Case of Grande Oriente D`Italia di Palazzo Giustiniani v. Italy (No. 2)

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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE GRANDE ORIENTE D`ITALIA DI PALAZZO GIUSTINIANI c. ITALIE (n o 2)
(Requête n o 26740/02)
ARRÊT
STRASBOURG
31 mai 2007
DÉFINITIF
31/08/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.

En l’affaire Grande Oriente d`Italia di Palazzo Giustiniani c. Italie (n o 2),
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
M. C.L. ROZAKIS, président,
M me E. STEINER,
MM. K. HAJIYEV,
D. SPIELMANN,
S.E. JEBENS,
G. MALINVERNI, juges,
M me A. CIAMPI, juge ad hoc,
et de M. S. NIELSEN, greffier de section ,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mai 2007,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n o 26740/02) dirigée contre la République italienne et
dont une association italienne d’obédience maçonnique, Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani

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(« la requérante »), a saisi la Cour le 7 juin 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des
Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante, qui agit en la personne de son Grand Maître, est représentée par M e A. Lana, avocat à
Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I.M. Braguglia, et par
son co-agent, M. F. Crisafulli.
3. La requérante alléguait qu’une loi régionale imposant aux candidats aux nominations et désignations du
ressort régional de déclarer leur éventuelle appartenance à des loges maçonniques violait son droit à la liberté
d’association.
4. Le 16 mars 2005, le président de la première section a décidé de communiquer la requête au
Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, il a décidé que seraient examinés en même
temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est une association italienne d’obédience maçonnique qui regroupe plusieurs loges. Elle
existe depuis 1805 et est affiliée à la maçonnerie universelle.
6. En droit italien, la requérante a un statut d’association de droit privé non reconnue au sens de l’article 36
du code civil. Elle ne dispose donc pas de la personnalité juridique. Ses statuts, déposés auprès d’un notaire,
sont accessibles à chacun.
7. La requérante a déjà introduit une requête pour se plaindre d’une limitation de sa liberté d’association en
raison d’une loi régionale adoptée par la région des Marches. Le 2 août 2001, la Cour a adopté un arrêt
(Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani c. Italie , n o 35972/97, CEDH 2001-VIII).
8. La présente requête porte sur la loi régionale no 1 du 15 février 2000 de la région autonome du Frioul
Vénétie Julienne ( Friuli Venezia Giulia ). Cette loi fixa, entre autres, les règles à suivre pour les nominations à
des charges publiques du ressort de la région ( Disposizioni in materia di (…) disciplina delle nomine di
competenza regionale in Enti ed Istituti pubblici ).
9. En particulier, l’article 55 de la loi n o 1 de 2000, modifiant une loi antérieure, a fixé les modalités et
conditions de présentation des candidatures aux nominations et désignations du ressort régional. Dans ses
parties pertinentes, cette disposition est ainsi libellée :
Article 55
Dispositions en matière d’interdiction de nomination ou de désignation dans les conseils d’administration des sociétés à
participation régionale, dans ceux des organismes régionaux et dans les comités à nomination régionale.
« 1. Avant l’article 7 bis de la loi régionale n o 75 du 23 juin 1978, [l’article] suivant est inséré :
Article 7 bis ante
1. Les personnes condamnées pour les infractions prévues au chapitre II du livre II du code pénal ne peuvent être nommées ou
désignées pour siéger dans les conseils d’administration des sociétés à participation régionale, dans ceux des organismes à
caractère régional et dans les comités à nomination régionale. Cette interdiction vaut également pour ceux qui ont, pour les
mêmes infractions, négocié la peine aux termes de l’article 444 du code de procédure pénale et a une durée de cinq ans à partir de
la date [du jugement infligeant] la peine négociée. Ceux qui, au moment de l’entrée en vigueur de la loi régionale n o 1 du 15
février 2000, occupent ce genre de fonctions et se trouvent dans les situations précitées sont déclarés déchus après trente jours.
(…)

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5. Pour toutes les nominations dont il est question à l’alinéa 1, les candidats doivent déclarer à la présidence de l’exécutif
régional et à la commission pour les nominations du Conseil régional leur éventuelle appartenance à des associations
maçonniques ou en tout cas à caractère secret. L’absence de déclaration constitue une condition empêchant la nomination. »
(Original en langue italienne)
Articolo 55
Disposizioni in materia di divieto di nomina e designazione nei Consigli di amministrazione delle Società a partecipazione
regionale, in quelli degli enti regionali e nei Comitati di nomina regionale
« 1. Prima dell’articolo 7 bis della legge regionale 23 giugno 1978, n. 75, viene inserito il seguente:
Articolo 7 bis ante
1. Non possono essere nominati o designati a far parte di Consigli di Amministrazione delle Società a partecipazione regionale,
in quelli degli Enti regionali e nei Comitati di nomina regionale soggetti che hanno subito condanne per reati previsti dal Titolo II
del Libro II del codice penale. Tale divieto vale anche per quanti, per gli stessi reati, hanno patteggiato la pena ai sensi
dell’articolo 444 del codice di procedura penale e si estende per un periodo di cinque anni dalla data del patteggiamento. Coloro
che, alla data di entrata in vigore della legge regionale 15 febbraio 2000, n. 1, ricoprano tali incarichi e si trovino nelle condizioni
sopraindicate, decorsi 30 giorni, sono dichiarati decaduti.
(…)
5. Per tutte le nomine di cui al comma 1 i candidati devono dichiarare alla Presidenza della Giunta regionale e alla Giunta delle
nomine del Consiglio regionale la loro eventuale appartenenza a società massoniche o comunque a carattere segreto. La mancata
dichiarazione costituisce condizione ostativa alla nomina. »
10. Il ressort d’une note du Conseil régional du Frioul Vénétie Julienne du 15 septembre 2005 que
seulement une des 237 personnes s’étant portées candidates aux termes de l’article 55 précité a déclaré
appartenir à une loge maçonnique. Cette personne a été choisie par le Conseil régional pour remplir les
fonctions de conseiller d’administration dans une société à participation régionale.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
11. L’article 18 de la Constitution italienne se lit comme suit :
« Les citoyens ont le droit de s’associer librement, sans autorisation, pour [poursuivre] de buts qui ne sont pas interdits aux
particuliers par la loi pénale.
Sont interdites les associations secrètes et celles qui poursuivent, même indirectement, des objectifs politiques par les biais
d’organisations à caractère militaire. »
12. La loi n o 17 du 25 janvier 1982 a donné exécution à la disposition constitutionnelle précitée,
fournissant, en particulier, la notion d’« association secrète ». Son article 1 se lit comme suit :
« On considère associations secrètes, comme telles interdites par l’article 18 de la Constitution, celles qui, même à l’intérieur
d’associations non secrètes ( palesi ), cachent leur existence, ou, en gardant secrets à la fois leurs buts et leurs activités sociales, ou
en cachant, en tout ou en partie et même de manière réciproque, les associés, développent une activité visant à interférer dans
l’exercice de fonctions d’organes constitutionnels, d’administrations publiques, même ayant un statut autonome, d’organismes
publics même de nature économique, ainsi que de services publics essentiels d’intérêt national. »
EN DROIT

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I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC
L’ARTICLE 11
13. La requérante considère que l’article 55 de la loi régionale n o 1 de 2000 est discriminatoire et
incompatible avec son droit à la liberté d’association. Elle invoque l’article 14 de la Convention, lu en
conjonction avec l’article 11.
Ces dispositions sont ainsi libellées :
Article 11
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec
d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention
du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit
pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de
l’administration de l’Etat. »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine
nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
14. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
1. Sur l’exception du Gouvernement tirée de l’absence de qualité de « victime »
15. Selon le Gouvernement, la requérante n’a pas locus standi pour invoquer en son nom propre une
violation de l’article 11. Cette disposition, en effet, ne protège pas le caractère secret de l’association en tant
que telle et n’autorise pas les associations secrètes. Dès lors, aucune association ne saurait se prétendre
« victime » d’une disposition légale exigeant qu’une personne, pour pouvoir accéder à certaines fonctions,
déclare son appartenance à ladite association. D’autre part, la requérante elle-même affirme qu’elle n’a rien de
secret et que les listes de ses associés sont publiques.
16. La requérante observe qu’elle ne souhaite pas revendiquer un « droit au secret » ou bien le droit à ne
pas divulguer les noms de ses affiliés. Elle invoque par contre le droit à exister et agir légalement sans que
ses affiliés soient contraints de subir des discriminations ou des répercussions négatives, telles que des
entraves à l’accès à certains postes.
17. La requérante allègue qu’elle se trouve soumise au « régime spécial » applicable aux associations
secrètes, ce qui a des répercussions sur son image, sur sa réputation et pour la participation à sa vie
associative. En effet, l’obligation de déclarer l’affiliation à une loge induirait dans le public l’idée que
l’adhésion à la franc-maçonnerie est illégale ou qu’elle peut influer négativement sur la carrière. De plus,
certains affiliés pourraient être induits à mettre fin à leur lien avec la franc-maçonnerie pour pouvoir « sans
tâche » se porter candidats aux postes régionaux ou pour éviter d’être écartés en dépit de leurs qualités
professionnelles.
18. A la lumière de ce qui précède ainsi que des principes développés par la Cour dans l’arrêt Grande
Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani précité, la requérante estime qu’elle peut sans doute se prétendre
« victime » d’une ingérence avec son droit à la liberté d’association, ainsi que d’une violation de l’article 14 de
la Convention, combiné avec l’article 11.

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19. La Cour rappelle que le mot « victime » contenu à l’article 34 de la Convention désigne la personne
directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux (voir, parmi beaucoup d’autres, Nosov c. Russie
(déc.), n o 30877/02, 20 octobre 2005, et Direkçi c. Turquie (déc.), n o 47826/99, 3 octobre 2006) et que
l’article 11 de la Convention s’applique aux associations, à plus forte raison lorsqu’elles ne sont pas
soupçonnées de porter atteinte aux structures constitutionnelles d’un Etat ( Parti communiste unifié de Turquie
et autres c. Turquie , arrêt du 30 janvier 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, pp. 16-17, §§ 24-27).
20. Dans l’arrêt Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani précité (§§ 15-16), la Cour a estimé qu’une
loi régionale prévoyant que toute candidature à certains postes devait être accompagnée, entre autres, par une
« déclaration de non-appartenance à une loge maçonnique » pouvait causer un préjudice pour l’association
requérante, l’exposant, notamment, aux risques du départ d’un certain nombre de membres et d’une perte de
prestige. Elle en a déduit que la requérante pouvait se prétendre « victime » d’une violation à son droit à la
liberté d’association.
21. La Cour estime que ces mêmes principes s’appliquent, mutatis mutandis , dans la présente espèce. Elle
souligne que le grief de la requérante ne porte pas sur un droit allégué de garder le secret quant à l’identité de
ses affiliés, mais sur les répercussions négatives pour son image et sa vie associative découlant de l’obligation
de déceler l’appartenance à une loge maçonnique lors de la présentation d’une candidature à des postes à
haute responsabilité.
22. Il s’ensuit que la requête ne saurait être déclarée incompatible ratione personae avec les dispositions
de la Convention et que l’exception du Gouvernement doit être écartée.
2. Autres motifs d’irrecevabilité
23. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la
Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient
donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
(a) La requérante
24. La requérante allègue que la « solidarité » qui caractérise la franc-maçonnerie ne signifie pas
« connivence criminelle », mais aide réciproque et assistance dans les relations personnelles dans le respect
soigneux des lois. Par ailleurs, les conclusions auxquelles la Cour est parvenue dans l’arrêt Grande Oriente
d’Italia di Palazzo Giustiniani précité quant aux buts légitimes poursuivis par la loi régionale des Marches ne
seraient pas pertinentes dans la présente espèce. En effet, la Cour avait rappelé que cette loi avait été
introduite en 1996, lorsque dans le public était encore vive la mémoire des vicissitudes judiciaires concernant
certaines loges maçonniques « déviées ». Il y avait donc eu la nécessité de « rassurer » l’opinion publique à
cet égard. Une telle nécessité, cependant, n’existait plus en 2000, année d’adoption de la loi du Frioul Vénétie
Julienne, compte tenu du fait que pendant plusieurs années aucun crime ayant suscité une alarme sociale
significative n’a été commis par des affiliés aux loges maçonniques. En tout état de cause, il appartenait au
Gouvernement de fournir à la Cour des éléments démontrant que l’accès des francs-maçons aux postes
régionaux continuait à constituer un risque pour la sécurité nationale et l’ordre public.
25. La requérante estime également que la mesure incriminée ne visait pas à sauvegarder les « droits
d’autrui ». Cette locution ne concernerait pas l’intérêt général de la collectivité à une bonne administration des
ressources publiques, mais uniquement les cas où la liberté d’association est exercée de manière à empêcher à
d’autres de se prévaloir des droits et libertés garantis par la Convention.
26. Par ailleurs, les sommes gérées par les administrateurs du Frioul Vénétie Julienne sont bien inférieures

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à celles contrôlées par les administrateurs d’autres régions, où aucune obligation de déclarer l’éventuelle
affiliation à une loge maçonnique n’est prévue. Il en va de même en ce qui concerne le Président du Conseil
des ministres et les ministres, qui disposent, en pratique, du budget de l’administration centrale de l’Etat dans
sa globalité. Ceci prouverait qu’il n’existe, en réalité, aucun besoin social impérieux d’exclure les francs-
maçons de la gestion de l’argent public. De plus, l’existence d’un lien de solidarité entre les affiliés aux loges
n’est pas en soi incompatible avec l’exercice impartial et efficace de fonctions publiques. En effet, la Cour a
estimé que l’affiliation à la franc-maçonnerie du juge et de l’une des parties ne justifiait pas des craintes
objectives quant à l’impartialité du tribunal ( Kiiskinen et Kovalainen c. Finlande (déc.), n o 26323/95, CEDH
1999-V, et Salaman c. Royaume-Uni (déc.), n o 43505/98, 15 juin 2000).
27. La requérante observe que la loi du Frioul Vénétie Julienne ne mentionne pas d’autres associations
potentiellement bien plus dangereuses qu’elle, telles que, par exemple, des partis politiques affirmant, en
Italie, des idées racistes ou xénophobes. Ces associations auraient des liens de solidarité analogues voire
supérieurs aux siens et poursuivraient des buts ouvertement contraires à la démocratie, à la prééminence du
droit et au respect des droits de l’homme. Ceci constituerait une violation de la clause de non-discrimination
contenue à l’article 14 de la Convention.
28. A la lumière de ce qui précède, la requérante estime que l’ingérence dénoncée ne poursuit aucun but
légitime, ou bien que l’intérêt public visé est très réduit. Doublée du caractère arbitraire et discriminatoire de
l’ingérence, cette circonstance rend la mesure incriminée incompatible avec l’article 11 de la Convention, ou
bien elle appelle à une évaluation très rigoureuse de sa proportionnalité.
29. De l’avis de la requérante, la distinction faite par le Gouvernement entre la loi régionale des Marches
et celle du Frioul Vénétie Julienne est purement formelle. Dans la pratique, l’éventuelle déclaration
d’affiliation à une loge empêcherait, de facto , la nomination du candidat. En effet, si on part de l’idée
(erronée) que l’appartenance à une association de francs-maçons pose un risque pour l’impartialité et
l’efficacité dans l’exercice de fonctions publiques, alors le Conseil régional ne pourra qu’écarter tous les
candidats francs-maçons. Cette interprétation est confirmée par la circonstance que selon la loi n o 1 de 2000,
l’affiliation à la franc-maçonnerie équivaut à celle aux associations secrètes, dont les membres sont sans doute
exclus des fonctions publiques.
30. La requérante s’oppose enfin à la thèse du Gouvernement selon laquelle seraient « membres de
l’administration de l’Etat » aux termes de la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 11 tous ceux qui
sont appelés à exercer des fonctions d’intérêt général avec gestion de ressources publiques. Elle estime, par
contre, qu’une telle qualification devrait s’appliquer uniquement aux fonctionnaires qui participent
directement ou indirectement à l’exercice de la puissance publique (voir, en relation à la notion de « droits et
obligations de caractère civil », Pellegrin c. France [GC], n o 28541/95, §§ 64-67, CEDH 1999-VIII). En
l’espèce, les titulaires des postes assignés par le Conseil régional ne disposent d’aucun pouvoir public visant à
sauvegarder les intérêts fondamentaux de l’Etat, étant simplement tenus d’exercer leurs fonctions en faveur de
la collectivité, la faisant bénéficier de certains services de nature économique et sociale.
(b) Le Gouvernement
31. Le Gouvernement observe que dans l’affaire Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani précité, il
était question de la loi régionale des Marches n o 34 de 1996, dont l’article 5 précisait que toute candidature à
un poste public devait être accompagnée d’une « déclaration de non-appartenance à une loge maçonnique ».
Par contre, aux termes de la loi n o 1 de 2000, objet de la présente affaire, les candidats « doivent déclarer (…)
leur éventuelle appartenance à des associations maçonniques ou en tout cas à caractère secret ».
32. Il s’ensuit que la loi des Marches indique de façon claire que les candidats ne doivent pas être
membres de la franc-maçonnerie ; s’ils le sont, ils ne peuvent pas être nommés aux postes qu’ils visent. Il en
va autrement pour la loi du Frioul Vénétie Julienne, qui se borne à exiger que ceux qui appartiennent à une

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loge maçonnique le déclarent ouvertement. Il s’agirait d’une simple obligation procédurale ou de forme, qui
ne pose pas un obstacle insurmontable à la nomination d’un candidat franc-maçon. Il appartient en effet au
Conseil régional d’apprécier cas par cas s’il est opportun de nommer le candidat en question.
33. Le Gouvernement estime que l’obligation de déclarer son appartenance à une loge ne constitue pas une
ingérence dans le droit à la liberté d’association. Il note à cet égard que l’article 11 de la Convention ne stipule
pas le droit, pour les associés, de garder secrète leur appartenance à un groupe organisé. A la limite,
l’obligation en question pourrait poser un problème à l’égard de l’article 8 de la Convention pour ce qui est
des droits de l’individu, et non de l’association.
34. En tout état de cause, le Gouvernement considère que toute ingérence éventuelle avec le droit à la
liberté d’association était, dans la présente affaire, proportionnée aux buts légitimes poursuivis.
35. Dans l’arrêt Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani précité, la Cour avait estimé que la loi des
Marches poursuivait les buts légitimes de protéger la sécurité nationale et de défendre l’ordre, mais qu’il était
excessif de « décourager les individus d’exercer leur droit d’association (…) par peur de voir leur candidature
écartée ». Dans un premier temps, le Gouvernement avait jugé ce raisonnement contradictoire : s’il était
justifié d’identifier les candidats francs-maçons car ils constituaient un danger potentiel pour la sécurité
nationale et l’ordre public, la seule réaction possible était le refus pur et simple de leur candidature.
36. Cependant, après réflexion, le Gouvernement considère qu’il existe en la matière une demi-mesure
plus respectueuse du juste équilibre entre les buts poursuivis et les moyens employés. Elle consiste,
précisément, à imposer aux candidats une simple obligation de sincérité et transparence, sans pour autant
poser une interdiction de nomination à l’égard des francs-maçons.
37. Certes, dans certaines circonstances l’appartenance d’un candidat à une loge peut, en combinaison
éventuellement avec d’autres éléments, contribuer à la décision de l’écarter. Ceci, toutefois, relève du pouvoir
discrétionnaire de toute administration publique de choisir le candidat qui lui semble le plus apte à remplir au
mieux ses fonctions.
38. Le Gouvernement soutient que les mesures mises en cause par la requérante poursuivent également un
autre but légitime, à savoir la protection des droits d’autrui. Il note que les nominations visées par les lois
régionales litigieuses concernent des postes attachés à des fonctions d’intérêt général pour la collectivité et
qui supposent la gestion d’un budget public. Or, la collectivité est titulaire d’un droit à une gestion efficace,
impartiale et transparente des services concernés et des budgets y relatifs. Le respect effectif de ces exigences
légitimes peut être mis en doute par l’appartenance du sommet d’un de ces organismes à une association
caractérisée par des liens de solidarité très forts entre ses membres.
39. Le Gouvernement relève également que la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 11 précise
qu’il n’est pas interdit « que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les
membres (…) de l’administration de l’Etat ». S’il est vrai que la notion de « membre de l’administration de
l’Etat » doit être interprétée de manière étroite, il n’en demeure pas moins que la disposition en question vise à
assurer, de la part de certains administrateurs publics, une fidélité inconditionnée à l’Etat. Or, il n’est pas
souhaitable que les citoyens s’interrogent sur l’impartialité, l’efficacité et la transparence de la gestion de
l’argent qu’ils versent pour la mise en place de services publics.
40. A cet égard, il faut tenir compte du fait que de nombreux services d’intérêt général (parmi lesquels les
transports et les télécommunications) sont indirectement fournis par l’Etat par l’intermédiaire d’organismes
subsidiaires et de sociétés privées. Ces dernières sont alimentées pour l’essentiel par l’argent public. En
contrepartie, l’Etat participe à leur gestion en nommant leurs hauts administrateurs. Or, il serait
excessivement formaliste d’estimer que de tels administrateurs ne sont pas des « membres de l’administration
de l’Etat » seulement à cause de la nature juridique de leur lien avec ce dernier ou de la structure des sociétés
qu’ils dirigent.
2. Appréciation de la Cour

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(a) Sur l’applicabilité de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 11
41. Comme la Cour l’a constamment déclaré, l’article 14 de la Convention complète les autres clauses
normatives de la Convention et des Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement
pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un
manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait
trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins dédites clauses (voir,
parmi beaucoup d’autres, Van Raalte c. Pays-Bas , arrêt du 21 février 1997, Recueil 1997-I, § 33, et Petrovic
c. Autriche , arrêt du 27 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 585, § 22).
42. La Cour vient de conclure que compte tenu des répercussions négatives que l’obligation de déclarer
l’appartenance à une loge maçonnique pourrait avoir pour l’image et la vie associative de la requérante, cette
dernière peut se prétendre « victime » d’une violation de l’article 11 de la Convention (paragraphes 19-22 ci-
dessus). Cette conclusion implique qu’il y a eu une ingérence dans le droit à la liberté d’association de
l’intéressée.
43. Il s’ensuit que les faits en question tombent sous l’empire de l’article 11. L’article 14 de la Convention
trouve donc à s’appliquer.
(b) Sur l’observation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 11
i. Principes généraux
44. Dans sa jurisprudence, la Cour a établi que la discrimination découlait du fait de traiter de manière
différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées en la matière dans des situations
comparables ( Willis c. Royaume-Uni , n o 36042/97, § 48, CEDH 2002-IV). Toute différence de traitement
n’emporte toutefois pas automatiquement violation de cet article. Il faut établir que des personnes placées
dans des situations analogues ou comparables en la matière jouissent d’un traitement préférentiel, et que cette
distinction est discriminatoire (Zarb Adami c. Malte , n o 17209/02, § 71, 20 juin 2006, et Unal Tekeli
c. Turquie , n o 29865/96, § 49, 16 novembre 2004).
45. Une distinction est discriminatoire au sens de l’article 14 si elle manque de justification objective et
raisonnable. L’existence de pareille justification s’apprécie à la lumière des principes qui prévalent d’ordinaire
dans les sociétés démocratiques. Une différence de traitement dans l’exercice d’un droit énoncé par la
Convention ne doit pas seulement poursuivre un but légitime : l’article 14 est également violé s’il n’y a pas de
« rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (voir, par exemple,
Petrovic précité, p. 586, § 30, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni , arrêt du 8 juillet 1986, série A n o 102,
pp. 66-67, § 77).
46. En d’autres termes, la notion de discrimination englobe d’ordinaire les cas dans lesquels un individu ou
un groupe se voit, sans justification adéquate, moins bien traité qu’un autre, même si la Convention ne
requiert pas le traitement plus favorable (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai
1985, série A n o 94, p. 39, § 82). En effet, l’article 14 n’empêche pas une distinction de traitement si elle
repose sur une appréciation objective de circonstances de fait essentiellement différentes et si, s’inspirant de
l’intérêt public, elle ménage un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect
des droits et libertés garantis par la Convention ( Zarb Adami précité, § 73, et G.M.B. et K.M. c. Suisse (déc.),
no 36797/97, 27 septembre 2001).
47. Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle
mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement
juridique ( Gaygusuz c. Autriche , arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1142, § 42). Son étendue
varie selon les circonstances, les domaines et le contexte ( Rasmussen c. Danemark , arrêt du 28 novembre

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1984, série A n o 87, p. 15, § 40, et Inze c. Autriche , arrêt du 28 octobre 1987, série A n o 126, p. 18, § 41),
mais la décision finale quant à l’observation des exigences posées par la Convention appartient à la Cour. La
Convention étant avant tout un mécanisme de protection des droits de l’homme, la Cour doit tenir compte de
l’évolution de la situation dans l’Etat défendeur et dans les Etats contractants en général et réagir, par
exemple, au consensus susceptible d’apparaître quant aux normes à atteindre ( Zarb Adami précité, § 74, et
Unal Tekeli précité, § 54).
ii. Sur le point de savoir s’il y a eu différence de traitement entre des personnes se trouvant dans des situations similaires
48. La Cour observe qu’aux termes du paragraphe 5 de l’article 7 bis ante de la loi régionale n o 75 du 23
juin 1978, tel qu’introduit par la loi régionale n o 1 de 2000, pour toutes les nominations dont il est question à
l’alinéa 1, les candidats doivent déclarer leur éventuelle appartenance à des associations maçonniques ou en
tout cas à caractère secret. L’absence de déclaration est sanctionnée par le rejet de la candidature.
49. La disposition en question distingue donc entre les associations secrètes et maçonniques, dont
l’appartenance doit être déclarée, et toutes les autres associations. Les membres de ces dernières sont en effet
exemptés de toute obligation de joindre à leur candidature la déclaration visée au paragraphe 5 de l’article 7
bis ante précité, et ne peuvent par conséquent pas encourir la sanction prévue en cas d’omission.
50. Dès lors, il existe une différence de traitement entre les membres de la requérante et les membres de
toute autre association non secrète, en ce qui concerne l’obligation de déclaration d’appartenance introduite
par la loi régionale n o 1 de 2000.
iii. Sur le point de savoir s’il existait une justification objective et raisonnable
51. Dans son arrêt Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani , la Cour a estimé que l’interdiction de
nomination de francs-maçons à des postes publics, introduite pour « rassurer » l’opinion publique à un
moment où leur rôle dans la vie du pays avait été mis en cause, poursuivait les buts légitimes de la protection
de la sécurité nationale et de la défense de l’ordre (voir arrêt précité, § 21). Or, la Cour ne saurait souscrire à
la thèse de la requérante selon laquelle ces impératifs, valables en 1996, avaient cessé d’exister en 2000. A cet
égard, elle se borne à observer que des répercussions sociales de grande envergure, telles que celles liées aux
activités des loges maçonniques « déviées », ne sauraient disparaître rapidement ou par la simple raison que
pendant quelques années aucun membre de la franc-maçonnerie n’a été accusé de crimes très graves.
52. Cette conclusion dispense la Cour de rechercher si la mesure incriminée poursuivait également,
comme le veut le Gouvernement, le but de la protection des droits d’autrui.
53. La Cour rappelle de surcroît que, se plaçant sur le terrain de l’article 11 de la Convention pris
isolément, elle avait conclu que l’interdiction de nommer des francs-maçons à certains postes du ressort
régional n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ». Elle a observé qu’il était injustifié de
pénaliser une personne pour son appartenance à une association, alors que ce fait n’était pas, en lui-même,
légalement répréhensible ( Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani précité, § 26).
54. La présente espèce se différencie de la première affaire Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani
en ce que selon la législation du Frioul Vénétie Julienne l’appartenance à la franc-maçonnerie n’entraîne pas
l’exclusion automatique de la nomination à l’un des postes en question. Aux termes de la loi régionale n o 1 de
2000, le candidat à l’un de ces postes a la simple obligation de déclarer son éventuelle appartenance à des
associations maçonniques. Comme le Gouvernement l’a précisé, il appartiendra ensuite à l’administration
publique de déterminer, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, si le lien entre le
candidat et la loge peut, en combinaison éventuellement avec d’autres éléments, contribuer à la décision de
l’écarter (paragraphe 37 ci-dessus). Que le rejet de la candidature du franc-maçon ne soit pas automatique est
démontré par la circonstance, relatée par la région Frioul Vénétie Julienne et non contestée par la requérante,
que le seul candidat ayant déclaré appartenir à une loge a été choisi par le Conseil régional pour remplir les

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fonctions de conseiller d’administration dans une société à participation régionale (paragraphe 10 ci-dessus).
55. La Cour estime toutefois que ces considérations, qui pourraient être pertinentes sur le terrain de
l’article 11 pris isolément, perdent une partie de leur importance lorsque l’affaire est examinée, comme en la
présente espèce, sous l’angle de la clause de non-discrimination. En effet, elle considère que l’appartenance à
de nombreuses autres associations non secrètes pourrait poser un problème pour la sécurité nationale et la
défense de l’ordre lorsque les membres de celles-ci sont appelés à remplir des fonctions publiques. Il pourrait
en être ainsi, par exemple, pour les partis politiques ou les groupes affirmant des idées racistes ou
xénophobes, comme souligné par la requérante (paragraphe 27 ci-dessus), ou bien pour les sectes ou
associations ayant une organisation interne de type militaire ou établissant un lien de solidarité rigide et
incompressible entre leurs membres ou encore poursuivant une idéologie contraire aux règles de la
démocratie, élément fondamental de « l’ordre public européen » (voir, mutatis mutandis , Loizidou c. Turquie ,
arrêt du 23 mars 1995, série A n o 310, p. 27, § 75).
56. En dépit de ce qui précède, au Frioul Vénétie Julienne seuls les membres d’une association
maçonnique sont tenus de déclarer leur affiliation lorsqu’ils postulent pour la nomination à certains postes du
ressort régional. Aucune justification objective et raisonnable de cette différence de traitement entre
associations non secrètes n’a été avancée par le Gouvernement.
57. Dès lors, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 14 combiné à l’article 11 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 PRIS ISOLÉMENT ET DE L’ARTICLE 13 DE
LA CONVENTION
58. La requérante allègue que l’article 55 de la loi régionale n o 1 de 2000 a également violé l’article 11 de
la Convention, pris isolément, ainsi que l’article 13 de celle-ci.
Cette dernière disposition se lit comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif
devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs
fonctions officielles. »
59. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.
60. Eu égard au constat relatif à l’article 14 de la Convention (paragraphe 57 ci-dessus), la Cour estime
qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 11 pris isolément et/ou de l’article
13 (voir, entre autres et mutatis mutandis , Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani précité, § 34).
III. SUR LES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION
A. Sur l’article 46 de la Convention
61. Aux termes de cette disposition :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles
sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
62. La requérante invite la Cour à indiquer les mesures que l’Etat devra adopter pour éliminer toute
conséquence préjudiciable découlant de la violation et pour remédier aux carences de la législation régionale
litigieuse. Elle rappelle que malgré l’adoption, en 2001, d’un premier arrêt concluant à la violation de l’article
11 de la Convention, la loi régionale des Marches incompatible avec les valeurs conventionnelles n’a pas été
modifiée.

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63. Le Gouvernement soutient que la demande de la requérante visant à obtenir des mesures pour mettre
fin à la violation et en éviter la répétition ne devrait pas être prise en compte par la Cour. Cette dernière n’a en
effet pas sollicité pareille demande. En tout cas, elle ne serait pas compétente pour donner aux Etats
défendeurs les indications souhaitées par la requérante, qui, par ailleurs, ne s’imposent pas dans la présente
espèce. En effet, la « procédure d’arrêt-pilote » ne saurait pas être appliquée à l’affaire de la requérante, où les
conséquences dont l’intéressée continue à souffrir à cause de la violation ne sont pas d’une gravité
particulière.
64. La Cour rappelle que, dans le cadre de l’exécution d’un arrêt en application de l’article 46 de la
Convention, un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique au regard de
cette disposition de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant
que faire se peut la situation antérieure à celle-ci. Si en revanche le droit national ne permet pas ou ne permet
qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder à la partie
lésée, s’il y a lieu, la satisfaction qui lui semble appropriée. Il en découle notamment que l’Etat défendeur
reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser
aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle
du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre
juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que
possible les conséquences ( Scozzari et Giunta c. Italie [GC], n os 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-
VIII ; Pisano c. Italie (radiation) [GC], n o 36732/97, § 43, 24 octobre 2002).
65. En outre, il résulte de la Convention, et notamment de son article 1, qu’en ratifiant la Convention les
Etats contractants s’engagent à faire en sorte que leur droit interne soit compatible avec celle-ci. Par
conséquent, il appartient à l’Etat défendeur d’éliminer, dans son ordre juridique interne, tout obstacle éventuel
à un redressement adéquat de la situation du requérant ( Maestri c. Italie [GC], n o 39748/98, § 47, CEDH
2004-I).
66. En l’espèce, il incombe à l’Etat défendeur de mettre en œuvre les moyens propres à effacer les
conséquences du préjudice relatif à la discrimination subie par la requérante et considérée par la Cour comme
contraire à la Convention.
B. Sur l’article 41 de la Convention
67. Aux termes de l ‘article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie
contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a
lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
68. Au cas où il résulterait que le droit interne ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de
la violation, la requérante précise avoir subi un énorme préjudice moral pour son image et la réputation de ses
affiliés, qui pourrait être compensé sur la base du versement d’une somme symbolique (10 euros – EUR) pour
chacun de ses membres, soit la somme totale de 160 000 EUR. Elle s’engage à utiliser ce montant pour des
œuvres de bienfaisance, ou bien pour financer des actions d’aide aux personnes démunies.
69. Le Gouvernement estime que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.
En tout cas, il fait valoir que la « somme exorbitante » réclamée par la requérante est injustifiée. Il souligne
que rien ne permet de conclure que les difficultés qui ont fait obstacle à une modification rapide de la loi
régionale des Marches surgiraient également pour la région Frioul Vénétie Julienne et que le nombre
d’affiliés à la loge maçonnique requérante a augmenté – et non diminué – depuis l’introduction de sa première
requête devant la Cour. Par ailleurs, le préjudice moral d’une entité collective ne saurait être calculé sur la

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base du nombre de ses membres.
70. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence, une personne morale, même une société commerciale,
peut subir un dommage autre que matériel appelant une réparation pécuniaire ( Comingersoll S.A. c. Portugal
[GC], n o 35382/97, §§ 31-37, CEDH 2000-IV). Toutefois, en l’espèce, compte tenu des circonstances de la
cause, la Cour considère que le constat de violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 11
suffit à réparer le dommage allégué (voir, mutatis mutandis , Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani
précité, § 38).
2. Frais et dépens
71. La requérante demande également 26 507,78 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.
72. Le Gouvernement considère que cette somme est exorbitante et non justifiée par la nature et la
complexité de l’affaire. Il s’en remet à la sagesse de la Cour.
73. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et
dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur
taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge
excessif le montant sollicité pour les frais et dépens afférents à la procédure devant elle (26 507,78 EUR) et
décide d’octroyer 5 000 EUR à ce titre.
3. Intérêts moratoires
74. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de
prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Déclare , à l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit , à l’unanimité, que l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 11 est applicable en l’espèce ;
3. Dit , par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article
11 ;
4. Dit , à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu violation de l’article 11 pris isolément et de
l’article 13 de la Convention ;
5. Dit , à l’unanimité, que le constat de violation constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante
pour le dommage moral ;
6. Dit , à l’unanimité,
a) que l ‘Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera
devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour
frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt
simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable
pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

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7. Rejette , à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mai 2007 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du
règlement.
Søren NIELSEN Christos ROZAKIS
Greffier Président
ARRÊT GRANDE ORIENTE D`ITALIA DI PALAZZO GIUSTINIANI c. ITALIE (n° 2)
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