Case of IPSD and Others v. Turkey

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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE IPSD ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête n o 35832/97)
ARRÊT
STRASBOURG
25 octobre 2005
DÉFINITIF
25/01/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.

En l’affaire IPSD et autres c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J. CASADEVALL , président ,
R. TÜRMEN ,
M. PELLONPÄÄ ,
R. MARUSTE ,
K. TRAJA ,
M me L. MIJOVIĆ,
M. J. ŠIKUTA, juges ,
et de M. M. O’BOYLE, greffier de section ,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 octobre 2005,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n o 35832/97) dirigée contre la République de Turquie et
dont sept ressortissants de cet Etat, MM. Fettah Ayhan Erkan, Tacettin Çolak, İbrahim Halil Arabulan, Meral

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Küçükosmanoğlu, Ramazan Kap, Nihat Güldemir et Ahmet Pektopal (« les requérants »), avaient saisi la
Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 25 mars 1997 en vertu de l’ancien
article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la
Convention »). Les requérants ont introduit la requête en leur propre nom ainsi qu’au nom de l’association
IPSD dont ils sont les fondateurs.
2. Les requérants sont représentés par M e Orhan Özer, avocat à Konya. Le gouvernement turc (« le
Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3. Le 10 février 2004, la Cour a déclaré la requête recevable.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. L’association Işsizlik ve Pahalılıkla Savaş Derneği (association de lutte contre le chômage et les prix
excessifs, ci-après « IPSD ») fut fondée le 13 juillet 1992, en vertu de la loi n o 2908 sur la création et les
activités des associations. Aux termes de l’article 2 des statuts qu’elle déposa à la préfecture d’Istanbul (« la
préfecture »), l’association avait pour but de « réunir les personnes souffrant de la pauvreté, afin qu’elles
prennent conscience de leurs propres intérêts et trouvent ainsi la voie de la libération, sans aucune distinction
fondée sur les opinions politiques ».
5. Le 10 août 1992, la préfecture communiqua les statuts de l’IPSD au ministère de l’Intérieur. Dans une
lettre du 15 septembre 1992 adressée à la préfecture, le ministère de l’Intérieur souligna que les termes tels
que « (…) les peuples de Turquie (…) » et « (…) considère nécessaire de lutter contre les impérialistes qui
veulent dominer la Turquie en la transformant en un marché et une source de matières premières » employés
dans les statuts de l’association étaient d’une part de nature à bafouer l’Etat turc et d’autre part contraires au
principe de l’intégrité territoriale de l’Etat et de l’unité indivisible de la nation.
6. Le 5 octobre 1992, des scellés furent apposés sur les locaux du siège de l’association sur ordre du
ministère de l’Intérieur.
7. Par un acte du 9 octobre 1992, le procureur de la République de Fatih requit la dissolution de
l’association en vertu de l’article 50 § 1 de la loi n o 2908, en raison des irrégularités figurant dans les statuts.
8. Par des lettres des 13 octobre 1992 et 16 décembre 1992 adressées au tribunal de grande instance de
Fatih (« le tribunal de grande instance »), l’avocat des requérants forma opposition contre la procédure en
question, et demanda un sursis à exécution afin d’obtenir la réouverture des locaux de l’association. Il fit
valoir que l’administration n’avait pas respecté les dispositions des articles 10 et 50 § 1 de la loi n o 2908,
notamment en ce qu’elle ne leur aurait pas accordé le délai de trente jours prévu par lesdites dispositions pour
le « redressement » des irrégularités reprochées. Il invoqua par ailleurs l’article 11 de la Convention.
9. Par un jugement du 17 septembre 1993, le tribunal de grande instance accueillit les demandes des
requérants et annula la procédure au motif qu’elle était dénuée de fondement.
10. Par des lettres des 28 septembre et 16 novembre 1993, les requérants s’adressèrent à la préfecture
d’Istanbul en vue d’obtenir la réouverture des locaux de l’association. Ils alléguèrent que, faute de pourvoi en
cassation présenté dans les délais, le jugement du 17 septembre 1993 était devenu définitif.
11. Les 17 novembre et 20 décembre 1993, les requérants demandèrent au procureur de la République de
Fatih de leur restituer les registres de l’association en exécution de la décision du tribunal de grande instance.
12. Par une lettre du 1 er juillet 1994 adressée au procureur de la République de Fatih, le ministère
de la Justice demanda le dépôt de l’intégralité du dossier pour examen, en vue de l’introduction

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d’un recours « dans l’intérêt de la loi » contre le jugement du 17 septembre 1993. Ce recours à
caractère extraordinaire, prévu par l’article 427 § 6 du code de procédure civile (« CPC »), permet
au procureur de la République d’attaquer un jugement de première instance devenu définitif, sans que celui-ci
ait fait l’objet d’un pourvoi en cassation dans les délais légaux. L’arrêt rendu par la Cour de cassation à la
suite d’un recours « dans l’intérêt de la loi » n’a aucun effet sur le jugement définitif de première instance.
13. Par une deuxième lettre du 2 septembre 1994 adressée au procureur de la République de Fatih, le
ministère de la Justice indiqua que l’examen du dossier avait fait ressortir que la notification du jugement
rendu le 17 septembre 1993 par le tribunal de grande instance était entachée d’un vice de forme, en violation
de l’article 43 du code de notification, et que ce jugement n’était de ce fait pas devenu définitif. Le ministère
de la Justice souligna que le recours « dans l’intérêt de la loi » ne pouvait être formé que contre un jugement
définitif. A une date non précisée, le jugement rendu par le tribunal de grande instance le 17 septembre 1993
fut notifié aux parties, conformément à l’article 43 du code de notification. Le 15 septembre 1994, le
procureur de la République de Fatih introduisit alors un pourvoi en cassation contre le jugement du 17
septembre 1993, au motif que celui-ci résultait d’un examen lacunaire. Il soutint que l’IPSD avait pour but de
mener des activités politiques et demanda sa dissolution.
14. Dans leurs observations du 14 octobre 1994, les requérants alléguèrent que le pourvoi en cassation
formé par le procureur était contraire à la loi, tant sur la forme que sur le fond. Ils firent valoir que le
ministère de la Justice n’était pas partie à l’affaire et que son intervention constituait une ingérence de
l’exécutif dans le domaine judiciaire. Ils demandèrent la confirmation de la décision rendue en première
instance.
15. Le 12 décembre 1994, la Cour de cassation rendit un arrêt infirmant le jugement de première instance.
Dans ses attendus, la Cour de cassation souligna notamment que les propos suivants : « (…) les peuples de
Turquie (…) » et « (…) considère nécessaire de lutter contre les impérialistes, qui veulent dominer la Turquie
en la transformant en un marché et une source de matières premières », employés dans les statuts de
l’association étaient contraires à l’article 5 §§ 11 et 12 de la loi n o 2908 qui interdit aux associations de mener
des activités politiques et de bafouer l’Etat turc.
16. Par un jugement du 25 octobre 1995, la deuxième chambre du tribunal de grande instance se conforma
à l’arrêt de la Cour de cassation et décida, à la majorité, de dissoudre l’association requérante.
17. Le 24 novembre 1995, les requérants formèrent un pourvoi en cassation. Ils soulignèrent que le
procureur de la République avait initialement engagé une procédure en dissolution, en vertu de l’article 50 de
la loi n o 2908, et non une procédure, au titre de l’article 5, mettant en cause la conformité des buts de
l’association avec la Constitution.
18. Le 5 mars 1996, la Cour de cassation confirma le jugement du 25 octobre 1995.
19. Le 22 avril 1996, les requérants introduisirent un recours en rectification devant la Cour de cassation.
Celle-ci les débouta et, le 30 septembre 1996, rendit l’arrêt définitif qui fut notifié aux requérants le 28
octobre 1996.
20. Le 13 novembre 1996, la préfecture confirma la dissolution de l’association.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
21. Les dispositions pertinentes de la loi n o 2908 régissant la création et les activités des associations se
lisent ainsi :
Article 4
« Toute personne majeure capable de discernement peut fonder une association sans autorisation préalable. »

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Article 5
« Il est interdit de créer une association [poursuivant un but] contraire aux principes fondamentaux énoncés dans le préambule
de la Constitution ; [il est interdit de créer une association ayant pour but de] (…)
11. (…) mener des activités politiques, par exemple soutenir un parti politique ou œuvrer contre celui-ci (…)
12. dénigrer ou bafouer l’Etat turc. »
Article 9
« Une association acquiert la personnalité juridique lorsqu’elle dépose la déclaration de création et ses annexes devant l’autorité
administrative supérieure du lieu où elle a son siège. »
Article 10
« (…) si lors de l’examen de la déclaration, des statuts de l’association et du statut juridique des fondateurs l’autorité
administrative compétente constate des irrégularités ou des lacunes, elle adresse une demande écrite au conseil d’administration
provisoire, afin qu’il comble les lacunes en question. Si celles-ci ne sont pas corrigées dans un délai de trente jours à partir de la
notification de la demande, et selon l’avis de l’autorité administrative compétente, le parquet engage devant le tribunal compétent
une procédure en dissolution de l’association. Le parquet peut également demander l’interruption des activités de l’association.
Si aucune irrégularité n’est constatée dans la déclaration ou dans les statuts, ou si ces irrégularités ou lacunes sont redressées
dans le délai prévu, l’autorité qui examine la déclaration et les statuts adresse une confirmation écrite à l’association. »
Article 50
« L’association est dissoute par décision du tribunal de grande instance saisi par le procureur de la République à la suite d’une
demande écrite de l’autorité administrative supérieure du lieu où se trouve le siège de l’association si
1. les irrégularités ou les lacunes figurant dans les statuts et leurs annexes ne sont pas redressées dans un délai de trente jours,
nonobstant la demande écrite formulée par les autorités compétentes en vertu de l’article 10.
(…) »
Article 76
« Toute personne fondant une association dont les buts sont contraires aux principes mentionnés à l’article 5 de la présente loi
(…) sera punie d’une peine d’emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de trente à cent mille livres, si les faits n’exigent
pas une peine plus lourde. Dans tous les cas, l’association en question est dissoute. »
22. La disposition pertinente du code procédure civile est ainsi libellée :
Article 427 § 6
« Les décisions définitives ou devenues définitives au motif que les parties n’ont pas formé un pourvoi en cassation dans les
délais peuvent faire l’objet d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi introduit par le procureur de la République sur ordre du ministre
de la Justice (…). La décision de la Cour de cassation sur un tel pourvoi n’a aucun effet sur l’issue du litige. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
23. Les requérants se plaignent de l’iniquité de la procédure devant les juridictions civiles en ce qu’un

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jugement définitif de première instance aurait été infirmé à la suite d’un recours extraordinaire et que la
qualification des faits aurait été modifiée au cours du procès.
La Cour examinera ces griefs sous l’angle des dispositions de l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b), dont les
passages pertinents sont ainsi libellés :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-
fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…)
3. Tout accusé a droit notamment à :
(…)
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause
de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (…) »
A. Le jugement de première instance.
24. Les requérants soutiennent en premier lieu que la dissolution de l’association requérante a été
prononcée à la suite d’un pourvoi « dans l’intérêt de la loi » au sens de l’article 427 § 6 du code de procédure
civile, alors que ce recours extraordinaire ne devait avoir aucun effet sur le jugement définitif qui avait été
rendu en leur faveur.
25. Le Gouvernement conteste la version des faits présentée par les requérants. Il soutient que le jugement
rendu par le tribunal de grande instance le 17 septembre 1993 n’était pas devenu définitif, étant donné qu’il
n’avait pas fait l’objet d’une notification régulière et que le 15 septembre 1994 le procureur a formé un
pourvoi en cassation, et non un pourvoi « dans l’intérêt de la loi ». Il ne s’agissait donc pas d’un recours
extraordinaire contre un jugement définitif faisant droit à la demande des requérants et la procédure ordinaire
a suivi son cours à la suite d’une notification régulière.
26. La Cour considère que les faits n’étayent pas les allégations des requérants. A l’instar du
Gouvernement, elle constate qu’avant d’être régulièrement notifié le jugement rendu le 17 septembre 1993
par le tribunal de grande instance n’avait pas acquis force de chose jugée en vertu du droit interne. Le délai
pour former un pourvoi en cassation contre ce jugement n’a commencé à courir qu’après la notification
régulière aux parties. Dans ce délai, le procureur a formé un pourvoi en cassation (recours ordinaire) et non
un pourvoi dans l’intérêt de la loi (recours extraordinaire). Aussi la Cour constate-t-elle que, contrairement
aux allégations des requérants, aucune décision judiciaire ayant acquis force de chose jugée n’a été mise en
cause lors de la procédure litigieuse. Il s’ensuit que le principe de sécurité des rapports juridiques n’a pas été
enfreint en l’espèce (voir, a contrario, Brumărescu c. Roumanie [GC], n o 28342/95, § 62, CEDH 1999-VII).
Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 de la Convention concernant ce volet des griefs tirés de cette
disposition.
B. Modification de la qualification des faits au cours de la procédure
27. Les requérants soutiennent par ailleurs que les juridictions nationales, en modifiant la qualification des
faits au cours de la procédure, ont enfreint les droits de la défense. A cet égard, ils font observer que la
procédure litigieuse portait sur la dissolution de l’association en question au motif que ses statuts étaient
entachés d’irrégularité au sens de l’article 50 de la loi n o 2908 sur les associations. Or les instances nationales
auraient finalement dissous l’association pour inconstitutionnalité de ses objectifs, en vertu de l’article 5 de
ladite loi.
28. Le Gouvernement estime que cette allégation est mal fondée.

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29. La Cour relève que dans son acte du 9 octobre 1992 le procureur de la République avait requis la
dissolution de l’association en question au motif que ses statuts étaient entachés d’irrégularité au sens de
l’article 50 de la loi n o 2908. Or, dans son arrêt du 12 décembre 1994 infirmant le jugement de première
instance, la Cour de cassation, faisant usage de son droit de requalifier les faits dont elle était saisie, a
considéré que les buts de l’association étaient contraires aux principes énoncés à l’article 5 de ladite loi.
30. Par la suite, les requérants ont bénéficié d’une procédure contradictoire. Ils ont pu présenter, aussi
bien devant le tribunal de grande instance que devant la Cour de cassation, les arguments qu’ils jugeaient
pertinents pour la défense de leur cause, et ce après la requalification des faits par la Cour de cassation. Les
requérants ont donc eu la possibilité d’exercer leurs droits de défense d’une manière concrète et effective, eu
égard à la requalification des faits par les instances nationales en l’espèce (voir, a contrario, Sadak et autres
c. Turquie , n os 29900/96, 29901/96, 29902/96 et 29903/96, § 57, CEDH 2001-VIII).
En conclusion, la Cour estime que, considérée dans son ensemble, la procédure litigieuse a revêtu un
caractère équitable, au sens de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention. Il n’y a donc pas eu violation de l’article
6 de la Convention quant à ce volet des griefs également.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
31. Les requérants allèguent que la dissolution de l’IPSD a porté atteinte à leur droit à la liberté
d’association. Ils invoquent l’article 11 de la Convention, qui se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec
d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention
du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit
pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de
l’administration de l’Etat. »
32. La Cour note qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que la condamnation litigieuse a
constitué une ingérence dans le droit des requérants à la liberté d’association, protégé par l’article 11. Il n’est
pas davantage contesté que l’ingérence était prévue par la loi et poursuivait des buts légitimes, à savoir la
sécurité nationale, la sûreté publique et la défense de l’ordre, au sens de l’article 11 § 2. En l’occurrence, le
différend porte sur la question de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
33. Selon le Gouvernement, les statuts de l’IPSD n’étaient pas conformes aux dispositions de la
Constitution et de la loi réglementant les associations. La dissolution de l’association était donc nécessaire
pour le respect des règles en vigueur et la sauvegarde du principe de l’unité indivisible de la nation ainsi que
pour la protection de l’Etat contre des attaques injustifiées.
34. La Cour note d’emblée que l’IPSD, qui a été fondée le 13 juillet 1992 et sur les locaux de laquelle le
ministère de l’Intérieur avait ordonné d’apposer des scellés le 5 octobre 1992, a été dissoute avant même
d’avoir pu entamer ses activités. Cette mesure a donc été ordonnée sur la seule base des statuts de
l’association. A l’instar des juridictions nationales, la Cour s’appuiera donc sur ces statuts pour apprécier la
nécessité de l’ingérence litigieuse.
35. Elle réaffirme que le droit à la liberté d’association tel que consacré par l’article 11 de la Convention
inclut la possibilité pour les citoyens de former une personne morale afin d’agir collectivement dans un
domaine d’intérêt commun ( Sidiropoulos et autres c. Grèce, arrêt du 10 juillet 1998, Recueil des arrêts et
décisions 1998-IV, § 40). Elle rappelle en outre qu’elle a confirmé à plusieurs reprises la relation directe
entre la démocratie, le pluralisme et la liberté d’association et a établi le principe selon lequel seules des
raisons convaincantes et impératives peuvent justifier des restrictions à cette liberté (voir, par exemple, Parti

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communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, arrêt du 30 janvier 1998, Recueil 1998-I).
36. Dans le contexte de l’article 11, la Cour a souvent mentionné le rôle essentiel joué par les partis
politiques pour le maintien du pluralisme et de la démocratie (voir, par exemple, Refah Partisi (Parti de la
prospérité) et autres c. Turquie ([GC], n os 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, CEDH 2003-II). Cela
vaut également pour les associations crées à d’autres fins, notamment la poursuite de divers buts sociaux ou
économiques, ou la recherche d’une identité ethnique, qui sont également importantes pour le bon
fonctionnement de la démocratie ( Gorzelik et autres c. Pologne [GC], n o 44158/98, § 92, CEDH 2004-… ).
37. Pour ce qui est de la question de savoir si l’IPSD poursuivait des buts contraires aux principes de la
démocratie, les instances nationales ont considéré que certaines expressions contenues dans les statuts de
l’association telles que « les peuples de Turquie » et « considère nécessaire de lutter contre les impérialistes,
qui veulent dominer la Turquie en la transformant en un marché et une source de matières premières »
portaient atteinte au principe de l’unité indivisible de la nation et bafouaient l’Etat turc.
38. Toutefois, la Cour constate que les parties litigieuses des statuts de l’IPSD comportent une analyse de
la situation économique et sociale du pays, ainsi qu’une critique de la politique du gouvernement à cet égard.
Elle accepte que les principes défendus par l’IPSD ne sont pas, comme tels, contraires aux principes
fondamentaux de la démocratie.
39. La Cour observe en outre que l’IPSD ne prévoyait que l’utilisation des moyens légaux et
démocratiques pour parvenir aux fins énoncées dans ses statuts. En particulier, ceux-ci ne contenaient aucun
terme incitant à l’usage de la violence ou pouvant s’apparenter à un discours de haine, ce qui est aux yeux de
la Cour l’élément essentiel à prendre en considération (voir, a contrario, Sürek c. Turquie (n o 1) [GC], n o
26682/95, § 62, CEDH 1999-IV, et Gerger c. Turquie [GC], n o 24919/94, § 50, 8 juillet 1999).
40. Par conséquent, l’IPSD n’ayant pas eu de projet politique de nature à compromettre le régime
démocratique dans le pays et n’ayant pas incité au recours à la force à des fins politiques ni justifié un tel
recours, on ne peut raisonnablement considérer que sa dissolution répondait à un « besoin social impérieux »
et qu’elle était donc « nécessaire dans une société démocratique ».
41. Il y a donc eu violation de l’article 11 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
42. Aux termes de l ’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie
contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a
lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
43. Les requérants soutiennent que la dissolution de l’association leur a fait subir un préjudice matériel
d’un montant de 16 400 marks (DEM).
44. Ils réclament en outre la réparation d’un dommage moral qu’ils évaluent à 40 250 euros (EUR).
45. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
46. S’agissant du dommage matériel, la Cour considère que les preuves soumises ne permettent pas de
parvenir à une quantification précise de la perte résultant pour les requérants de la violation de l’article 11 de
la Convention (voir, dans le même sens, Karakoç et autres c. Turquie , n os 27692/95, 28138/95 et 28498/95, §
69, 15 octobre 2002). Partant, la Cour rejette cette demande.
47. En ce qui concerne le dommage moral, la Cour est d’avis que nonobstant le fait que l’IPSD a été
dissoute avant même d’avoir pu entamer ses activités, sa dissolution a dû causer un profond sentiment de

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frustration aux requérants et aux autres fondateurs et membres. Statuant en équité comme le veut l’article 41
de la Convention, elle alloue à l’ensemble des requérants 7 000 EUR à titre de réparation du dommage moral
(voir, mutatis mutandis , Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie , nos 29221/95 et
29225/95, § 121, CEDH 2001-IX.)
B. Frais et dépens
48. Les requérants demandent également 11 710 EUR pour les frais et dépens engagés devant les
juridictions internes et devant la Cour. A titre de justificatif, ils fournissent une convention d’honoraires
conclue entre eux-mêmes et leur représentant.
49. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
50. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime
raisonnable d’allouer la somme de 1 500 EUR, tous frais confondus, et l’accorde à l’ensemble des requérants.
C. Intérêts moratoires
51. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de
prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera
devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en
nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 7 000 EUR (sept mille euros) pour dommage moral ;
ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens ;
iii. plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un
intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne
applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 octobre 2005 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du
règlement.
Michael O’BOYLE Josep CASADEVALL
Greffier Président
Si le numéro du recueil n’est pas connu mettre l’ellipse (ex. : CEDH 2002-…).

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ARRÊT IPSD ET AUTRES c. TURQUIE
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