ainsi le principe selon lequel l’accès aux ressources fait partie intégrante du droit à la liberté d’association.

Le droit international a toujours considéré que le droit à la liberté d’association comprenait l’accès aux financements étrangers et que les limitations à un tel accès pouvaient constituer des violations dudit droit.

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a indiqué que les législations égyptienne274Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observations finales du Comité des droits de l’homme : Égypte, Doc. des Nations Unies CCPR/CO/76/EGY, 28 novembre 2002, point 21. et éthiopienne, qui restreignent les financements étrangers, devaient être révisées. La législation éthiopienne interdisait aux ONG du pays de percevoir plus de 10 % de leur budget en provenance de donneurs étrangers.275Au mois de mai 2017, la loi susvisée était encore en vigueur en Éthiopie. La loi en question interdisait également les ONG considérées par le gouvernement comme « étrangères » de participer à des activités de défense des droits de l’homme et de la démocratie :

L’État partie devrait réviser sa législation de façon que toute restriction au droit à la liberté d’association et de réunion soit strictement conforme à l’article 21 et à l’article 22 du Pacte et devrait en particulier réexaminer les restrictions concernant le financement des ONG locales à la lumière du Pacte et autoriser toutes les ONG à travailler dans le domaine des droits de l’homme. L’État partie ne devrait pas exercer de discrimination à l’encontre des ONG dont certains membres résident à l’extérieur des frontières. 276Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Concluding Observations of the Human Rights Committee : Ethiopia,Doc. des Nations Unies CCPR/C/ETH/CO, 19 août 2011, point 25.

Les systèmes européen 277Ramazanova c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 1er février 2007, point 59. (uniquement disponible en anglais) et interaméricain de protection des droits de l’homme ont eux aussi considéré que la restriction de l’accès aux financements étrangers était susceptible de porter atteinte au droit à la liberté d’association d’une ONG.278Ramazanova c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 1er février 2007, point 59. (uniquement disponible en anglais)La ComIDH a indiqué ce qui suit :

[L]e droit de percevoir des financements internationaux dans le cadre de la coopération internationale pour la défense et la promotion des droits de l’homme est protégé par la liberté d’association, et l’État est tenu de respecter ce droit sans quelque restrictions que ce soit allant au-delà de celles permises par le droit à la liberté d’association. 279ComIDH, Democracy and Human Rights in Venezuela, OEA/Ser.L/V/II. Doc. 54, 30 décembre 2009, point 585. (uniquement disponible en anglais)

La Commission interaméricaine a aussi considéré que les restrictions apportées à la perception de « financements internationaux pour défendre les droits politiques » n’étaient pas autorisées par le droit international.280ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 185 (uniquement disponible en anglais) (notant qu’une « situation autre que celle qui vient d’être décrite serait celle dans laquelle une organisation faisait du prosélytisme au nom d'un certain parti politique ou d'un candidat à un poste en particulier. Dans un tel cas de figure, l’activité ne bénéficierait pas de la protection de la règle susvisée »).

Les institutions internationales ont souligné et reconnu particulièrement le droit des associations de protection des droits de l’homme à accéder à des financements étrangers. La Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme indique ce qui suit :

Chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de solliciter, recevoir et utiliser des ressources dans le but exprès de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales par des moyens pacifiques, conformément à l’article 3 de la présente Déclaration. 281Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, Doc. des Nations Unies A.G. Rés. 53/144, 9 décembre 1998, article 13 (dans ce cadre, les États sont censés adopter une législation facilitant, au lieu d’empêcher, la sollicitation, la perception et l’utilisation de ressources.)

La Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies chargée d’étudier la question des défenseurs des droits de l’homme a également indiqué que :

Les gouvernements doivent autoriser les organisations non gouvernementales à accéder aux sources de financement étrangères dans le cadre de la coopération internationale, à laquelle la société internationale peut prétendre de la même manière que les gouvernements. 282Assemblée des Nations Unies, Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies chargée d’étudier la question des défenseurs des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies A/59/401 (2004), point 82 (l).

La résolution 22/6 du Conseil des droits de l’homme engage les États à faire en sorte :

qu’aucune disposition législative ne criminalise ou discrédite les activités de défense des droits de l’homme au motif de l’origine géographique de leur source de financement. 283Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Résolution 22/6, 15 mars 2013, point 9.

L’accès au financement, national ou étranger, faisant partie intégrante du droit d’association, toute restriction apportée à l’accès au financement constitue une restriction au droit à la liberté d’association et doit être appréciée à la lumière du cadre juridique international et respecter donc le régime strict et ad hoc développé par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies en la matière. 284Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, points 7.3. Il est intéressant de noter que l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 16 de la Convention américaine des droits de l’homme appliquent le même test en matière de restrictions à la liberté d’association. [Lien vers le test en trois volets]

La terminologie vague est proscrite

Toute restriction apportée à l’accès par une association au financement, y compris les financements étrangers, doit être rédigée avec précision, afin d’écarter la possibilité d’interprétations arbitraires ou trop larges de ses termes.285Voir Ezelin c. France, CEDH, arrêt du 26 avril 1991, points 21–22, 45.Dans l’affaire Zhechev c. Bulgarie, la CEDH a par exemple considéré que le terme « activité politique » était trop large et ouvert à tellement d’interprétations potentielles que la plupart des activités menées par une organisation pouvaient être considérées comme des activités politiques :

[E]n l’espèce, ces tribunaux [les tribunaux nationaux bulgares] avaient estimé qu’une campagne en faveur de la modification de la Constitution et de la forme de gouvernement relevait de ladite catégorie. Dans une autre affaire récente, les mêmes tribunaux ont estimé, ce qui semble plus contestable, que le fait « d’organiser des réunions, des manifestations, des assemblées et d’autres formes de campagnes publiques » de la part d’une association qui plaidait pour l’autonomie régionale et les droits d’une prétendue minorité constituait aussi des objectifs et des activités politiques au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la Constitution de 1991. 286Zhechev c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 21 juin 2007, point 55. (uniquement disponible en anglais)

Une interdiction totale d’accès aux financements nationaux ou étrangers imposée à des groupes accomplissant des activités, par exemple, de « nature politique », afin de préserver et de protéger un « intérêt national » vague ne satisfait pas aux exigences de légalité et de proportionnalité établies par le droit international.287Voir Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Information note to the Government of India.Analysis on international law, standards and principles applicable to the Foreign Contributions Act 2010 and Foreign Contributions Regulations 2011. (uniquement disponible en anglais)Pour respecter le critère de proportionnalité, la mesure de l’État doit toujours chercher à répondre à un besoin impérieux, et elle doit constituer l’option la moins draconienne (en termes de portée, de durée et d’applicabilité) dont les autorités publiques disposent pour satisfaire ce besoin.288Voir M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2.Les interdictions générales respectent rarement cette règle.

La CEDH a considéré que les restrictions apportées au financement des partis politiques, notamment ceux qui se présentent aux élections, pouvaient être justifiées. Dans l’affaire Parti Nationaliste c. France, un parti politique séparatiste basque en France avait été interdit de percevoir des financements en provenance d’un parti politique étranger. La CEDH a estimé que la restriction imposée aux financements étrangers des associations participant à la promotion des candidats à des charges publiques servait un but légitime et était proportionnée.289Parti Nationaliste Basque-Organisation Régionale D’Iparralde c. France, CEDH, arrêt du 7 juin 2007, point 47.La Cour a souligné que la protection de l’ordre institutionnel (y compris de la souveraineté de l’État) constituait un objectif légitime au sens de l’article 11 de la Convention européenne.290Parti Nationaliste Basque-Organisation Régionale D’Iparralde c. France, CEDH, arrêt du 7 juin 2007, point 43.

La Cour opère une distinction claire entre les partis politiques qui tentent d’arriver au pouvoir et les organisations qui participent à des « activités politiques ». Cette dernière expression est trop vague et donc trop large pour fonder quelque restriction que ce soit au droit à la liberté d’association.291Zhechev c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 21 juin 2007, point 55. (uniquement disponible en anglais)La ComIDH a, elle aussi, fait une distinction entre les restrictions imposées aux financements étrangers des partis politiques et des organisations qui s’expriment au nom d’un parti politique, qui ne bénéficient pas de la même règle de protection, et les autres.292ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 185. (uniquement disponible en anglais)

Protection des intérêts nationaux ?

Les raisons pour lesquelles la liberté d’association peut être restreinte sont déterminées de façon exhaustive par le droit international. [Lien vers les buts légitimes] L’argument général afférent à la « protection des intérêts nationaux » pour restreindre l’accès aux financements étrangers ne constitue pas un but protégé en vertu du droit international. Dans un rapport conjoint, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements ont noté ce qui suit :

Lorsqu’un État invoque la sécurité nationale et la protection de l’ordre public […] L’État ne peut pas se contenter de se référer de manière générale à la situation en matière de sécurité. L’intérêt national, politique ou gouvernemental et la sécurité publique ou l’ordre public ne sont pas synonymes..293Conseil des droits de l’homme, Rapport conjoint du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, point 31.

Dans le même esprit, la CEDH a considéré que les États ne pouvaient refuser d’enregistrer ou de reconnaître une association au motif qu’elle était financée par des « étrangers » ou qu’il s’agissait d’une filiale d’une association internationale.294Branche de Moscou de l’Armée du salut c. Russie, CEDH, arrêt du 5 octobre 2006, point 86 ; voir également, Partidul Comunistilor Nepeceristi et Ungureanu c. Roumanie, CEDH, arrêt du 2 février 2005, point 49.

Dans les intérêts légitimes de transparence et de responsabilité, les États peuvent exiger que certains types d’associations présentent des rapports dans des circonstances particulières. En vertu du droit international, cette obligation d’établissement de rapports ne doit pas être arbitraire ou contraignante. Le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a souligné que les États pouvaient demander des rapports, tout en indiquant ce qui suit :

mais une telle procédure ne devrait pas être arbitraire et elle doit respecter le principe de non-discrimination et le droit à la vie privée, car à défaut elle mettrait en péril l’indépendance des associations et la sécurité de leurs membres.295Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 65.

Le droit à la liberté d’association implique le devoir des États de « protéger les personnes et les associations contre la diffamation, le dénigrement, les contrôles injustifiés et d’autres attaques liées aux fonds qu’elles auraient reçus ».296Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai,Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 37.

La Commission de Venise et le BIDDH/OSCE ont également publié des lignes directrices soulignant que les exigences en matière de production de rapports ne devaient pas « représenter une charge excessive et devaient être proportionnées à la taille de l’association et à l’étendue de ses activités, tout en tenant compte de la valeur de ses actifs et de ses revenus ».297BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, point 104 Un avis conjoint sur la République du Kirghizstan a également prévenu que des obligations d’information trop contraignantes pouvaient entraver l’exercice de la liberté des associations :

Des obligations trop contraignantes ou onéreuses peuvent créer un environnement de contrôle excessif de l’État sur les activités des organisations non commerciales. Un tel environnement serait peu propice à la jouissance effective de la liberté d’association. Les obligations d’information ne doivent pas faire peser une charge excessive sur les organisations.298Commission de Venise et BIDDH/OSCE, Joint Interim Opinion on the Draft Law amending the Law on non-commercial Organisations and other legislative Acts of the Kyrgyz Republic, 16 octobre 2013, point 69.

Dans l’affaire Cumhuriyet Halk Partisi c. Turquie, la CEDH a considéré que les mécanismes d’inspection financière ne devaient pas être utilisés de façon abusive à des fins politiques :

[P]our éviter l’abus du mécanisme d’inspection financière à des fins politiques, une règle exigeante de « prévisibilité » doit être appliquée aux lois qui encadrent l’inspection des finances des partis politiques, tant pour ce qui est des exigences spécifiques imposées que pour les sanctions auxquelles le non-respect de ces dernières donne lieu.299Cumhuriyet Halk Partisi c. Turquie, CEDH, arrêt du 26 avril 2016, point 88. (uniquement disponible en anglais)

Les lignes directrices (47-49) de la ComADHP évoquent les paramètres afférents aux obligations d’information et soulignent les conditions dans lesquelles l’exigence de production de rapports peut être considérée comme n’étant pas contraignante, y compris la limitation à un rapport annuel auprès d’un seul organe. Quelques extraits :

S’il y a lieu de rendre compte, les normes à observer doivent être simples et non trop contraignantes.
Les normes de présentation de rapport font, dans leur intégralité, l’objet d’une réglementation unique et il est prévu de faire rapport à un seul organisme public

Les normes de présentation de rapport n’exigent pas d’amples détails, mais visent plutôt à assurer une gestion financière rigoureuse.

Le rapport à présenter ne saurait servir à restreindre, ni attaquer une association donnée.

L’audit d’une association à but non lucratif ne saurait, en aucune manière, être plus contraignant qu’il ne l’est pour une association à but lucratif de taille comparable.

Les exigences de production de rapports ne doivent pas être utilisées comme un moyen afin de restreindre ou cibler les associations (…).300ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, points 47,48 et 49.

La suspension d’une association et sa dissolution forcée figurent parmi les restrictions les plus draconiennes à la liberté d’association. Ces mesures doivent toujours se conformer aux exigences de l’article 22, paragraphe 2, du Pacte. Au vu de la sévérité de ces mesures, elles ne devraient pouvoir être utilisées que lorsqu’il existe une menace claire et imminente pour, par exemple, la sécurité nationale ou la sécurité publique,301Il convient de noter, par ailleurs, que les buts légitimes susceptibles d’être protégés sont énumérés de façon exhaustive à l’article 22 du PIDCP, à savoir : la sécurité nationale, la sûreté publique, l'ordre public, la protection de la santé ou de la moralité publiques ou des droits et des libertés d'autrui. conformément aux interprétations du droit international des droits de l’homme. Ces mesures doivent être strictement proportionnelles à l’objectif légitime poursuivi et utilisées uniquement lorsque des mesures moins radicales se sont révélées insuffisantes.302Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 75.

Le Comité des droits de l’homme se livre à une appréciation stricte de la proportionnalité des dissolutions.303Belyatsky v. Belarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, point 7.5. Le paragraph 58 des lignes directrices africaines fait sienne cette règle exigeante pour l’évaluation de la proportionnalité d’une mesure, et souligne qu’il ne devrait s’agir que d’une mesure de dernier ressort :

La suspension ou la dissolution d’une association par l’État n’intervient qu’en cas de violation grave de la loi nationale, conformément aux normes régionales et internationales relatives aux droits humains, et ce, en dernier recours.

Le Comité des droits de l’homme a souligné les « conséquences particulièrement graves » de la dissolution d’une organisation, et a pris en compte cette gravité dans son appréciation de la proportionnalité d’une mesure restrictive :

Étant donné les conséquences graves de la dissolution de « Viasna » pour l’exercice du droit à la liberté d’association de l’auteur et de ses coauteurs, et étant donné que le fonctionnement d’associations non enregistrées est interdit au Bélarus, le Comité conclut que la dissolution de l’association est une mesure disproportionnée (…).304Belyatsky c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, point 7.5 ; voir également Korneenko c. Belarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/88/D/1274/2004, adoption de vues du 31 octobre 2006, point 7.7.

Le rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique de la Commission africaine affirme que la dissolution ne peut être imposée que s’il existe un danger clair et imminent.305ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 24 ; voir également Interights and Others v Mauritania, ComADHP, 4 juin 2004, points 80-84. De la même manière, les lignes directrices conjointes du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise précisent qu’il doit s’agir toujours d’une mesure de dernier recours :

Une restriction doit toujours être interprétée et appliquée de manière restrictive et ne doit jamais éteindre complètement le droit concerné, ni porter atteinte à son essence. Toute interdiction ou dissolution d’une association doit, en particulier, systématiquement intervenir en dernier ressort, par exemple lorsque le comportement d’une association est source d’une menace imminente de violence ou d’une autre violation grave de la loi, et ne saurait être appliquée pour sanctionner une infraction mineure.306BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, point 35.

De même, la CEDH a souligné la nature extrême et grave d’une dissolution forcée et a considéré qu’il s’agissait d’une ingérence disproportionnée.307Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 8 octobre 2009, point 82 ; Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 30 janvier 1998, points 46, 54 et 61.

Toutefois, lorsqu’une association d’intérêt public ne dispose pas des moyens financiers nécessaires pour mener des activités visant à atteindre ses objectifs, la CEDH a conclu que sa dissolution peut être justifiée, mais sans préjudice à la question de son rétablissement.308Fondation MİHR c. Turquie, CEDH, arrêt du 7 mai 2019, points 41-43.

Compte tenu de la gravité de l’ingérence, la Commission interaméricaine a indiqué que la dissolution d’une association ne pouvait résulter que d’une décision de justice, et non pas de celle d’un organe administratif.309ComIDHSecond Report on the Situation of Human Rights Defenders, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, at point 168 (uniquement disponible en anglais) ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, points 75-76. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association soutient pleinement cette position :

La suspension d’une association ou sa dissolution forcée devrait être sanctionnée par un tribunal impartial et indépendant, sauf en cas de danger manifeste et imminent résultant d’une violation flagrante de la législation interne, conformément au droit international des droits de l’homme.310Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, points 77, 100.

Le paragraphe 58 des lignes directrices africaines suit la même approche :

La suspension ne peut avoir lieu que sur ordonnance du tribunal compétent, et la dissolution, à l’issue d’une procédure judiciaire en bonne et due forme et de l’épuisement de toutes les voies de recours possibles. De tels verdicts sont à publier et doivent être fondés sur des critères légaux clairs, conformément aux normes régionales et internationales relatives aux droits humains. 311BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, recommandation 4.6 et notes explicatives, points 66 et 132 à 140.

La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé qu’une fois dissoute (ou si son enregistrement est refusé), l’association conserve le droit de déposer une plainte auprès de la CEDH.312Sindicatul "Pastorul cel bun" c. Roumanie, CEDH, arrêt du 9 juillet 2013, point 70. Dans l’affaire Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, la CEDH a indiqué que « [l]e droit consacré par l’article 11 se révélerait éminemment théorique et illusoire s’il ne couvrait que la fondation d’une association, les autorités nationales pouvant aussitôt mettre fin à son existence sans avoir à se conformer à la Convention ».313Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 20 janvier 1998, point 33.

Le Comité de la liberté syndicale de l’OIT suit la même logique et indique qu’en raison de la nature extrême de la mesure, la suspension ou la dissolution forcée doit toujours faire l’objet d’un contrôle judiciaire et les droits de la défense de l’association doivent être systématiquement garantis.314OIT, Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du BIT, cinquième édition (révisée), point 699 (2006).

Le non-respect des obligations administratives prévues par le droit national ne constitue pas un motif suffisant de dissolution. Le Rapporteur des Nations Unies a précisé que si une association ne respectait pas ses obligations d’information, une telle violation ne devrait pas entraîner sa dissolution forcée, la fermeture de l’association ou des poursuites à l’encontre de ses membres. Au contraire, l’association devrait avoir la possibilité de rectifier la situation.315Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai,Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 38(e).

Le Comité des droits de l’homme a eu à connaître de plusieurs affaires dans le desquelles l’État avait indûment dissout ou suspendu une association. Dans plusieurs affaires concernant la Biélorussie, le Comité a conclu à des violations du droit à la liberté d’association car l’État avait utilisé arbitrairement ses lois relatives aux associations pour dissoudre ou suspendre des organisations.

Dans l’affaire Korneenko et autres c. Bélarus, l’ONG des requérants avait été dissoute car elle était accusée de ne pas avoir respecté la législation nationale relative aux financements étrangers, d’avoir utilisé du matériel acheté avec des fonds étrangers et d’avoir falsifié ses documents officiels. Le Comité des droits de l’homme a jugé que l’État partie avait violé le droit à la liberté d’association des requérants, car il n’avait pas démontré : (1) que les restrictions imposées à l’utilisation de fonds étrangers étaient nécessaires pour protéger un intérêt légitime de l’État, ou (2) que la dissolution de l’organisation était proportionnelle aux défaillances techniques dans ses tentatives de respecter la législation du pays [cliquer ici pour un exposé complet].

Dans l’affaire Korneenko et autres c. Bélarus, le Comité des droits de l’homme a déclaré ce qui suit :

« En l’espèce, la décision de justice tendant à dissoudre « Initiatives civiles » est fondée sur deux types de violations présumées des lois de l’État partie : 1) utilisation de matériel provenant de dons privés à des fins autres que celles prévues, à savoir pour la production de matériel de propagande et l’organisation d’activités de propagande ; et 2) irrégularités dans les documents officiels de l’association. Ces deux catégories de prescriptions légales constituent des restrictions de facto et doivent être évaluées à la lumière des conséquences qui en découlent pour l’auteur et « Initiatives civiles ».

Concernant le premier point, le Comité note que l’auteur et l’État partie divergent quant à la question de savoir si « Initiatives civiles » a véritablement utilisé son matériel aux fins citées. Il considère que même si « Initiatives civiles » a utilisé ce matériel, l’État partie n’a pas fourni d’argument expliquant pourquoi il serait nécessaire, au sens du paragraphe 2 de l’article 22, d’interdire l’utilisation de ce matériel « pour la préparation de rassemblements, de réunions, de défilés, de manifestations, de piquets de grève, de grèves, pour la production et la diffusion de matériel de propagande, ainsi que pour l’organisation de séminaires et autres formes d’activités de propagande ».

Concernant le deuxième point, le Comité note que les parties divergent à propos de l’interprétation du droit interne et que l’État partie n’a pas fourni d’argument expliquant laquelle des trois irrégularités dans les documents officiels de l’association motivait l’imposition des restrictions prévues au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Même si les documents d’« Initiatives civiles » n’étaient pas entièrement conformes aux prescriptions de la législation nationale, les autorités de l’État partie ont eu une réaction disproportionnée en prononçant la dissolution de l’association.316Viktor Korneenko et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/88/D/1274/2004, adoption de vues du 31 octobre 2006, paras. 7.2-7.4.

Dans l’affaire Belyatsky c. Bélarus, le Comité des droits de l’homme a considéré que la Biélorussie avait violé le droit à la liberté d’association des requérants en ordonnant la dissolution d’une ONG, Viasna pour sa surveillance des élections présidentielles biélorusses de 2001. Viasna avait soulevé des questions concernant la légitimité des élections. L’ONG avait été dissoute par décision de justice peu après pour avoir enfreint les lois électorales en envoyant des observateurs aux réunions de la commission électorale et dans les bureaux de vote, et pour avoir violé la loi relative aux associations publiques en rémunérant des tierces personnes non membres de Viasna pour leurs services en tant qu’observateurs.317Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 7 août 2007, points 7.5.Le Comité des droits de l’homme a estimé que la Biélorussie n’avait de nouveau pas démontré que la dissolution de l’organisation poursuivait un but légitime ou était nécessaire ou proportionnel à l’intérêt général invoqué. Le CDH saisi cette occasion pour rappeler à l’État partie « que l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris celles qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, sont un des piliers d’une société démocratique »318Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 7 août 2007, points 7.3.[cliquer ici pour un exposé complet].

 Dans l’affaire Belyatsky c. Bélarus, le Comité des droits de l’homme avait noté ce qui suit :

Le simple fait qu’il existe des justifications raisonnables et objectives pour limiter le droit à la liberté d’association ne suffit pas. L’État partie doit montrer de plus que l’interdiction d’une association est nécessaire pour écarter un danger réel, et non un danger seulement hypothétique, pour la sécurité ou l’ordre démocratique, et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif.
En l’espèce, la décision judiciaire tendant à dissoudre « Viasna » est fondée sur des violations supposées de la loi électorale de l’État partie commises quand l’association surveillait les élections présidentielles de 2001. Cette restriction de fait à la liberté d’association doit être appréciée à la lumière des conséquences qui en découlent pour l’auteur, les coauteurs et l’association.
Le Comité note que l’auteur et l’État partie n’ont pas la même interprétation du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile et de sa compatibilité avec la lex specialis portant sur le régime applicable aux associations publiques au Bélarus. Il considère que même si les violations de la loi électorale présumées commises par « Viasna » entraient dans la catégorie de la « perpétration répétée de violations flagrantes de la loi », l’État partie n’a pas fait valoir d’argument plausible pour montrer que les motifs qui ont justifié la dissolution de l’association étaient compatibles avec l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Comme l’a déclaré la Cour suprême [de la Biélorussie], les violations des lois électorales avaient été constituées par le non respect par « Viasna » de la procédure établie d’envoi d’observateurs aux réunions de la commission électorale et dans les bureaux de vote, et l’offre d’une rétribution à des tierces personnes non membres de « Viasna » pour leurs services en tant qu’observateurs (…). 319Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, point 7.3-7.5.

Dans l’affaire Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, où l’État avait ordonné la dissolution d’une association au motif que cette dernière n’avait pas respecté les règles applicables à la tenue d’une assemblée générale, la CEDH a suivi la même approche. La Cour n’a pas constaté l’existence d’un besoin social impérieux et a donc conclu ce qui suit :

l’ordonnance de dissolution de l’association fondée sur le non-respect allégué de certaines exigences du droit national relatives à la gestion interne des ONG n’était pas justifiée par des motifs impérieux et était disproportionnée au but légitime poursuivi.320Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 8 octobre 2009, point 82.

De même, l’avis de la Commission de Venise sur la Biélorussie a précisé que criminaliser les actions liées à l’organisation ou à la gestion d’une association au seul motif que l’association concernée n’a pas été enregistrée par l’État ne remplit pas les critères du test en trois volets qu’il faut passer avec succès pour restreindre le droit à la liberté d’association.321Commission de Venise, Avis sur la compatibilité avec les normes universelles des droits de l’homme de l’article 193-1 du code pénal de la République de Bélarus relatif aux droits des associations non enregistrées, 18 octobre 2011, point 113.

Dans l’affaire Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, l’État avait aussi invoqué la commission d’infractions pénales pour dissoudre une association. Cependant, ces accusations n’étaient fondées sur aucune preuve, ni sur aucune accusation criminelle à l’encontre des dirigeants de l’association. La CEDH a conclu que les accusations non prouvées d’activités illégales ne constituaient pas un fondement légitime pour dissoudre une association.322Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 8 octobre 2009, point 84-91.

Les mesures de suspension ou de dissolution peuvent s’avérer proportionnées dans certains cas extrêmes, comme lorsqu’une association incite à la violence ou plaide pour la destruction de la démocratie.

La protection des objectifs des associations qui défendent des idées non favorables au gouvernement est garantie par le droit international [Lien vers les objectifs]. La CEDH a souligné à plusieurs reprises qu’une association, y compris un parti politique, n’est pas exclue de la protection accordée par la Convention du seul fait que ses activités sont considérées par les autorités nationales comme portant atteinte aux structures constitutionnelles de l’État.323Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 30 janvier 1998.Dans l’affaire Refah Partisi c. Turquie, la CEDH a néanmoins précisé qu’un parti politique incitant à la violence ou visant la destruction de l’ordre démocratique ne peut se prévaloir de la protection de la Convention :324Voir Refah Partisi (Parti de la prospérité) c. Turquie, CEDH, arrêt du 13 février 2003, points 98 á 100.

Il en découle nécessairement qu’un parti politique dont les responsables incitent à recourir à la violence ou proposent un projet politique qui ne respecte pas la démocratie ou qui vise la destruction de celle-ci ainsi que la méconnaissance des droits et libertés qu’elle reconnaît, ne peut se prévaloir de la protection de la Convention contre les sanctions infligées pour ces motifs.325Voir Refah Partisi (Parti de la prospérité) c. Turquie, CEDH, 2003, point 98 ; voir également Yazar et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 9 avril 2002, point 49.

Plus récemment, dans l’affaire Vona c. Hongrie, la CEDH a étendu l’application du raisonnement qu’elle avait adopté dans l’affaire Refah Partisi c. Turquie, et a déclaré que les États pouvaient prendre des mesures préventives en vue de protéger la démocratie, y compris vis-à-vis des associations qui ne sont pas des partis politiques. Elle n’a pas conclu à la violation de l’article 11 dans une affaire où l’Association de la Garde hongroise avait été dissoute. L’association avait fondé à son tour le Mouvement de la Garde hongroise. Parmi ses activités, elle organisait des défilés de type militaire avec des uniformes également de type militaire, ainsi que des rassemblements dans les communautés Rom sur le thème de la « criminalité tsigane », avec des participants portant des brassards similaires à ceux portés par les membres des Croix fléchées, un parti nationaliste socialiste de l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Évoquant la dissolution de l’association, la CEDH a souligné les mesures concrètes adoptées par le mouvement et a déclaré ce qui suit :

[…] l’État a également le droit de prendre des mesures préventives pour protéger la démocratie face à des entités autres que des partis lorsqu’un préjudice menaçant de manière suffisamment imminente les droits d’autrui risque de saper les valeurs fondamentales sur lesquelles se fonde une société démocratique. […] l’État a le droit de prendre des mesures préventives s’il est établi que pareil mouvement a commencé à adopter des actes concrets dans la vie publique pour mettre en pratique un projet politique incompatible avec les normes de la Convention et la démocratie.326Vona c. Hongrie, CEDH, arrêt du 9 juillet 2013, point 57.

Il importe de noter que les faits spécifiques de cette affaire (notamment la nature paramilitaire de certaines des activités, l’histoire du pays et les effets intimidants sur un groupe ethnique vulnérable) semblent avoir joué un rôle important dans la conclusion de la CEDH. La Cour a reconnu, dans cette affaire, que la menace posée ne pouvait être effectivement écartée qu’en retirant son soutien à l’organisation du mouvement.327Vona c. Hongrie, CEDH, arrêt du 9 juillet 2013, points 71-72.

Dans l’affaire Eusko Abertizale Ekintza – Acción Nacionalista Vasca c. Espagne, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu la légitimité de la dissolution du parti en cause en raison de ses liens concrets, bien qu’informels, y compris financiers, avec Euskadi Ta Askatasuna (ETA), une organisation déclarée terroriste en Espagne.328Eusko Abertzale Ekintza – Acción Nacionalista Vasca c. Espagne, CEDH, arrêt du 15 janvier 2013, point 73. Disponible en français.

Dans une affaire emblématique, Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, la CEDH a conclu que la dissolution d’un club de supporters de football en France ne constituait pas une violation du droit à la liberté d’association. Même si, dans le cadre de cette affaire, les tribunaux nationaux n’avaient établi aucune négligence de la part des associations requérantes concernant les actes de violence commis (qui avaient conduit à des décès), ils avaient néanmoins établi que leur participation aux évènements avaient entraîné des troubles publics de la part de certains des supporters des membres de l’association. De nouveau, il importe de considérer cette affaire dans son contexte spécifique, à savoir une longue période de débordements très violents dans les stades de football pour lesquels plusieurs mesures gouvernementales n’avaient pas eu d’effet. Dans cette situation particulière, la CEDH a reconnu la légitimité du « besoin social impérieux » d’imposer des restrictions drastiques aux groupes de supporters, allant ainsi à l’encontre de l’essence-même de la liberté d’association, afin d’éviter et d’éradiquer le risque pour l’ordre public.329Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, CEDH, arrêt du 27 octobre 2016, point 83. L’arrêt est disponible uniquement en français. Un résumé en anglais est disponible ici.Considérant la nécessité de la mesure, la Cour a également tenu compte de la nature de l’organisation, à savoir la promotion d’un club de football. La Cour a estimé qu’un tel type d’association était moins nécessaire dans une société démocratique.330Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, CEDH, arrêt du 27 octobre 2016, point 84.

Et dans l’affaire Fondation Zehra et autres c. Turquie, la CEDH n’a pas constaté de violation de l’article 11 résultant de la dissolution d’une association menant des activités éducatives visant à établir un régime fondé sur la charia, concluant que les juridictions nationales n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation lorsqu’elles ont estimé qu’il existait un besoin social impérieux de sauvegarder la nature spécifique de l’éducation dans une démocratie pluraliste.331Fondation Zehra et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 10 juillet 2018, point 67.

Même dans les cas où des autorités étatiques décident de dissoudre une association car elles considèrent que cette dernière incite à la violence, un test strict de proportionnalité doit être appliqué.

La ComADHP a clairement confirmé ce principe dans l’affaire Interights et autres c. Mauritanie, où l’Union des Forces Démocratiques-Ère nouvelle (UFD/EN), un parti politique mauritanien, avait été dissoute par le Premier ministre de la République de Mauritanie. Selon l’État, la mesure avait été imposée à la suite « une série d’actes et de conduites dont se sont rendus coupables les responsables de cette formation politique et qui ont : Porté atteinte à l’image de marque et aux intérêts du pays ; Incité des mauritaniens à l’intolérance et à la violence ; et Provoqué des manifestations qui ont pu compromettre l’ordre, la paix et la sécurité publique ».332Interights et autres c. Mauritanie, ComADHP, juin 2004, point 3.Néanmoins, la Commission a estimé que la dissolution n’était pas proportionnée à la nature des infractions commises car l’État disposait de toute une série d’autres options envisageables, et a donc constaté une violation du droit à la liberté d’association (article 10, paragraphe 1, de la Charte africaine) :

  1. Dans le cas d’espèce, il est évident que la dissolution de l’UFD/EN avait pour but principal d’empêcher les responsables du parti de continuer à se rendre responsables d’actes ou de déclarations ou de prises de positions qui ont, d’après le gouvernement mauritanien, troublé la paix publique et menacé gravement le crédit, la cohésion sociale et l’ordre public dans le pays.
  2. Toutefois, et sans vouloir substituer son appréciation à celle des autorités mauritaniennes, il apparaît à la Commission africaine que lesdites autorités disposaient d’un éventail de sanctions qui auraient pu ne pas conduire à la dissolution de ce parti. Il semble, en effet, que si l’État Défendeur voulait mettre un terme à la « dérive » verbale de l’UFD/EN et éviter la répétition par le même parti de ces comportements interdits par la loi, l’État Défendeur aurait pu faire usage d’une panoplie de mesures efficaces lui permettant, depuis la première incartade de ce parti politique, de contenir cette « menace grave à l’ordre public ».333Interights et autres c. Mauritanie, ComADHP, juin 2004, points 81 á 82.

On peut affirmer que certaines mesures reviennent à imposer une dissolution de fait.

Le Rapporteur spécial a indiqué, dans un mémoire d’amicus curiae, que les autorisations hâtives, par les autorités gouvernementales, de la nouvelle composition du conseil d’administration d’une association (tout en sachant qu’elle était contestée par le comité de direction et dans un contexte de menaces préalables des autorités de ne pas renouveler l’enregistrement de l’association) avaient eu pour effet la dissolution forcée de l’association en question.334Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Amicus Curiae devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, dans l’affaire Laurent Munyandilikirwa c. Rwanda, janvier 2015, point 43. (uniquement disponible en anglais)

De même, on peut affirmer que l’incidence du retrait de la personnalité morale sur une association peut être tellement grave qu’elle équivaut à une dissolution de fait. Souvent, sans personnalité morale, les associations ne peuvent pas effectuer des transactions ou mobiliser des ressources (humaines et financières) au nom de l’association, deux aspects essentiels pour réaliser les objectifs pour lesquels elles ont été fondées.335Pour une application spécifique de cet argument, voir le Rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Amicus curiae devant la Cour constitutionnelle de la Bolivie, avril 2015, points 34, 42 et 49. (uniquement disponible en anglais) [Lien vers la personnalité morale]

Toute personne a droit à un recours effectif contre les actes violant leurs droits de l’homme.336DUDH, article 8 : "Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi." En cas de violation du droit à la liberté d’association, aussi bien les associations que leurs membres ont droit à un recours effectif, ce qui comprend l’accès au contrôle juridictionnel et à un dédommagement. Les États sont tenus d’enquêter pleinement sur toute accusation de violation du droit à la liberté d’association, et de tenir responsable les individus, y compris les autorités de l’État, de tout manquement malveillant au droit. En outre, les États doivent adopter des mesures afin d’empêcher de futures violations du droit, telles que la révision de la législation, la publication de lignes directrices en matière de poursuites et toute autre mesure nécessaire.

Dans son Observation générale n° 31, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a expliqué ce qui suit :

  1. Le paragraphe 3 de l’article 2 prévoit que les États parties, outre qu’ils doivent protéger efficacement les droits découlant du Pacte, doivent veiller à ce que toute personne dispose de recours accessibles et utiles pour faire valoir ces droits. Ces recours doivent être adaptés comme il convient de façon à tenir compte des faiblesses particulières de certaines catégories de personnes, comme les enfants. Le Comité attache de l’importance à la mise en place, par les États parties, de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits en droit interne. Le Comité note que les tribunaux peuvent de diverses manières garantir effectivement l’exercice des droits reconnus par le Pacte, soit en statuant sur son applicabilité directe, soit en appliquant les règles constitutionnelles ou autres dispositions législatives comparables, soit en interprétant les implications qu’ont pour l’application du droit national les dispositions du Pacte. Des mécanismes administratifs s’avèrent particulièrement nécessaires pour donner effet à l’obligation générale de faire procéder de manière rapide, approfondie et efficace, par des organes indépendants et impartiaux, à des enquêtes sur les allégations de violation. Des institutions nationales pour les droits de l’homme dotées des pouvoirs appropriés peuvent jouer ce rôle. Le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. La cessation d’une violation continue est un élément essentiel du droit à un recours utile.
    1. Le paragraphe 3 de l’article 2 exige que les États parties accordent réparation aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. S’il n’est pas accordé réparation aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés, l’obligation d’offrir un recours utile, qui conditionne l’efficacité du paragraphe 3 de l’article 2, n’est pas remplie. Outre la réparation expressément prévue par le paragraphe 5 de l’article 9 et le paragraphe 6 de l’article 14, le Pacte implique de manière générale l’obligation d’accorder une réparation appropriée. Le Comité note que, selon le cas, la réparation peut prendre la forme de restitution, réhabilitation, mesures pouvant donner satisfaction (excuses publiques, témoignages officiels), garanties de non-répétition et modification des lois et pratiques en cause aussi bien que la traduction en justice des auteurs de violations de droits de l’homme.
    2. De manière générale, il serait contraire aux buts visés par le Pacte de ne pas reconnaître qu’il existe une obligation inhérente à l’article 2 de prendre des mesures pour prévenir la répétition d’une violation du Pacte. En conséquence, il est fréquent que le Comité, dans des affaires dont il est saisi en vertu du Protocole facultatif, mentionne dans ses constatations la nécessité d’adopter des mesures visant, au-delà de la réparation due spécifiquement à la victime, à éviter la répétition du type de violation considéré. De telles mesures peuvent nécessiter une modification de la législation ou des pratiques de l’État partie. 337Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 31 : La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, adoptée le 29 mars 2004.

Le droit à un recours effectif est inhérent à l’exercice du droit à la liberté d’association. Le droit à un recours comprend le droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial concernant les questions affectant la réalisation du droit à la liberté d’association. Le droit à un procès équitable ou à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial est garantie par l’article 14 du PIDCP, l’article 7 de la CADHP, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 8 de la Convention américaine des droits de l’homme.

Le droit au contrôle juridictionnel s’applique aussi bien aux associations qu’à leurs membres :

  1. . Les associations, leurs fondateurs et leurs membres devraient bénéficier du droit à un recours effectif contre toute décision ayant trait à leurs droits fondamentaux et, en particulier, celles concernant leurs droits à la liberté d’association, d’expression, d’opinion et de réunion. Cela suppose de leur reconnaître le droit de déposer un recours ou de faire réexaminer par un tribunal indépendant et impartial toute décision ou omission des autorités, ainsi que toute autre exigence prévue par la législation, concernant leur enregistrement, leurs obligations statutaires, leurs activités, leur interdiction et dissolution ou sanctions (…).
  2. Toutes les associations doivent être traitées sur pied d’égalité devant un tribunal impartial et, en cas de violation alléguée de l’un de leurs droits, elles doivent bénéficier de la pleine protection du droit à un procès équitable et public. Il s’agit d’un aspect fondamental de la protection des associations contre tout contrôle excessif exercé par le pouvoir exécutif ou les autorités administratives.
  3. Les fondateurs, les membres et les représentants d’associations devraient également jouir du droit à un procès équitable dans toute procédure engagée par eux ou à leur encontre. Par conséquent, en matière de restrictions imposées à une association, le droit à la tenue d’un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial établi par la loi est une exigence essentielle qui doit être garantie par la législation. 338BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015.

Au sens du droit international, les États sont tenus d’indemniser tout dommage ou préjudice causé par la violation de leur obligation de promouvoir et de protéger le droit à la liberté d’association en vertu d’un traité régional ou international relatif aux droits de l’homme. Comme l’a expliqué la Cour permanente de justice internationale (CPJI) (juridiction ayant précédé la Cour internationale de justice (CIJ) actuelle) il y a près de 100 ans, « la réparation est le complément indispensable d’un manquement à l’application sans qu’il soit nécessaire que cela soit inscrit dans la convention même ». 339Affaire relative à l’usine de Chorzów (demande en indemnité) (fond), CPJI, arrêt du 13 septembre 1928. (uniquement disponible en anglais)

Lorsque le droit de réunion pacifique et la liberté d’association sont indûment restreints, les victimes devraient avoir le droit d’obtenir réparation et une indemnisation équitable et suffisante.340Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 81.

Les lignes directrices de la ComADHP précisent que « [o]utre la réparation permettant de remédier aux préjudices infligés, l’association a droit à une indemnisation pour tous les dommages éventuellement causés». 341ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, points 62. De même, dans leurs lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, le BIDDH/OSCE et la Commission de Venise indiquent aux États que devant les juridictions nationales, la réparation en cas de violation de la liberté d’association doit inclure « le versement d’une indemnisation pour préjudice moral ou pécuniaire ». 342BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, point 116.

En outre, chaque grand traité consacré aux droits de l’homme dispose d’un organe ou d’un mécanisme de contrôle de son application, qui supervise explicitement l’obligation des États parties de faire en sorte que les victimes de violations des droits qu’ils proclament soient dédommagées, y compris dans le cadre de l’indemnisation des préjudices subis. Les tribunaux régionaux pertinents en matière de protection des droits de l’homme font preuve d’un large pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit d’ordonner la réparation et des mesures correctives spécifiques.

L’article 63 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme prévoit ce qui suit :

  1. Lorsqu’elle reconnaît qu’un droit ou une liberté protégé par la présente Convention ont été violés, la Cour ordonnera que soit garantie à la partie lésée la jouissance du droit ou de la liberté enfreints. Elle ordonnera également, le cas échéant, la réparation des conséquences de la mesure ou de la situation à laquelle a donné lieu la violation de ces droits et le paiement d’une juste indemnité à la partie lésée.
  2. Dans les cas d’extrême gravité requérant la plus grande célérité dans l’action, et lorsqu’il s’avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes, la Cour pourra, à l’occasion d’une espèce dont elle est saisie, ordonner les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes. S’il s’agit d’une affaire dont elle n’a pas encore été saisie, elle pourra prendre de telles mesures sur requête de la Commission.

L’article 41 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose, quant à lui, ce qui suit :

Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable.

L’article 27 du protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples déclare ce qui suit :

  1. Lorsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation.
  2. Dans les cas d’extrême gravité ou d’urgence et lorsqu’il s’avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes, la Cour ordonne les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes.

Dans l’affaire Baena-Ricardo c. Panama, concernant le licenciement abusif de salariés du gouvernement en raison de leur implication dans des organisations syndicales, la CIDH a accordé aux salariés concernés : (1) les salaires impayés et les avantages sociaux à compter de la période du licenciement ; (2) la réintégration, si possible, ainsi qu’une indemnité de licenciement, si tel n’est pas le cas ; (3) de petites indemnités pour compenser le préjudice moral, au profit de chaque individu, et (4) le remboursement des frais et dépenses encourus par les travailleurs dans le cadre de leur action en justice.343Baena-Ricardo c. Panama, (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 2 février 2001, point 214. (uniquement disponible en anglais)

Dans l’affaire HADEP et Demir c. Turquie, la CEDH a refusé d’accorder les indemnités élevées demandées par les requérants car ceux-ci n’étaient pas parvenus à établir un lien de causalité entre la violation du droit et les indemnités sollicitées. Elle leur a toutefois accordé une réparation plus faible pour le préjudice non pécuniaire, ou moral, que les membres du parti politique dissout avaient subi.344HADEP et Demir c. Turquie, CEDH, arrêt du 14 décembre 2010, points 98 á 100. (uniquement disponible en anglais)De même, elle a ordonné à l’État de ne régler que les frais et dépenses pour lesquels les requérants avaient soumis des éléments de preuve, à savoir une facture pour des services de traduction. Dans l’affaire Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, la CEDH a refusé d’accorder une indemnisation à une association dissoute à tort car le montant exigé par cette dernière était hypothétique et ne se fondait que sur l’estimation du manque à gagner en matière de demande de financements. Elle a toutefois accordé à l’association une indemnité non pécuniaire, estimant ce qui suit :

La Cour juge que la dissolution de l’association a dû être source pour ses fondateurs et pour ses membres d’un dommage moral qui ne peut être réparé par le simple constat d’une violation. Statuant en équité, elle octroie à l’association la somme de 8 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, qui sera versée à M. Sabir Israfilov, lequel aura la charge de la remettre à l’association. 345Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt (fond et satisfaction équitable), points 84 à 91 (8 octobre 2009).

Dans l’affaire Tanganyika Law Society et autres c. République-Unie de Tanzanie, la CafDHP a considéré que l’interdiction par la Tanzanie de la présentation de candidats indépendants aux élections allait à l’encontre de l’obligation de l’État de promouvoir la liberté d’association en exigeant des personnes physiques qu’elles adhèrent à une association politique pour se porter candidats. Elle a ensuite ordonné à la Tanzanie de « prendre toutes mesures constitutionnelles, législatives et autres nécessaires, dans un délai raisonnable, pour remédier aux violations constatées par la Cour et d’informer cette dernière des mesures adoptées », et a donné au requérant la possibilité de présenter des arguments concernant l’indemnisation et d’autres réparations.346Tanganyika Law Society et autres c. République-Unie de Tanzanie, CafDHP, arrêt du 14 juin 2013.

Le fait de ne pas mener une enquête complète, impartiale et effective sur des cas d’intimidation ou d’agressions à l’encontre des membres d’une association constitue une violation des droits de ces derniers à la liberté d’association.

Dans l’affaire Huilca Tecse c. Pérou, la CIDH a constaté plusieurs violations, y compris du droit à la liberté d’association, lors de l’exécution extrajudiciaire du dirigeant syndical péruvien Pedro Huilca Tecse par des membre du « Groupe Colina », un escadron de la mort qui entretenait des liens avec l’armée péruvienne.347British Broadcasting Corporation c. Royaume-Uni, ComEDH, décision du 18 janvier 1996 ; Nordisk Film & TV A/S c. Danemark, CEDH, décision du 8 décembre 2005. L’État n’avait pas mené d’enquête complète, impartiale et effective sur les faits. La CIDH a conclu que l’État avait violé le droit à la vie (article 4) et à la liberté d’association (article 16) de M. Huilca, en se servant de renseignements militaires pour faciliter l’opération sécrète visant à exécuter M. Huilca Tecse et en participant, par la suite, à la dissimulation de l’assassinat de ce dernier.348Huilca Tecse c. Pérou, (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 3 mars 2005, point 64. (uniquement disponible en anglais) Elle a déclaré que ces actes avaient non seulement privé M. Huilca Tecse de sa vie de manière arbitraire, mais avaient également restreint sa liberté d’association sans aucune pression ou crainte du gouvernement.

L’article 16, paragraphe 1, de la Convention prévoit le « droit de s’associer librement à d’autres à des fins idéologiques, religieuses, politiques, économiques, professionnelles, sociales, culturelles, sportives ou à toute autre fin ». Ces termes indiquent, littéralement, que les personnes protégées par la Convention jouissent non seulement du droit et de la liberté de s’associer librement avec d’autres personnes, sans l’ingérence des autorités publiques limitant ou entravant l’exercice de leur droit respectif, qui représente ainsi un droit pour chaque personne ; mais elles jouissent également du droit et de la liberté de viser à la réalisation commune d’un but licite, sans aucune pression ou ingérence qui puisse l’altérer ou le modifier. En conséquence, l’exécution d’un dirigeant syndical, dans un contexte tel que celui du cas d’espèce, non seulement restreint la liberté d’association d’un individu, mais également le droit et la liberté d’un groupe déterminé de s’associer librement, sans crainte. Par conséquent, le droit protégé par l’article 16 présente une portée et une nature particulières, qui illustrent les deux dimensions de la liberté d’association. 349Huilca Tecse c. Pérou, (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 3 mars 2005, point 69. (uniquement disponible en anglais)

La Cour a considéré que si les droits à la vie et à la sécurité d’un individu ne sont pas pleinement garantis et respectés, la liberté d’association ne peut être pleinement exercée car elle implique le pouvoir de décider comment l’exercer :

La Cour estime que le contenu de la liberté d’association implique le pouvoir de décider comment exercer cette dernière. A cet égard, un individu ne jouit pas pleinement de la liberté d’association si, en réalité, ce pouvoir est inexistant ou limité de telle sorte qu’il ne peut être mis en œuvre. L’État doit garantir que les personnes puissent exercer librement leur la liberté d’association sans crainte de faire l’objet de violences ; autrement, la capacité des groupes à s’organiser pour protéger leurs intérêts pourrait être limitée. 350Huilca Tecse c. Pérou, (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 3 mars 2005, point 77. (uniquement disponible en anglais)

La Cour a considéré que, dans le cas d’espèce, le droit à la liberté d’association était devenu illusoire car M. Huilca Tecse n’avait pas été en mesure d’exercer son droit à la liberté d’association sans subir des répercussions fatales de la part des autorités de l’État. 351Huilca Tecse c. Pérou, (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 3 mars 2005, point 78. (uniquement disponible en anglais) La Cour a également considéré que l’assassinat de M. Huilca Tecse, et l’absence d’enquête ou de recherche des responsables de cet assassinat, intimideraient d’autres travailleurs appartenant au mouvement syndical et les inciteraient à auto-limiter leur liberté d’association, par crainte de faire l’objet de représailles similaires.352Huilca Tecse c. Pérou, (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 3 mars 2005, point 78. (uniquement disponible en anglais)

De même, lorsque les autorités de l’État ont abusé de leurs pouvoirs juridiques ou réglementaires dans le but de harceler des associations ou leurs membres, l’État doit enquêter et chercher les personnes ayant ainsi abusé de l’autorité étatique. Les abus peuvent notamment consister en des accusations criminelles infondées, des audits arbitraires, des fouilles sans mandat et toute autre forme d’intimidation dans le but de harceler des associations spécifiques. Dans ses lignes directrices, la ComADHP déclare ce qui suit :

Si les autorités prennent des sanctions injusti ées ou des sanctions dans le but de harceler une ou des associations, les personnes responsables de l’action en justice menée en l’espèce sont réputées coupables de violation du droit à la liberté d’association.353ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, points 62.

Lorsque le droit de réunion pacifique et la liberté d’association sont indûment restreints, les victimes devraient avoir le droit d’obtenir réparation et une indemnisation équitable et suffisante. 354Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 81.

Les lignes directrices de la ComADHP précisent que « [o]utre la réparation permettant de remédier aux préjudices infligés, l’association a droit à une indemnisation pour tous les dommages éventuellement causés».355ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2017, points 62.Les lignes directrices conjointes sur la liberté d’association du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise indiquent aux États que devant les juridictions nationales, la réparation en cas de violation de la liberté d’association doit inclure « le versement d’une indemnisation pour préjudice moral ou pécuniaire ». 356BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, point 116.

Dans les cas où la violation du droit à la liberté d’association prend la forme d’un harcèlement ou d’une intimidation intentionnel(le) d’une association ou de ses membres, les autorités responsables doivent être tenus responsables de leur rôle dans ladite violation.357ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique (2017), point 62(b).

En outre, lorsque des acteurs non étatiques ont menacé ou agressé des membres d’une association en raison de leur affiliation à cette dernière, l’État doit enquêter et si des preuves suffisantes existent, poursuivre les responsables. Le fait de ne pas mener d’enquête complète, impartiale et effective sur de tels incidents constitue une violation des droits à la liberté d’association de ses membres.358Voir, par exemple, Huilca Tecse c. Pérou, (fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 3 mars 2005. (uniquement disponible en anglais)